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Economie

MANGUES - Insécurité et difficultés d'écoulement : Les Casamançais se tournent vers l’anacarde

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MANGUES - Insécurité et difficultés d'écoulement : Les Casamançais se tournent vers l’anacarde

Fin juin. Un mardi. Il est environ 18h 20mn. Sur l’axe Ziguinchor-Kolda. Plus précisément à Boutoute, au niveau de l’intersection entre cette route et la piste menant à Boulom, village situé à quelques km de la Nationale n° 6. Sous un ciel alourdi par des grappes de nuages disparates qui s’amoncellent petit à petit, par endroit, l’atmosphère est pesante. La chaleur qui a régné en maître durant toute la journée, commence à courber l’échine sous l’effet d’un vent léger, annonciateur d’une pluie imminente. A l’horizon, entre les arbres bordant de part et d’autre cette piste latéritique nouvellement construite, surgissent des groupes de personnes qui avancent en file indienne. Il s’agit d’une longue colonne d’hommes, de femmes et de jeunes, marchant à pas pressés, de peur certainement que la pluie ne les surprenne en pleine brousse. La psychose de ce début d’hivernage meurtrier, qui a fait la semaine dernière 3 morts dans une même famille à Ziguinchor, est certainement passée par là.

Sur la tête de ces centaines de personnes, des sacs, des paniers, des bassines et des seaux remplis de fruits. Plus elles approchent, plus leur nombre est impressionnant et le file est indéfinie. «On a l’impression que c’est tout Ziguinchor qui s’était déplacé vers cette zone», remarque ébahi, un observateur. «C’est une véritable ruée, version Ziguinchor», renchérit, un autre, qui lance ironique, «même si la qualité de l’or recherché n’est pas la même».

Qu’est-ce qui peut bien mobiliser tout ce monde, qu’est-ce que tous ces hommes et femmes peuvent bien transporter sur leur tête en cette période hivernale où les travaux champêtres devraient être l’activité dominante ? L’envie de percer le mystère d’un tel rush est grande. L’information est fournie par nos accompagnateurs, qui parlent de ruée vers les mangues. «Vous revenez de la cueillette des mangues ?», interpellons-nous le peloton de tête. En cette période où la récolte des mangues est l’activité la mieux partagée à Ziguinchor, nous nous attendons naturellement à recevoir une réponse affirmative. Mais notre surprise est grande lorsque c’est la négative qui est fournie. «C’est plutôt des noix d’anacarde que nous transportons», répond spontanément une des dames, la trentaine environ, le visage dégoulinant de sueur, à l’instar de ceux qui l’entourent. Et une autre de renchérir avec la même désinvolture. «Tu sais, on n’a pas besoin d’aller aussi loin pour chercher des mangues. Nous en avons en pagaille dans les clôtures de nos maisons et jusque dans les cours. Mais nous préférons les laisser pourrir là-bas parce qu’elles ne nous sont d’aucune utilité. Nous ne pouvons pas les consommer toutes et nous ne trouvons pas de clients à qui les vendre.» Elle poursuit avec désolation. «Pire, il nous est impossible de les conserver. Contrairement à ces noix qu’on peut, à défaut de les vendre tout de suite au prix voulu, conserver toute une éternité, et sans difficulté.»

La réponse de cette dame est à la dimension du désespoir de la quasi totalité des producteurs de mangue de la région de Ziguinchor et au delà, de toute la Casamance naturelle. A l’instar des autres localités de la région, dans l’arrondissement de Niaguis, sur les axes routiers qui relient les différents villages, la végétation pittoresque qui s’offre à la vue du voyageur est dominée par des manguiers qui rivalisent de hauteur par endroit à des arbres géants comme les caïlcédrats, les baobabs et les fromagers. Partout autour des maisons, à la lisière des villages, des plantations de mangues «keiths» et «kents», qui sont, pour la plupart, de la génération des années 80 et 90, période à laquelle elles ont été plantées en masse dans la région, s’imposent aux côtés des autres arbres fruitiers.

A côté de ces plantations privées, existent d’autres plantations dites communautaires. On les appelle communément mangou kourro, en langue locale. Elles sont composées des variétés dites «diourou, papaye ou saralion (en référence à la Sierra Leone dont elles seraient originaire). Il s‘agit des plantations faites par les premiers habitants des villages et qui appartiennent à toutes la communauté villageoise et au-delà. Pour les protéger du gaspillage, à la période pré-maturation des fruits, ces plantations sont placées sous la protection du «Kankourang» (masque), pour permettre à toute la communauté d’en bénéficier à terme. Aujourd’hui, sous toutes ces plantations et vergers luxuriants, le spectacle de mangues pourrissant à terre est désolant. Au grand dam des propriétaires qui regardent, impuissants, leur production se détériorer. Non pas du fait des chenilles et autres mouches blanches qui, depuis trois ans, attaquent les mangues «keiths» principalement, mais plutôt pour des difficultés d’écoulement.

C’est le cas du vieux Insa Sagna, du village de Djifaghor, dans la communauté rurale de Niaguis. Entouré de ses deux belles-filles Khady Sané et Tida Badiane, en train de ranger dans des paniers les mangues qu’elles ont cueillies dans leur grande plantation, dont la production annuelle est estimée à des dizaines de tonnes, il dit son découragement par rapport au pourrissement des fruits. «Regardez sous ces manguiers», lance-t-il, dépité, montrant du doigt ceux qui sont plantés dans la grande clôture de la maison. «Le spectacle est le même partout, dans les autres plantations et dans tous les villages, c’est idem», ajoute-t-il. Et pourtant, à en croire ce planteur, tout ce spectacle de tonnes de mangues pourrissant sous les arbres n’est rien, comparé à la grande période de récolte des mangues qui mûrissent en hivernage. «Pour l’instant, seules les variétés de diourou, de saralion et de mangues papayes sont mûres. Il reste la grande période des mangues keihts et kents qui arrive en mi-juillet, août et jusqu’en septembre. Ce sera la période de toutes les désolations», ajoute le sexagénaire, qui insiste : «Nous perdons tous les ans plus de la moitié de notre production. Nous ne pouvons pas la consommer toute, nous ne trouvons pas de clients pour la vente, nous n’avons aucun moyen de la transporter ailleurs pour la commercialiser. Et, pire, nous n’avons pas les moyens de la conserver.»

Pour limiter les dégâts et récupérer ce qui peut l’être, les femmes de la maison s’organisent pour vendre dans des paniers, quelques fruits qu’elles peuvent transporter à Ziguinchor. Avec les autres femmes du village, elles se sont organisées en petits groupes et ont pu trouver un accord avec un transporteur qui leur achemine leurs récoltes à tour de rôle, jusqu’à Ziguinchor, moyennant 500 francs Cfa par panier, plus 200 francs de taxe communale.

Mais en cette période de soudure, où les villageois tirent le diable par la queue, il n’est pas question pour les femmes de la famille Sagna d’attendre leur tour, au risque de voir tous leurs fruits pourrir sous leurs yeux. Khady Sané, l’une des femmes, explique : «Nous sommes contraints de le faire sinon nous perdrons toute notre production sur le terrain.» Estimant à plusieurs dizaines de tonnes les pertes annuelles de leur production.

Ce que semblent d’ailleurs confirmer les Présidents de communauté rurale (Pcr) de Niaguis et de Boutoupa Camaracounda. Selon Lucien Mendy, Pcr de Boutoupa Camaracounda, et Fodé Badji, Pcr adjoint de Niaguis, les producteurs ne récoltent que le tiers de leur production. «Les 2/3 de la production de mangues sont perdues dans les plantations. Elles sont consommées par les animaux ou pourrissent sur place», soutiennent-ils.

LES RAISONS DE LA PERTE

Les difficultés d’écoulement des produits fruitiers en Casamance sont récurrentes et restent liées de manière générale à des problèmes de logistiques et d’excès dans les zones de production. En somme, à une question de désenclavement interne et externe de la région. Le phénomène n’a pas épargné la filière mangue.

Pour cette production essentielle en Casamance, après l’arachide et les céréales, l’essentiel des plantations se trouve dans les zones rurales, généralement difficiles d’accès. Les pistes de production, si elles existent, sont, pour la plupart, dans un état impraticable. Particulièrement en période hivernale, qui coïncide avec la récolte des mangues, qui mûrissent quasiment au même moment. Aussi, les camions refusent-ils de s’y aventurer pour transporter les fruits. Si ce ne sont pas les populations, du fait de leur pauvreté extrême, qui manquent de moyens de louer ces camions.

Ce premier niveau de difficulté au plan interne, est aggravé par l’absence de moyen de transport adéquat pour acheminer les productions de Ziguinchor vers d’autres parties du pays. En effet, la production locale dépasse très largement les besoins de la région. Posant ainsi la nécessité de son évacuation vers d’autres coins du pays et principalement à Dakar, où la demande des fruits en provenance de la Casamance est très forte. Le problème était, en son temps, réglé à bien des égards par le bateau Le Joola, grâce à sa forte capacité de transport de marchandise. Mme Mame Mbacké, une commerçante trouvée à l’entrée du port de Ziguinchor, mesure à leur juste valeur, les conséquences de la perte du bateau Le Joola. «On ne pourra plus jamais remplacer ce bateau du fait du rôle qu’il jouait dans l’activité économique et sociale de la région. Il avait pu permettre aux populations de la région, au-delà du rôle de cordon ombilical qu’il jouait entre le sud et le reste du pays, de trouver une occupation leur permettant de gagner décemment leur vie, en même temps qu’il avait permis de sauver de la pourriture les récoltes des villageois en fruits et légumes.»

Elle explique qu’à une époque, elle faisait le commerce entre Dakar et Ziguinchor et qu’elle avait l’habitude d’emprunter le navire. «Nous allions dans les plantations de mangues, négocier le prix de celles-ci en bloc, ou le prix de la production d’un arbre ou parfois négocier par panier. Nous n’avions, alors, pas peur de perdre, parce qu’on était sûr que le bateau arriverait à temps à Dakar. Et dès le débarquement, il y avait des bana-banas qui attendaient au port, prêts à acheter à bon prix notre marchandise. On avait même parfois le loisir de vendre aux enchères.» Regrettant que, depuis le naufrage, personne n’ose plus prendre de tels risques. «Ceux qui se sont aventurés à aller prendre les mangues dans les plantations, ont été contraints de se livrer à des explications avec les propriétaires pour se faire pardonner ou demander un moratoire de paiement de leur dette. Tellement les pertes étaient énormes, parce que les camions loués pour transporter les produits jusqu’à Dakar passent par fois plus d’une semaine au bac de Farafégné, sans pouvoir traverser. Ce qui fait que forcément toutes les mangues pourrissent avant d’arriver à destination», explique-t-elle.

A côté de cette question de transport, se pose également et de manière très sérieuse, celle de la sécurité dans certaines zones. En effet, si dans certaines localités, les causes de la détérioration des mangues sont liées à l’enclavement, dans d’autres par contre, il faut ajouter l’insécurité née de la crise casamançaise.

En effet, pendant longtemps, les plantations et autres vergers ont été la chasse gardée des combattants du Mfdc, qui en faisaient leur trésor de guerre, mais aussi leur source d’alimentation. Au point que, même lorsqu’ils les ont quitté, ces lieux sont restés des zones à risque pour leurs propriétaires ou pour les populations qui les fréquentent. Les multiples accidents de mines autour ou sur les axes menant vers les plantations et vergers abandonnés corroborent ces assertions. En outre, la peur de se faire prendre par les bandes armées qui rodent aux alentours des plantations constitue un autre facteur de dissuasion des populations.

LA MANGUE MENACEE PAR L’ANACARDE

Les conséquences immédiates des grosses pertes, subies par les producteurs de mangues dans leurs plantations, est la grande menace qui pèse sur la filière. En effet, de plus en plus, des planteurs menacent de détruire leurs plantations de mangues, s’ils ne l’ont déjà fait, pour les remplacer par celles d’anacardes. C’est le cas, par exemple à Mawa, dans la communauté rurale de Boutoupa Camaracounda où, explique le président de cette collectivité rurale, qui est l’une des plus affectées par la crise, un planteur du nom de Mamadou Sagna envisage très sérieusement d’abattre tous les manguiers «keiths» dans sa grande plantation et de planter à leur place, des mangues «kents» dont l’épluche résiste mieux à la piqûre de la mouche blanche. Et le phénomène prend déjà de l’ampleur dans l’arrondissement de Niaguis où, signale le vice-président de la communauté rurale, Fodé Badji, beaucoup de planteurs ont déjà détruit leurs plantations de mangues pour les remplacer par celles d’anacardes. Confirmation faite par le Vieux Insa Sagna de Djifanghor, qui soutient : «Aujourd’hui, vous pouvez marcher sur des kilomètres sous l’ombre des plants d’anacardes sur des périmètres pourtant, naguère, occupés par des plantations de mangues.» Et cela, même si l’on ne semble pas convaincus que ce soit la bonne solution, du fait de la perte de valeur, sur le marché, du kg de noix de cajou et des difficultés réelles d’écouler ce produit.

En effet, face à ce qui ressemble, à bien des égards, à une nouvelle tyrannie de la noix de cajou sur les autres produits fruitiers en Casamance, les producteurs rétorquent, par rapport à l’inquiétude que cette filière ne subisse le sort de l’arachide ou de la mangue, que «ce n’est pas la même chose. Les autres produits sont très vites périssables alors que la noix a une durée de vie qui peut s’étendre sur des années». Par conséquent, se convainc Malick Cissé, producteur au village de Sindonne, situé à 25 km à l’est de Ziguinchor sur la Nationale n° 6, «on a le loisir de garder notre production le temps qu’il faut et de choisir le moment opportun pour l’écouler. Il suffit seulement de connaître les techniques de conservation».

 

 



1 Commentaires

  1. Auteur

    Allons Y Molo

    En Octobre, 2010 (18:36 PM)
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