PROFIL - Aminata Mbaye, avocate générale près la Cour de Cassation : L'amazone de non droit

Principale maîtresse d' oeuvre du dossier de corruption qui met la Justice sénégalaise dans tous ses états, cette «drianké» sénégalaise de 58 ans au commerce facile, serviable et mondaine, aurait pu finir sa carrière dans l'anonymat absolu. Pour une crasseuse affaire d'argent négociée sous la toge, elle s'est condamnée à vivre à l'étroit dans la famille de la magistrature. En attendant la sanction des pairs.

Une dure à cuire, celle-là, mais alors une vraie. Aminata Mbaye, l'Avocate générale au coeur du scandale de corruption auquel la Justice sénégalaise se fait face présentement, est de la cohorte de ces femmes qui «dégagent» parce que simplement la société ne les considère pas comme des «innocentes». Comprenez : c'est une «branchée». Sortie de l'anonymat par la mauvaise grâce de cassettes sataniques échues entre les mains de journalistes «impitoyables», la magistrate est entrée en célébrité. Bien malgré elle. Quinze millions de francs Cfa sont passés entre ses mains. Elle regrette. Las ! le temps des regrets coïncide rarement avec le temps judiciaire. La machine à sanctions est en branle.

Ironie de l'histoire , mais ironie forcément cruelle dans les circonstances actuelles, le sort de la dame Aminata Mbaye est en partie entre les mains de juges avec qui elle a fait ses humanités. Diplômée de la deuxième promotion de l'Ecole nationale d'administration et de magistrature (Enam) sortie en 1977, l'avocate générale est une condisciple de Mandiogou Ndiaye, le très discret patron de l'Inspection générale de l'administration judiciaire (Igaj) en charge de l'enquête. Mais également de Cheikh Tidiane Diakhaté, Premier président de la Cour d'Appel de Dakar et président de la Haute Cour de Justice mise en place dans le cadre des «Chantiers de Thiès», Mamadou Badio Camara, secrétaire général de la Cour de Cassation, Souleymane Sô, Premier président de la Cour d'Appel de Kaolack et père de Abdourahmane Sô «Lénine», l'avocat de Momar War Seck dit Talla, le prévenu dans la présente affaire. Deux de ses promotionnaires ont quitté la magistrature pour le Barreau : Mayacine Tounkara et Ibrahima Sarr. Un autre n'est plus de ce monde : Malick Dia, parrain du «Parcours sportif» de la Corniche-Ouest. De la belle compagnie pour une grande dame sur laquelle pèsent des jugements divergents, mais qui, finalement, résument sa personnalité. De ce magistrat retraité, ce témoignage : «Sa manie à rouler ses yeux (Ndlr : en wolof, on appelle cela le lamsal), sa propension au xeessal (Ndlr : dépigmentation de la peau) et un goût très prononcé pour les questions de séduction, m'ont toujours poussé à me poser des questions sur sa vocation à servir la Justice.» Un avocat membre du Barreau sénégalais complète, à sa manière, le côté «négatif» du profil. «Elle a toujours eu une réputation à parfaire durant le temps qu'elle a passé dans la magistrature.» En langage prosaïque, le jugement est moins évident à transcrire, selon notre code moral.

Avocate générale à la Cour d'Appel avant ses fonctions actuelles à la Cour de Cassation, Aminata Mbaye n'a peut-être jamais exercé de fonctions judiciaires de premier plan, mais l'énoncé de ses qualités humaines est une constante dans la magistrature.

Cette femme au «commerce facile» de 58 ans, soeur de l'expert judiciaire Tanor Mbaye, est décrite comme une «bonne sénégalaise», une «drianké» qui ne refuse jamais les mondanités de la jet-set dakaroise, «portée vers le luxe et l'argent». Opinion très vite tempérée par un autre avocat : «Aminata est l'exemple de la personne qui rend service et qui aime rendre service. Dans cette affaire comme dans une autre, elle aurait pu bien intervenir sans demander un sou. C'est sa nature, elle est naturellement joviale.»

Mariée une première fois avec un «boss» de la défunte compagnie Air Afrique, elle en a eu des enfants dont l'un, âgé d'une trentaine d'années, réside au Canada. Des années plus tard, c'est avec un cadre de la Banque de l'Habitat du Sénégal (Bhs) qu'il entre dans les liens d'un second mariage. Son mari ira ensuite poursuivre sa carrière à Lomé, attiré par les sirènes de la Banque ouest-africaine de développement (Boad).

Dans ce dossier de corruption pendant devant la Justice, sa Justice à elle, Aminata Mbaye s'était dévolue un rôle, porter leurs parts à ses collègues qui avaient accepté de «jouer le jeu», en toute discrétion. Mais quelques langues pendues l'ont perdue, à jamais peut-être. La faute à «Talla (Ndlr : le prévenu) qui a parlé à Lénine (Ndlr : son avocat) qui a parlé à un des juges», peste-t-elle avec l'ardeur d'une amazone du droit prise dans le piège du non droit.

Aux termes des investigations du juge Mandiogou Ndiaye et des sanctions à venir du Conseil supérieur de la magistrature, elle pourrait bien être contrainte de quitter cette famille à laquelle elle appartient depuis trente ans. Dans ce cas, l'histoire retiendra qu'un de ses camarades de promotion, le juge Mandiogou Ndiaye, aura pris part à sa «liquidation» professionnelle. Fin de carrière prémonitoire alors avec cet aveu, terrible, du magistrat cité plus haut. «J'ai toujours eu le sentiment que la Justice, le métier de juger, n'a jamais été faite pour elle.»

Dans les Cd enregistrés à son insu par Djiby Ndiaye, elle a le temps de ruminer son imprudence. «Même pour un milliard (Ndlr : de francs Cfa), ça ne valait pas la peine de se mouiller dans cette affaire.» Celle qui voulait tant limiter les péripéties de la magouille pénale au cercle des seuls initiés de l'affaire n'est pas arrivée à ses fins, en dépit de ses précautions.

Elle savait les risques encourus en cas d'ébruitement de l'affaire. Elle a joué et (peut-être) perdu. Victime d'un système. Si c'était à recommencer, elle ne s'y prendrait plus. «C'est la première fois que j'entre dans ce truc comme ça, c'est fini, plus jamais. Je ne le ferai plus jamais!» A voir.