Décidément, le football sénégalais a l’art de se tromper de priorités. Après avoir difficilement digéré la terrible déconvenue du 11 octobre et l’élimination de la course à la CAN et au mondial 2010, il fallait faire contre mauvaise fortune bon cœur (ou alors savoir raison garder) et se pencher enfin au chevet du football local. Le paradoxe, c’est que tout le monde est d’accord que le développement du football passe nécessairement par les clubs et le passage obligé vers le professionnalisme, mais jusqu’à présent rien de concret n’a été fait. Pourtant, voilà bientôt deux ans que l’ancienne fédération puis le Comité de Normalisation du Football ont défriché le terrain, identifié les grands problèmes, tracé un canevas de travail, posé des critères de sélection, ébauché des statuts (des clubs, des techniciens, des joueurs) et proposé des textes. Tout cela en rapport avec les clubs et la tutelle. Mais il y a des forces d’inertie terribles qui freinent toutes les initiatives. Le football pro n’est pas permis à tout le monde, ceux qui ont les moyens de le faire le font, que les autres continuent le football amateur comme avant. Au lieu de faire du blocage et de crier à l’injustice, que ces clubs se battent pour, dans deux ou trois ans, arriver au niveau des autres et créer les conditions d’un club d’élite. D’autres font du juridisme en convoquant les textes de l’OHADA et les lois sénégalaises, la charte du sport ou le code des obligations civiles et commerciales pour montrer qu’on ne peut pas faire du professionnalisme au Sénégal. Cela tout le monde le sait, les administratifs de la fédération, les fonctionnaires du ministère, les présidents de clubs dont certains sont avocats, magistrats ou capitaines d’industrie et moult personnes qui gravitent autour du football.
De quoi s’agit-il alors ? De passer au professionnalisme ou alors au football non amateur comme tout le monde autour de nous, les Maliens, les Burkinabé, les Nigérians, les Ivoiriens, les Nord-Africains, les Gabonais, les Angolais, les Sud Africains etc. Au départ, nous avons globalement les mêmes lois héritées de la France ou de l’Angleterre. Nous sénégalais n’allons rien inventer, seulement pour une fois essayer de faire comme les autres, comme ceux qui gagnent en Afrique. Maintenant, c’est vrai qu’il nous manque un facteur très important, de loin le plus important, c’est la volonté politique, l’adhésion ferme de l’Etat. Mieux, l’engagement personnel du Président de la République. Ailleurs, ce sont Kwame Nkruma (fondateur du « Black star »), Houphouët-Boigny (après la débâcle d’Abidjan 84), Mobutu (qui rêvait de la suprématie continentale des « Léopards »), Sékou Touré (et son amour tyrannique pour le « Syli » et le Hafia), Hassan II (très attentif aux « Lions de l’Atlas » et aux FAR), Ben Ali (très engagé pour le développement du sport tunisien et du football), Blaise Compaoré, Bongo, Moubarak, Santos, Kenneth Kaunda (l’équipe nationale de Zambie s’appelait « Kaunda eleven ») etc. Autant de chefs d’Etat qui se sont engagés pour le sport. Et leur volonté politique a été traduite en actes concrets hier comme aujourd’hui par les ministres ou Premiers ministres.
Au moins 3 milliards Cfa
Chez nous, oublions Senghor et Abdou Diouf, c’est le président Abdoulaye Wade qui aujourd’hui détient la clé du développement du football sénégalais. S’il le décide, il débloquera les fonds nécessaires, au moins 3 milliards Cfa, pour les infrastructures, les clubs et le démarrage du football pro (qui créera des centaines d’emplois jeunes), il fera faire le toilettage des textes au niveau de l’Assemblée nationale, il prendra des décrets et ses ministres des arrêtés pour inciter les entreprises nationales à aider les clubs et faciliter l’émergence du football pro. Ce que les autres présidents ou rois ont fait pour l’essor de leur sport en général et du football en particulier, Abdoulaye Wade le peut. Mais le Président Wade connait-il seulement l’état réel du sport et du football sénégalais ? Est-il bien conseillé dans ce domaine ? Pas sûr du tout, car la dernière fois qu’il a reçu le mouvement sportif à la présidence, il avait demandé ce qui n’allait pas et ce qu’il pouvait faire pour le football. Les gens par démagogie ou clientélisme lui ont répondu que « tout va bien, M. le président ». Quelle grave faute ! Les ministres, les présidents de fédération qui sont passés, ne se sont occupés que de campagnes. Aujourd’hui, puisqu’ils ne l’ont pas fait depuis deux ans, c’est aux présidents de clubs (dont la fédération est l’émanation) avec les fonctionnaires (non politiques) du ministère des Sports de ficeler un dossier solide prenant en compte tous les problèmes du football et de rencontrer le président de la République pour le lui soumettre. Si après avoir eu des éléments d’appréciation, le Président décide qu’il faut aller vers le football professionnel, et qu’il donne des ordres dans ce sens, cela se fera très rapidement. S’il ne dit rien alors le projet sera renvoyé aux calendes grecques sans autres formes de procès. La réforme de 1969 qui était venue à son heure, c’est Senghor qui l’avait voulue et l’avait fait exécuter par des hommes de valeur. Le foot pro peut rapidement se faire sous Wade à condition de le persuader de sa pertinence. Et il est grand temps car, pendant que les autres avancent, nous faisons de la masturbation intellectuelle pour savoir si nous devons reculer, stagner ou avancer.
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