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Terme Sud : Théâtre d’une guerre fratricide entre 79 familles de militaires et une « hiérarchie assoiffée de terres »

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Terme Sud : Théâtre d’une guerre fratricide entre 79 familles de militaires et une « hiérarchie assoiffée de terres »

A la suite d’un contentieux vieux de 11 ans, 79 familles de militaires de l’armée de l’air ont été violemment chassées des logements qu’elles occupent depuis plus de 30 ans. Retour sur les péripéties de cette guerre fratricide entre la hiérarchie et ses subalternes.


Terme Sud est en état de siège en cette matinée de mercredi 30 septembre 2020. Avec une cinquantaine de véhicules et des centaines d’hommes armés jusqu’aux dents, l’armée et la Dscos ont très tôt investi les lieux (7 heures du matin) pour procéder au déguerpissement des 79 militaires à la retraite et leurs familles qui occupent les logements litigieux depuis plus d’une trentaine d’années. Malgré les gros moyens déployés, les 79 militaires et leurs familles, ayant-droits légaux de ces logements pour avoir fait valoir leur droit de préemption auprès des hautes autorités étatiques, ont fait honneur à leur devise : « on nous tue mais on ne nous déshonore pas ».

Ils ont opposé une résistance farouche à ce qu’il convient d’appeler une machine de persécution mise en branle depuis 2009 par la hiérarchie militaire, « le nouveau Cemga, Birame Diop (à l’époque général de l’armée de l’air) en premier chef ». Leurs bagages jetés à la rue comme des malpropres qui n’ont jamais servi sous le drapeau, ces militaires qui ont tenu tête pendant près de deux décennies à cette « hiérarchie assoiffée de terre » au prix de leur carrière, ont malheureusement perdu, hier, le combat de leur dignité, arme à la main.

Retour sur un vieux contentieux foncier au cœur de l’armée de l’air

Pour percer le mystère de cette histoire rocambolesque qui écorne aujourd’hui l’image de l’armée sénégalaise, il faut remonter aux origines de ce quartier niché dans la zone stratégique comprise entre l’Etat-major de l’armée de l’air et l’ancien aéroport international de Dakar. Avec une vue imprenable sur la piste de l’aéroport Léopold Sédar Senghor, combinée à la flambée du prix du mètre carré dans cette partie de la capitale sénégalaise, pas étonnant que Terme Sud attise la convoitise des ‘’prédateurs fonciers’’ en uniforme.

Petite enclave, juchée derrière la belle cité Comico de Ouakam, Terme Sud aiguise, en effet depuis plus d’une vingtaine d’années les appétits voraces de la hiérarchie militaire. Hameau inhospitalier avec des lugubres habitations, l’endroit aux allures d’une base militaire abandonnée, est le théâtre d’une guerre de nerfs entre la hiérarchie militaire et 79 sous-officiers de l’armée de l’air qui gitent dans ces bâtiments sinistroses depuis plus de trente ans.

Construits en 1936 par l’armée américaine, ces bâtiments de plus de 80 ans seront cédés aux Français. Ces derniers les céderont à leur tour à l’Etat du Sénégal. L’armée sénégalaise y logeait ainsi ses éléments qui officiaient dans les cantonnements environnants. Déclassé du domaine privé de l’Etat en 1994, c’est à cette date que Terme Sud a commencé à faire saliver la hiérarchie militaire tapis derrière la coopérative de construction (Comico). Ces derniers, selon le collectif des habitants, ont cherché par « toutes les armes », « parfois non-conventionnées » à faire main basse sur ce site au nez et à la barbe de leurs frères d’armes, ayants droit légaux, qui y logent et à qui ces bâtiments reviennent de droit pour avoir demandé et obtenu leur droit de préemption auprès des autorités étatiques depuis 2002.

 « Une hiérarchie militaire assoiffée de terres »

« On ne logeait pas gratuitement dans ces bâtiments. C’était en contrepartie de l’Indemnité représentative de logement (Irl) de 111 mille Francs Cfa que le ministère des Finances coupait mensuellement de notre salaire. On coupait également de notre salaire les frais d’entretien des bâtiments ainsi que l’eau et l’électricité militaire », précise Al Hassane Hann qui loge depuis près de 30 ans avec sa famille à l’instar de ses frères d’armes Eugène Demba, Paul Ignasse Badji, Djibril Diémé, Michel Sagna et bien d’autres.

Contrairement aux autres corps qui logeaient dans ledit site (Sapeurs-pompiers, policiers, douaniers et agents de la météo qui officiaient à l’aéroport LSS) qui ont bénéficié de la rétrocession de ces logements grâce à l’appui de leur hiérarchie, ces militaires de l’armée de l’air sont les seuls à n’avoir pas bénéficié de cet élan de générosité de l’Etat du Sénégal au début des années 2000.

Selon l Hassane et Cie, c’est parce que la hiérarchie militaire notamment le commandement de l’armée de l’air n’a pas joué franc-jeu dans le dossier. « L’Etat a rétrocédé les logements aux agents de la météo, les policiers et récemment les douaniers dont les hiérarchies sont allées plaider leur cause. Nous, c’est notre propre hiérarchie qui, au-lieu de nous aider, cherche à nous chasser des lieux. Nous ne pouvions pas revendiquer ni nous organiser en association pour écrire aux autorités étatiques, droit de réserve oblige. Nos femmes ont décidé de porter le combat depuis 2002 parce qu’elles avaient les coudées franches. Elles ont fait des démarches pour faire valoir nos droits de préemption », racontent-ils.

En effet, regroupées en collectif, ce sont les femmes de ces militaires en activité à l’armée de l’air à l’époque, qui avaient porté le combat. Elles avaient commencé en 2000 déjà en adressant une demande au Premier ministre de l’époque Moustapha Niasse qui avait émis un avis favorable. Mais les choses étaient restées en l’état malgré cette décision. Puis, quelques mois plus tard elles, ont saisi Mame Madior Boye (Premier ministre en remplacement de Niasse) et Bécaye Diop (alors ministre des Forces armées) qui avaient tous les deux émis des avis favorables, restés sans matérialités.

Pensant que leur requête n’était hélas qu’un vœu pieux, grande a été leur surprise quand en 2007 les femmes se sont rendues au ministère des Finances pour faire le suivi du dossier. « Elles ont appris que l’Etat du Sénégal avait émis une réponse favorable à notre requête de disposer de ces logements et celle-ci (la réponse du président de la République Abdoulaye Wade) a été transmise à la hiérarchie militaire qui ne nous a jamais informés parce qu’elle manigançait pour prendre possession de ces logements», confie Michel Sagna.

Hann d’ajouter qu’un « certain Dame Fall, qui s’occupait des dossiers domaniaux au niveau du ministère des Forces armées, et la hiérarchie ont tout bonnement changé la liste nominative des ayants droit que nous sommes (75 familles) en faveur d’officiers supérieurs de l’Armée ».

Brimés et persécutés, beaucoup quittent l’armée

Pour avoir tenu tête, à visage découvert, à la hiérarchie qui les a sommés à moult reprises de vider les lieux en vain, beaucoup d’entre eux ont été contraints de quitter l’armée. Modus operandi : les bloquer dans leurs avancements et grades et les écarter des missions et stages à l’étranger pour le simple motif de « refus de quitter un logement ». Le coordonnateur du collectif, Al Hassane Hann en ce qui le concerne, a vu ses 25 ans de carrière militaire littéralement anéantis.

« Las de cette persécution, j’ai écrit une demande de résiliation de contrat pour quitter l’armée en date du 7 avril 2011. Tout le monde a fait ses observations et a émis un avis favorable sauf le Général Birame Diop », raconte Al Hassane Hann qui signale que le Général Diop a posé comme préalable au traitement de sa demande, la libération immédiate du logement qu’il occupe à Terme Sud.

« Monsieur le commandant chef des moyens techniques du GSAA, en vous demandant de vouloir bien inviter l’intéressé à libérer le logement illégalement occupé sur le site du Terme Sud avant toute exploitation de sa demande’, c’est ce que le Général a écrit », narre-t-il. Après un bras de fer qui a failli atterrir en justice, l’autorité s’est finalement résignée à le libérer. Mais, bémol : « ils ont refusé de me donner mon certificat de bonne conduite pour me faire passer pour un indiscipliné. J’ai même fais une demande pour qu’on me le donne, il l’a rejetée. Jusqu’à l’heure où je vous parle, ils détiennent mon certificat de bonne conduite militaire ».

11 ans de marathon judiciaire

La persécution n’ayant pas fait d’effet, la hiérarchie a finalement activé la Comico qui a déposé une assignation d’expulsion le 7 septembre 2009. Mais, dans sa décision numéro 4029 rendue 23 septembre 2010 (voir photos), le Tribunal hors classe de Dakar, présidé par Aminata Fall, s’était déclaré incompétent pour connaître de ce contentieux. Car il y a une contradiction entre ce que la Comico a déclaré et la constatation sur le site litigieux. En effet, la Comico a déclaré avoir acheté auprès de l'État du Sénégal un « terrain nu » de 31 902 m2.

Dans l’ordonnance de référé, le Tribunal dit que « les sieurs Insa Coly et autres occupent des logements de fonction sur le site litigieux », donc ils sont établis sur un terrain déjà construit. Une «constatation» qui contredit alors, selon le juge, les déclarations dans la copie du titre précité puisqu’il ressort de celle-ci que la Comico est propriétaire d’un terrain nu. Le tribunal s’est alors fondé sur les contradictions relevées par « le conservateur de la propriété foncière », pour se déclarer incompétent au vu des difficultés sérieuses qui lui empêchent de statuer.

La Comico essuiera un autre revers en 2015, puisque, sur recours des avocats du collectif des habitants de Terme Sud, le tribunal avait non seulement ordonné « la radiation de l’inscription du nom de la Comico sur le Tf 4417-DG », « déboute la Comico de sa demande reconventionnelle en expulsion comme étant mal fondée » et « condamne l’Etat du Sénégal et la Comico ».

Deux décisions que le nouveau patron de la Dirpa – qui n’a, par ailleurs, rien à faire dans ce contentieux civil (jugé par un tribunal civil et non militaire)-, Colonel Mactar Diop a sciemment occultées dans sa déclaration de ce mercredi. Préférant se référer à la décision de 2019 qui leur est favorable malgré toutes les « bizarreries ».

Un dossier, mille paradoxes

« Par une parodie de justice ils ont trouvé le moyen de nous attaquer. Ils sont allés au tribunal, ils ont fait leur gymnastique, trouvé l'assentiment de leur juge déclaré sur la base d'un terrain nu pour venir expulser des militaires en activité et à la retraite dans des bâtiments », commente Al Hassan Hann qui s’insurge contre la dernière décision rendue par la cour Suprême.

Encore plus grave, dans son communiqué en date du 28 septembre 2020, la Dirpa indique : « par arrêt n 48 du 26 décembre 2019, la Cour suprême a confirmé la pleine propriété de la Comico sur l’extrait du titre foncier n° 1143-NGA sis à Ouakam Terme Sud qu’elle a acquis à titre onéreux auprès de l’Etat du Sénégal le 16 octobre 2018 ». Un paradoxe ! Le litige sur ce site date de 2009 et deux décisions avait été rendues par la justice, l’acquisition, elle, date du 16 octobre 2018, soit 9 ans après la première assignation d’expulsion.


L’autre bizarrerie selon Al Hassan Hann et Cie, c’est que des « baux fictifs ont déjà été vendus à des tiers sur le même site ». Ce qui pousse Hann à dire que « la véritable raison de cette expulsion, c’est qu’ils ont déjà vendu des baux fictifs sur ces parcelles et ils risquent la prison s’ils ne nous chassent pas pour récupérer les parcelles ».

Comico, une puissante association privée dont la Com est portée par la Dirpa

L’autre fait qui semble intriguer plus d’un, c’est que la Comico, association privée qui n’a rien de militaire que son nom, soit aussi puissante. En plus de la direction de l’information et des relations publiques des armées (Dirpa) qui assure sa communication, la Comico dispose aussi d’une force militaire. D’ailleurs, elle a étalé sa toute-puissance hier à Terme Sud en dépêchant plus d’une centaine de militaires lourdement armés en appui à la gendarmerie et la Dscos. Or, comme on le sait, le maintien de l’ordre dans le territoire national, surtout dans les grandes villes, est du ressort de la police et de la gendarmerie, l’armée n’intervenant qu’à titre exceptionnel.

Le collectif des habitants de Terme Sud se demande d’ailleurs comment une association privée qui regroupe aussi bien des militaires que d’autres corps habillés ainsi que des civils, peut-elle être aussi militarisée ? Au point que l’armée régulière porte ses ‘’combats’’ en pleine zone urbaine. « Parce qu’il faut le rappeler. Ici (Terme Sud), ce n’est pas une zone militaire, selon les états de droit réel que nous détenons », précise Hann.

Expulsés à deux jours d’une autre audience en référé concernant le même litige (prévue ce vendredi 2 novembre) et d’un probable rabat d’arrêt à la suite de la décision de la Cour Suprême, ces anciens militaires qui ont passé la nuit à la belle étoile, comptent mener l’ultime combat pour sauver leur honneur. Du moins, ce qui en reste.

[Encadré]

La part de vérité de la Dirpa

"Il s’agit d’anciens militaires à qui des logements avaient été affectés pour nécessité de service au camp des mariés de la cité Terme Sud, explique sur Radio Sénégal le colonel Mactar Diop, patron de la Dirpa. Un militaire doit être logé par les Armées. Donc, il a le choix entre percevoir une indemnité représentative de logement, qui est intégrée dans sa solde mensuelle ou demande au commandement de lui affecter un logement.

En général, lorsque les logements sont disponibles, le commandement défère à cette demande. Donc, les anciens militaires, parce qu’à l’époque c’était des militaires, avaient bénéficié d’un logement de service dans ce camp des mariés. Maintenant, libérés, ils n’ont pas quitté. Parce qu’il faut savoir que ces logements, qui datent de l’époque coloniale, étaient dans un état de délabrement voire d’insalubrité avancé.

Par solidarité et par compassion, le commandement les avait laissés là-bas, le temps de détruire ces logements pour en édifier de nouveaux. Entre-temps, la Comico a formulé une demande auprès de l’État et a acheté cette parcelle, en octobre 2008. La Comico est la coopérative militaire de construction, regroupant les militaires de l’Armée, de la Gendarmerie et des Sapeurs-pompiers mais également les membres des forces paramilitaires. C’est-à-dire tous ceux qui portent l’uniforme dans ce pays peuvent adhérer à la Comico, qui a eu à développer beaucoup de programmes à Yeumbeul, à Thiès, (entre autres).

Après l’achat de ce terrain, naturellement la Comico a voulu prendre possession de son bien, qu’il a acheté auprès des Domaines. Mais, entre-temps, les anciens militaires s’étaient constitués en collectif, et ont introduit un recours au niveau de la Justice pour demander d’annuler cette vente, estimant qu’ils avaient un droit de propriété là-bas. Et ils ont été déboutés par l’arrêt de la Cour suprême du 26 décembre 2019.

Par cet arrêt, la Cour suprême a dit que ces terrains appartiennent bel et bien à la Comico, qui est en droit d’entrer en possession de son bien. Après ce jugement, la Cour suprême a commis un huissier aux fins de notifier aux membres de ce collectif, cette décision. A la suite de la notification, les membres du collectif avaient demandé à la Justice de leur donner le temps de se préparer. Ils ont introduit ce référé auprès du Tribunal d’instance hors classe de Dakar.

Après deux séances auprès de ce Tribunal assistées par leurs avocats, le juge des référés a décidé par l’ordonnance n°1974 du 28 août 2020, que la Comico peut continuer la procédure d’expulsion sans délai et sans nouveau référé. Donc, à partir de là, la décision était devenue définitive et exécutoire. (…)

Naturellement, les services de l’État, la DSCOS (Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol) est passée à l’action, aujourd’hui, pour que la Comico prenne possession de son bien, et continue son programme d’habitat au profit de la communauté militaire".

Ordonnance référé Comico

Arret Comico


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