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[ Opinion ] Le Sénégal à l’épreuve de l’apostasie et des pénuries

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[ Opinion ] Le Sénégal à l’épreuve de l’apostasie et des pénuries

Le cycle de pénuries que connaît notre pays depuis quelques années a fini de plonger bon nombre de nos concitoyens dans un scepticisme politique qui frise le nihilisme et le désespoir total. Pénurie d’hydrocarbure (gaz, gas-oil), pénurie d’électricité, pénurie de riz… Les raisons d’un contexte économique et financier mondial difficile, évoquées ça et là, ne sont pourtant pas suffisamment plausibles pour convaincre les Sénégalais de la fatalité de ce qui leur arrive. Le dénuement du marché sénégalais est en contraste flagrant avec la position de notre pays dans la sous-région et avec ses potentialités en matière de ressources humaines qualifiées. Les difficultés du contexte économique étant les mêmes partout ailleurs dans la sous-région, la récurrence des pénuries au Sénégal ne peut plus être seulement imputée à la morosité du climat économique international. C’est curieux, d’ailleurs, d’entendre le président de la République se vanter d’avoir réalisé tout ce qu’il avait promis en 2000, comme s’il n’était pas au courant de ce qui se passe réellement dans son pays ! Certes le régime libéral a fait de grandes choses, mais il en a également défait beaucoup d’autres, non moins essentielles pour les Sénégalais. Qu’est devenu, d’ailleurs, le Sopi qui résumait le désir et le projet sans ambiguïté de changement de méthode de gouvernance ? Où est l’indépendance de la Justice après le feuilleton ridicule de l’affaire des chantiers de Thiès ? Où est la séparation des pouvoirs, lorsqu’un président de l’Assemblée nationale est destitué avec des méthodes aussi scandaleuses que celles qu’utilisait Mussolini pour comploter contre la démocratie ?

La présupposition de laquelle nous partons est que c’est la pénurie de vérité qui est la cause, dans notre pays, de toutes les autres pénuries : quand le mensonge et la duplicité sont exaltés et idéalisés dans une société, il n’y a plus de raison d’espérer une quelconque abondance pour cette société. La vérité n’est pas seulement une norme du discours, ni même une simple exigence morale : elle est la valeur cardinale qui rend possibles toutes les autres valeurs, l’exigence fondamentale pour toute entreprise rationnelle, pour tout acte posé par un être rationnel ; bref, la vérité est le fondement de toute vie sociale viable. Sous ce rapport, c’est paradoxal de constater que les citoyens d’un pays où 90% de la population est musulmane se disent scandalisés par les aveux de leur président sur son passé franc-maçonnique, alors qu’ils acceptent de vivre dans un régime dit laïc ! Les intellectuels sénégalais refusent systématiquement de poser et de solder le débat sur la contradiction manifeste qu’il y a entre la laïcité et la conscience de la société sénégalaise. Notre société est-elle, par nature et par mœurs, laïque ou sa laïcité lui est-elle imposée du dehors par un souci de faire des concessions honteuses à la fausse et sournoise communauté internationale ? Un président franc-maçon ou ayant un passé franc-maçonnique n’aurait jamais pu être élu dans un pays où l’écrasante majorité de la population est musulmane si, dans un tel pays, l’Islam était le fondement et le ciment de la société. L’hypocrisie dans la foi, l’apostasie, la mystification religieuse et le défaut de transparence dans la gestion d’un pays sont intimement liées parce qu’elles sont des variantes du contraire de la vérité, à savoir le mensonge. Comment pouvons-nous prétendre être musulmans et tolérer que dans notre pays le président prête serment sur autre chose que le Coran ? Cette faiblesse historique, ce complexe originel que nous, musulmans sénégalais, nourrissons à l’égard du mythe et du dogme de la laïcité sont la source de nos malheurs et de nos tourments. Les principes pseudo-philosophiques de la séparation entre le spirituel et le temporel ne sont que les succédanés d’un athéisme inconséquent et roublard qui repousse le dogme religieux pour ériger le dogme laïc ou rationaliste.

De toute façon, si on est fidèle aux principes humanistes qui fondent et guident l’idéologie rationaliste, on doit accepter qu’un peuple ait la liberté de choisir le type de Constitution qu’il souhaite, même si une telle Constitution est aux antipodes de la rationalité. Dans L’Aventure ambiguë, Cheikh Amidou Kane fait une réflexion qui nous semble très intéressante dans l’optique de ce débat : «La liberté d’aimer ou de haïr Dieu est l’ultime don de Dieu que nul ne peut enlever à l’homme.» Si donc des hommes, sur cette terre, ont la liberté de choisir de se gouverner en ex-cluant Dieu de leur Constitution et de leurs lois, ils doivent logiquement reconnaître à d’autres hommes sur cette même terre d’aimer follement Dieu au point de s’abandonner à sa Lumière, même si celle-ci apparaît aux apôtres de la raison omnidirective et infaillible comme l’obscurité. Ces intellectuels borgnes qui se réclament de la laïcité me rétorqueraient sûrement que la maxime que je viens de poser m’interdit implicitement de rejeter la laïcité ! Certes, mais justement nous ne rejetons pas la laïcité, car nous reconnaissons à tout homme le droit de se gouverner même suivant des principes absurdes. Ce que nous rejetons, c’est plutôt le dogmatisme laïc ou, plus exactement, la laïcité dogmatique qui clôt prématurément le débat sur la légitimité de la laïcité pour notre pays et sur sa prétendue supériorité naturelle sur la société islamique ou autre. Tant que ces questions préjudicielles ne seront pas posées et réglées au Sénégal, nous persisterons dans cette pénurie de la vérité qui est la mère de toutes les pénuries. Notre société souffre d’un déficit chronique de vérité et cela ne peut qu’être préjudiciable à notre épanouissement collectif. Quelle est la vérité sur les audits commandités au lendemain de l’Alternance et restés jusqu’ici séquestrés dans les méandres de la frontière nébuleuse entre l’Exécutif et le Judiciaire ? Quelle est la vérité sur le scandale des chantiers de Thiès ? Quelle est la vérité sur les dépassements budgétaires et sur les dépenses extrabudgétaires ?  Quelle est la vérité sur l’affaire des sièges de groupes de presse saccagés ? Aujourd’hui, les langues se délient et nous nous engageons opiniâtrement dans une dynamique dangereuse de délation et de dénonciations généralisées au sujet de la franc-maçonnerie ambiante dans la classe politique sénégalaise, alors que les germes de la franc-maçonnerie sont quotidiennement semés de part et d’autre. Wade est ou a été franc-maçon, tel autre l’est : ce n’est pas cela le vrai problème. La question est de savoir qu’avons-nous réellement fait pour barrer la route à la franc-maçonnerie dans notre pays ?

La vérité est que si la franc-maçonnerie s’est imposée au Sénégal, c’est parce que notre «islamité» a échoué d’une certaine façon. Il ne faut pas fausser le débat en prenant pour cible les effets et non les causes : nous ne gagnerons rien en nous accusant réciproquement de franc-maçonnerie. Ce serait un très mauvais service rendu à l’Islam et même à la démocratie que de transformer la question de la franc-maçonnerie en une arme politique dont on se sert pour abattre des adversaires. L’on se rappellera, sous ce rapport, que n’eut été la clairvoyance du général De Gaulle au lendemain de la libération, la victoire sur les Nazis aurait très vite tourné en cycle de règlements de compte : tout le monde se méfiant de tout le monde et tout le monde accusait tout le monde d’avoir été collaborateur. Si l’on n’y prend pas garde, le débat actuel sur la franc-maçonnerie sera perverti de cette même façon par les politiciens eux-mêmes.

Au regard de toutes ces considérations, l’on retiendra que même si ça peut être utile de chercher la vérité sur le passé et le présent franc-maçonniques du président, il est encore plus impérieux de chercher la vérité sur notre choix de la laïcité. L’assurance dogmatique avec laquelle nous fermons le débat sur la nature de nos institutions nous aveugle de sorte à nous aliéner toute lucidité face aux périls de l’unilatéralisme occidental qui sert de terreau fertile à la franc-maçonnerie. L’essence même de la franc-maçonnerie est jsutement de parasiter toutes les valeurs de l’humanisme de sorte qu’on ne peut revendiquer l’humanisme sans être rationnellement infiltré par la pratique et la croyance franc-maçonnes. Ce faux humanisme dont Claude Lévi-Strauss disait qu’il est «corrompu aussitôt né» à cause de son unilatéralisme est le prétexte et le moyen de la franc-maçonnerie. Le problème n’est plus donc de savoir si, pour s’imposer, la franc-maçonnerie a capturé la rationalité philosophique et économique occidentales (elle l’a bien réussi et depuis longtemps), le problème est plutôt quelle est l’alternative pour faire face à la franc-maçonnerie ?


Alassane K. KITANE - Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck Thiès



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