De 19 h à minuit, les animateurs de Village pilote sillonnent les lieux de regroupement des enfants en rupture. Du Village des arts à l’Avenue William Ponty, le chemin est parsemé de détresse, de misères et de souffrance. Récit d’une nuit particulière.
Pikine Icotaf. Il est 19 h dans ce
populeux quartier où les rues sont noires de monde. Après une journée de
dur labeur, les travailleurs regagnent leurs chaumières, pressés de
s’empiffrer de chauds repas servis dans une atmosphère bien douillette.
C’est l’heure choisie par les animateurs du «Refuge», le centre
d’accueil que l’Ong Village Pilote a construit au cœur de la banlieue
dakaroise, pour aller à la rencontre d’un autre monde. Ce monde où la
chaleur est absente et où les émotions sont violentes à l’extrême. Dans
une 4X4 blanche, Bafodé Dramé et Cheikh Diallo prennent la direction de
l’autoroute.
Cette première étape conduit l’équipée sur un vaste
espace vierge derrière le Village des arts. Il y a peu, des tonnes de
carcasses occupaient le coin. Pour atteindre les lieux, il faut se
frayer un passage à travers des monceaux de ferraille. Apparaît alors
un vaste terrain que les bulldozers ont aplati. Contre un immense mur en
béton, des groupes de jeunes se sont rassemblés autour d’un feu. Ce qui
constitue un moyen dérisoire de lutter contre les violentes rafales de
vent qui soufflent sur cet endroit exposé. «Bafodé, je veux voir ma
maman. Aide-moi s’il te plait !» L’interpellation vient d’un jeune homme
d’une vingtaine d’années. Mc Fadal comme il se fait appeler s’est
emmitouflé dans un vaste grand boubou. Son pas chancelant et sa main
crispée sur un morceau d’étoffe indiquent son état d’ivresse avancé. Le
jeune homme parvient tout de même à avouer qu’il n’a pas vu sa mère
depuis 12 années. Il demande ainsi à être rapatrié à Nouakchott. Mais
l’arrivée de l’équipe de Village pilote a attiré les autres jeunes.
Agés de 12 à 20 ans, ils sont une dizaine à squatter les lieux.
Cris,
interpellations et autres salutations détournent pour un moment
l’attention des jeunes de leurs chiffons imprégnés de diluant. Très
vite, les bléssés exhibent leurs plaies pour recevoir des soins. Les
animateurs qui ont emporté dans leurs bagages un sac bourré de
médicaments se mettent à l’œuvre. Pour l’essentiel, il s’agit de panser
des plaies. Mais d’autres veulent soigner un mal de tête. Un autre
encore réclame en rigolant un «garabou lekk» (un médicament contre la
faim).
Mais voilà le Mc qui revient à la charge. Cette fois-ci, pour
attendrir les animateurs, il entonne le dernier couplet de la chanson
qu’il vient de composer. Mc Fadal, en plus d’avoir passé une partie de
sa vie dans la rue, est aussi le rappeur du groupe. Les rimes coulent de
sa bouche dans un flot incertain que ralentit son esprit embrouillé.
Mais rejoindre sa mère semble lui tenir à cœur puisqu’il revient à la
charge. «Viens au Refuge si tu veux vraiment aller voir ta mère», lui
lance Bafodé. Mais la réponse de Mc Fadal est édifiante. «Vous ne voulez
pas m’aider», réplique-t-il avant de retourner cuver son ivresse dans
son coin. En fait, explique l’animateur, le jeune homme ne semble pas
encore prêt à abandonner la rue. La première tentative faite par sa
famille paternelle s’est soldée par un cuisant échec. Après seulement
trois mois comme vendeur, Mc Fadal a tout lâché pour retourner dans la
rue et renouer avec le ginz et les larcins.
Mc Fadal, le rappeur de Nouakchott
Mais
c’est l’heure d’aller vers d’autres lieux. La prochaine étape nous mène
vers les immenses terrains qui ceinturent l’aéroport. Dans ces espaces,
ne se dressent que des maisons en construction sur lesquels la nuit
commence à étendre son manteau. Des silhouettes fantomatiques surgissent
au détour d’une ruelle.
C’est ici que Bafodé a donné rendez-vous à
un jeune homme qui vient tout juste de sortir du Fort B, la prison pour
mineurs de Hann. Après quelques recherches, les deux animateurs arrivent
à mettre la main sur le gamin qu’ils entraînent à l’écart pour une
discussion sérieuse. Il s’agit de le convaincre de rejoindre le
tremplin, un centre de formation qui accueille de jeunes adolescents
pour leur offrir une formation professionnelle. «Ici, il y a beaucoup de
caïds», souffle un des animateurs. Mais la discussion finie, Bafodé se
tourne vers les autres pour soigner leurs bobos. Mais toujours avec les
paroles qui pourront convaincre ces enfants de quitter les rues, de
rejoindre leurs parents et de démarrer une nouvelle vie. Mais la tâche
est difficile parce que, explique Cheikh Diallo, moniteur, «certains
n’ont pas du tout envie de quitter la rue parce qu’ils arrivent à se
faire beaucoup d’argent dans les larcins et autres cambriolages».
Mais
en attendant, tous sont plongés dans les limbes, refugiés dans le
paradis artificiel que procure le diluant cellulosique qu’ils aspirent.
21h.
L’équipe mobile arrive à Niary Tally. Les rues sont très animées. Sur
les rebords des murets qui ceinturent le jardin, les vendeurs de
chaussures ont fini d’installer leurs marchandises. Tout en dessous,
invisibles de la rue, il y a un groupe d’enfants et d’adolescents. Là
encore, il y a des bobos à soigner pour les uns, un dentiste à trouver
pour les autres. Et toujours les mêmes discours pour convaincre. Mais
ici, les tout jeunes enfants sont nombreux. Tous ont fui les daara et
les traitements cruels de maîtres coraniques sans scrupule. Désormais,
leur quotidien est fait de débrouille et les journées s’étirent entre
les différents squats et les nuits sur le sol dur des auvents des
cantines du marché des Hlm. L’écoute nocturne se poursuit ainsi dans les
rues de la capitale pour s’achever sur l’avenue William Ponty. Ici
encore, ce sont de tous jeunes enfants qui font la manche, s’amusent
comme ils peuvent mais toujours dans les vapeurs du diluant. C’est sur
les étals qu’ils essaieront de voler quelques instants de sommeil. En
attendant qu’un jour nouveau se lève sur Dakar.
7 Commentaires
Lady
En Mai, 2014 (18:04 PM)Vp
En Mai, 2014 (23:17 PM)Yoro....
En Mai, 2014 (23:24 PM).....LA RELIGION, C'EST LA PRATIQUE...... ON NE LA CRIE PAS.... (MBOUBO).....
.... LA PERSONNE CROYANTE..... TEMOIGNE SA RELIGIOSITè PAR SA VIE.....RELIGIEUSE.....
....ET PAS SEULEMENT LE RECITAGE.... DE PROVERBES.....
....
Akhou Khaleyi
En Mai, 2014 (23:58 PM)Torokhal nit wessouwoul li et nous sommes tous coupables: les parents qui ont fui leurs responsabilites, les maîtres sans vergogne, l'Etat senegalais qui est lache devant ce phenomene, nous qui alimentons la mendicite des enfants.
Il est grand temps que l'Etat sevisse durement contre ce phenomene de la mendicite des enfants. Alakhira nak, youkhou dina djib founiou ko foguewoul, nous rendrons tous compte de nos actes a Dieu inchallah. Prenons nos responsabilites.
Sinon bravo cette equipe et merci pour cet article. Un seul bemol, pourquoi ne pas prevoir, lors de vos tournees, de petits repas pour ces enfants qui doivent avoir faim. Tous mes encouragements.
Julius Cesar
En Mai, 2014 (21:55 PM)Titen
En Mai, 2014 (23:01 PM)Kok
En Mai, 2014 (23:52 PM)ON ATTAQUE DAKAR VILLE POUBELLE
POUR EN FAIRE DAKAR VILLE BELLE:
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