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Culture

Felwine Sarr : « Les Africains doivent penser par eux-mêmes et pour eux-mêmes »

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L'écrivain et universitaire Felwin Sarr, à la librairie Athéna de Dakar. Crédits : DR

Écrivain Sénégalais et professeur agrégé d’économie à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Felwine Sarr est le cofondateur du Laboratoire d’analyse pluridisciplinaire des dynamiques des sociétés africaines et de la diaspora (Laspad) au sein de l’institution. Aussi, il cherche à combiner les outils nécessaires à un changement radical dans la façon de penser l’Afrique aujourd’hui.

Les discours sur l’Afrique sont dominés par une dialectique de l’euphorie et du désespoir, selon vous. Comment expliquer une telle contradiction ?

La grande difficulté du continent tient au fait qu’on lui a toujours dit que son présent n’était pas appréciable. L’Afrique a rarement vécu sur le mode de la « présence à soi ». À aucun moment, ces cinq derniers siècles, elle n’a pu être sa lumière propre, afin d’éclairer ses réalités en fonction de ses propres critères d’évaluation. Au lendemain de la décolonisation, les pays africains ont gagné le droit à l’autodétermination, certes, mais pas à l’autodénomination. En apposant après les Indépendances aux pays d’Afrique et d’Asie le label générique de « sous-développés » ou de « Tiers-monde », l’Occident les a tout de suite inscrits dans une perspective limitée. Ces sociétés devaient tout d’un coup ressembler à l’Amérique ou à l’Occident.

Après les clivages « colonisé-colonisateur », « sauvage-civilisateur », dont les termes irréductibles étaient porteurs de conflits, nous sommes passés à un autre facteur que celui de la race ou de la « civilisation » : le PNB, qui permet de classer les nations sur une échelle normative de développement. Sous ses apparences d’objectivité scientifique, ce critère signifie que nous appartenons à la même famille, mais que certains ne sont pas au même niveau que d’autres. Certaines nations sont en avance, d’autres pas. Comme si les aventures sociales devaient être comparables et comparées…

Face à cette dialectique, comment penser l’Afrique et se penser en tant qu’Africain autrement ?

La culture au sens large s’avère une ressource fondamentale pour répondre à cette question et observer notre réalité – qu’il s’agisse de la littérature, de la musique, des beaux-arts ou de la science… Elle permet d’explorer la réalité dans ses profondeurs et ses largeurs. Le principal art est celui du vivre ensemble. Tous les autres arts y concourent, et permettent d’édifier un espace où la société se crée, se recrée et inscrit ses propres significations du vivre ensemble.

Il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder autour de soi en Afrique, pour observer ces formes de sociabilité dans les lieux où se réinvente constamment le lien social et politique. À Dakar, dans les quartiers de Guédiawaye, les individus créent des espaces de sens, de créativité, de valeurs… Je parle de tous les lieux où le collectif se reflète et produit un discours sur lui-même.

Nous avons connu le « Set Setal » au Sénégal [nettoyage et embellissement spontané des quartiers par les jeunes], mais on trouve aussi le « grin » au Mali, ce coin de rue où les jeunes font le thé, ou « l’Umuganda » au Rwanda, ce jour de travail communautaire où tout le monde participe à des travaux d’intérêt public. Tous ces espaces d’expression se retrouvent dans la religion, les arts graphiques, le hip-hop et la mode - un domaine particulièrement politique en Afrique. Tous ces lieux de production d’un discours social et politique ne sont pas repérés ou canonisés comme tels. Ils ne relèvent pas d’institutions reconnues comme l’université, les lieux de littérature ou de politique, mais n’en sont pas moins des sources de production organique d’un discours sur soi inscrit dans le temps – qui rejoint d’ailleurs la civilisation de l’oralité.

Faudrait-il tout rejeter dans l’héritage qu’ont laissé les intellectuels des années 1960 à 1980 ?

Pour penser l’Afrique autrement, j’évoque une « rupture radicale » dans nos postures, nos paradigmes, nos façons de nous lire à travers les yeux de l’autre. Mais le radicalement neuf ne se fait qu’avec des matériaux existants. Une telle transformation ne pourra pas faire table rase du passé. Dans « L’aventure ambiguë » (1961) de l’écrivain Sénégalais Cheikh Hamidou Kaneles personnages de Samba Diallo et de la Grande royale sont censés représenter l’Afrique en tension culturelle avec l’occident.

Or, ils défendent l’islam comme socle de leur identité fondamentale, et non la culture négro-africaine. Ils oublient qu’ils sont pris en tenaille entre deux aliénations, avec un pied en occident et un pied en orient, sans savoir où est leur tête. Cette situation est assez symptomatique d’une forme de schizophrénie que nous vivons sous nos latitudes.

Nous rencontrons des prototypes de cet Africain qui tente de résister à une aliénation occidentale tout en ayant incorporé une autre aliénation qu’il revendique comme son identité. L’aventure humaine, pour le coup, s’avère doublement ambiguë… Cheikh Hamidou Kane est revenu sur cette question par la suite, dans « Les gardiens du temple », en opérant un retour vers les cultures négro-africaines.

On peut également citer le philosophe Congolais Valentin Y. Mudimbe qui s’est posé la question de la possibilité des sciences sociales africaines. Son travail aurait mérité d’être prolongé, mais il ne trouve ni véritable successeur ni porteur symbolique. Les intellectuels de ma génération ont abdiqué. C’est une question qu’ils ne se posent plus ou peu. Certains d’entre eux sont encore sur un projet de philosophie africaine qui se ferait sur le modèle de la philosophie occidentale. Le travail de Mudimbe n’était pas confidentiel à l’époque, mais il l’est devenu avec le temps et l’oubli. Avec ses essais « L’odeur du père » (1982) et « The invention of Africa » (1988), il a posé des questions et ouvert un champ philosophique et social qui n’est ni repris ni cultivé.

Or, s’il y a un travail de tri à faire au sein de notre héritage intellectuel, il faut restituer à mon sens cette idée fondamentale : aucun futur n’est envisageable si les Africains ne pensent pas par eux-mêmes et pour eux-mêmes leur présent et leur devenir. La liberté doit être une passion africaine désormais, parce que le continent en a été privé deux fois, ces cinq derniers siècles, avec la traite et la colonisation. On ne peut pas continuer d’être à la remorque des rêves des autres.



25 Commentaires

  1. Auteur

    Le Problème De L'afrique

    En Août, 2015 (18:12 PM)
    Beaucoup parler ces africains
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  2. Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (18:38 PM)
    Il faudra revenir à nos langues, dans ce cas-là. On appelle ça l'indépendance linguistique
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (18:46 PM)
    MALHEUREUSEMENT NOTRE PRESI.............HIPPO.............PENSE.PAR LES TOUBABS ET POUR LES TOUBABS..........SACRE CONARD.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (18:50 PM)
    revenir à nos langue est certes une chose magnifique mais nous n'avons pas ce temps. Les pays qui en ont fait l'experience n'ont pas plus avancé et se sont même retournés comme le madagascar. Je pense qu'il faut qu'on accepte de travailler en français même si elle n'est pas notre langue. les sciencs ne sont écrites ni traduite en wolof ou diola. Les premiers intellectuels africains ont bien compris le français avec peu de diplomes et les intellectuels actuels parlent mal le français avec plein de diplômes. il faut juste qu'on revienne à la lecture. Si on enseigne dans nos langue sans lecture nous n'iront nul part.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (18:50 PM)
    Tout ca c'est bien beau. Mais le concret c'est reprendre possession de nos richesses et notre monnaie. Faut arreter de théoriser.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (19:02 PM)
    senedeal.net
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    Auteur

    Boy Diola

    En Août, 2015 (19:16 PM)
    Bien dit.

    La sagesse voudrait que je reste conforme au principe du "je suis venu, j'ai lu et je n'ai pas commenté"; mais je ne peux m'empêcher de dire que cela me rassure de constater que mes compatriotes qui savent tout sur tout ne s'intéressent qu'à la lutte, aux actualités peepoole et à la politique.



    Je mourrais moins bête ce soir. Et légèrement plus intelligent que 14.000.000 d'habitants - (460 internautes + 14 "guinaars" + 25 "mbam" + 12 "bouki" + tout ceux qui ne passent pas leur temps sur le net à crier leur frustration)  :xaxataay: 



    Belle contribution en tout cas. Concis et instructif.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (20:17 PM)
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    Auteur

    Oki

    En Août, 2015 (20:48 PM)
    TRès belle contribution dotée de sens et de mesure. Nos sociétés sont malheureusement présentées sur la base d'une sociologie d'une propre vision personnelle d'autres pays!!
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    Auteur

    Indigné

    En Août, 2015 (21:08 PM)
    Il n'y a pas de mal à prendre chez les autres. L'essentiel c'est de prendre chez eux ce qu'il y a de meilleur. Le problème de l'Africain c'est qu'il a tendance à prendre ce qu'il y a de pire chez les autres. Il est vrai que c'est plus facile, moins fatiguant.
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    Auteur

    Afrocentriste

    En Août, 2015 (21:14 PM)
    Felwine, il nous faut quitter les religions asiatiques esclavagistes que sont l'islam, le christianisme et le judaisme pour marquer un vrai nouveau départ. toi même tu sais qu'on doit les quitter, cheikha anta et hamidou kane l'ont compris mais nous ont donné des indices sans aller plus loin par peur des représailles des senegalais trop islamisés ou christianisés. il faut pratiquer la religion négro-aficaine
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (21:34 PM)
    Bon tout sa c bien Beaux entre Felwine et Fatou diome sa parle mais si vous occupiez un peu de niodior sa serai mieux wa salame...
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    Auteur

    White Powder

    En Août, 2015 (21:49 PM)
    Encore faudrait il avoir un cerveau et savoir l'utiliser....
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    Auteur

    Gnilane Samba

    En Août, 2015 (22:17 PM)
    vraiment les Sereres sont a l'honneur sur seneweb. hier c'etait avec fatou diom et aujourd'hui avec felwine sarr pour prouver leur hegemonie intellectuelle a leurs esclaves Halpoulars lol.... Ndiokodial vous faites la fierte de tout sunugaal:
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    Auteur

    Fallaye

    En Août, 2015 (22:39 PM)


    L'état des lieux étant fait,il se pose la question de savoir comment arriver à renverser la tendance.

    C'est vrai que les intellectuels de nos jours,contrairement à leurs devanciers d'aprés les indépendances,beaucoup plus enclins à participer aux débats touchant au dévelopement de leur patrie,ont "lachement démissionné".

    La reflexion doit etre orientéé vers des idées,des mouvements,des organisations assez fortes pour tordre le bras à nos dirigeants,trop dépendants de l'Occident,plus proches de leurs intérets que de ceux de leurs peuples,et plus préoccupés par la conservation de leur pouvoir.Car,c'est à mon avis la seule solution pour nous sortir du sous-développement,la seule lutte qu'il vaille de mener....



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    Auteur

    Atypico

    En Août, 2015 (00:04 AM)
    Aucun être humain ou groupe humain ne pense par lui - même monsieur le professeur mais en appui, en référence et en oppositions avec d'autres que lui même. Par ailleurs votre vision est obsolète, en dehors du monde réel et elle ne fait que reproduire sous une forme pseudo moderne les vieux schémas qu'elle prétend dépasser. Le problème n'est plus ni africain ni européen, ni asiatique, ni occidental , il est d'emblée mondial comme l'est le système économique, comme l'est le système de domination politique fondé sur l'exploitation d'une classe par une autre au travers du salariat et de la mise en concurrence sur les marchés . L'enjeu ce n'est pas l'Afrique ou un autre continent , c'est la préservation de l'espèce humaine ! Hegel disait que l'enseignant avait besoin d'être enseigné . Il semble bien ici qu'il avait grandement raison :
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    Auteur

    Tierno780

    En Août, 2015 (00:06 AM)
    revenir a nos langues locales...et avoir une monnaie propre sans laquelle nous n aurons jamais de souverainete ...jamais...citez moi un seul pays au monde respectable qui n ait pas sa propre monnaie..... meme si il n y a que 5 monnaies valables dans les paiements internationaux : LIVRE STERLING - US DOLLAR - JAPAN YEN - FRANC SUISSE ET L EURO. Je travaille dans la finance de marche....et j ai travaille longtemps en Banque a Paris
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    Auteur

    Oki

    En Août, 2015 (07:58 AM)
    Lire : propos désolants ; laissez passer
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (08:25 AM)
    Sinon d'autres contrôlent leur site et enlèvent les commentaires défavorables!!! Je ne suis pas parano, juste une déduction face à la censure dont serait complice seneweb
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    Auteur

    Tafasow

    En Août, 2015 (09:04 AM)
    Bravo, M. Sarr, pour la qualité, la profondeur et surtout la largeur du texte. Il nous faut tous ensemble réfléchir au sens à donner au vivre ensemble. Felwine n'a pas dit qu'il faut ignorer l'implacable réalité de l'instant présent, il exhorte à sortir de ce carcan inhibiteur du tout-consommer d'ailleurs pour nous inscrire dans une dynamique du penser autrement. Partir de soi, pas du tout-soi pour mieux appréhender ce quotidien imposé. Une telle démarche implique bien entendu une auto consultation de son propre vécu qui intègre toute la dimension socio-culturelle héritée mais dynamique. C'est bien de prendre le meilleur de l'ailleurs mais doit-on pour autant rêver les rêves des autres? Au fait: c'est qui l'autre? la dynamique évolutive de la civilisation de l'universel ne peut certes pas, à ce stade là, être renversée dans le sens voulu par les Africains, mais il est permis d'être optimiste, car l'Afrique bouge, les consciences se réveillent, des dynamiques se construisent et les cercles concentriques réductrices se réduisent. Revenir à soi pour avoir à donner lors de la rencontre du donner et du recevoir. Mais: nous y sommes déjà, non???? ces commentaires l'attestent. Vorwärts!!!
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (09:08 AM)
    Est ce qu'on nous appris à penser que nous ressemblons plus à nos pères qu'à notre temps? C'est la question que suscite en nous la réflexion féconde de Mudimbe......Nous trouvons des réponses pratiques et concrètes que nous appliquons à nous mêmes....pour l'instant.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (11:31 AM)
    Seneweb, on censure les réponses à Fanch???
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    Auteur

    Milk

    En Août, 2015 (13:52 PM)
    L'instant présent tout comme notre passé ne sont pas implacables.



    CE SONT LES RACCOURCIS QUE NOUS PRENONS QUI NOUS EMPECHENT D'AVANCER.



    L'AFRICAIN NIE LA PUISSANCE ET LA FORCES DES IDEES QUI FONT AVANCER LE MONDE ET LUI PREFERE LES RACCOURCIS.



    NIK KOU NIOUL MODOUL DIEUFEUNDIKO KHELLAM.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2015 (20:05 PM)
    Les Africains doivent penser par eux-mêmes et pour eux-mémes, C'est ce qu'ont fait nos ancétres Cheikh Ahmadou Bamba et Limamoulaye Laye. Ils ont réinscrit l'islam dans la dynamique d'une quête de liberté universelle. Il faut bien se débarrasser de l'asservissement et maintenant les choses prennent une autre tournure avec le djiadisme qui semble être la seule porte de sortie parce que nous n'avons pas cultivé l'esprit critique de nos ancêtres, parcequ'on s'est laissé détourner par les Occidentaux. Parceque les lâches formés à l'école occidentale et dans les cercles de sociétés secrètes ont pris le relais des planificateurs d'un meilleur destin pour les Sénégalais à l'aube de notre indépendence.

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    Auteur

    Imhotep-sn

    En Août, 2015 (00:47 AM)
     :contaan:  Je vous dis que la Religion(Islam ou Abrahamique) avec ces groupes Judaism et chritianism) a commence en Afrique a Kemet avant d'etre rejetee par la majorite des noirs africains par orgueuil demesure et jalousie extreme.

    D'autres peuple et races l'ont fait revenir avec leur langues .

    Ce professeur ignore la vraie l'histoire.

    Quand Dieu veut punir un peuple,Il lui retire la science et l'ecriture..

    Dieu est cette pardonneur alors soyez humbles et devenez des BayeFall ,mourides sadikh ou supplement des musulmans bienfaisants voir des reconnaissants. :sunugaal:  :fblike:  :fbhang:  :bindeu: 
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