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ÉMIGRATION CLANDESTINE/ 30 MORTS, 200 DISPARUS: Thiaroye sur mer, une cité endeuillée

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ÉMIGRATION CLANDESTINE/ 30 MORTS, 200 DISPARUS: Thiaroye sur mer, une cité endeuillée
 

Avec plus de 30 décès et près de 200 portés disparus qui n'ont pas donné signe de vie depuis Février 2006, le village de Thiaroye s/mer est de loin l’une des localités touchées par le phénomène de l’émigration clandestine. Mais si certains ont accepté avec résignation la mort des leurs, d'autres la refusent jusqu'ici, après neuf mois sans nouvelles. Dans le même temps, les rapatriés d'Espagne s'indignent de la responsabilité du Président de la République dans cette affaire et exigent des visas de retour. À défaut, ils se feront entendre. D'après les témoignages recueillis sur place, sur la dizaine d'embarcations partie de Thiaroye, trois seraient restées en mer, comme ces deux autres qui s'étaient déplacées en Mauritanie et parties de Nouadhibou.

Même si le nombre exact de pirogues disparues en mer reste inconnu, des informations recoupées çà et là permettent de noter qu'une trentaine d'embarcations transportant des émigrés clandestins ne serait pas arrivée aux îles Canaries (Espagne). Une pirogue peut contenir entre 50, 75 ou 100 candidats à l’émigration. Seulement, il faut reconnaître qu'avec l'engouement suscité par ces départs clandestins, les passeurs qui ne se souciaient que de leurs économies, n'avaient pas respecté les normes de transport. Résultat des courses, les pirogues dépassaient largement le nombre requis de passagers. Le village de Thiaroye s/mer compte à lui seul plus de 200 portés disparus et plus de 30 décès consommés. Des témoignages dignes de foi ont indiqué que les deux pirogues de la localité parties de la ville de Nouadhibou, en Mauritanie, à la fin du mois de Février dernier, avaient chacune à son bord une centaine de candidats. L’une des embarcations en contenait, dit-on, 117 personnes. Les candidats à l’émigration qui étaient dans l’une des trois autres pirogues qui ont quitté Thiaroye s/mer, durant la même période, ne sont pas arrivés aux îles Canaries. Les cas de décès enregistrés sont survenus, dans leur majorité, entre les mois de Janvier, Février et Mars 2006.

Dans l'enfer des vagues

Le trajet menant vers les îles Canaries est un véritable parcours du combattant pour les embarcations de type artisanal utilisées à cette fin. En partant du sud vers le Nord, l'on fait face de proue à la furie des vagues qui descendent vers le Sud. Tanor Dieng, âgé de 22 ans et résident du quartier Baye Macoumba Sylla de Thiaroye s/mer, en sait quelque chose tout comme ses amis aventuriers. Tanor était parti de Élinkine, en Casamance, le 18 mars 2006. Son embarcation aura fait sept jours de trajet avant d'accoster à Tenerife, avec difficultés. « Dès notre départ, des passagers avaient le mal de mer et déliraient. La mer était agitée. Heureusement, après deux jours de voyage, le calme était revenu. C'était une véritable épreuve pour ceux qui n'avaient jamais eu l'expérience de la mer, par contre les pêcheurs qui avaient l'habitude d'aller loin au fond de l'océan, étaient restés de marbre. C'était très dur, chacun se méfiait des autres. Nul n'avait confiance en personne, car nous ne nous connaissions pas. C'est pourquoi, il y avait beaucoup d'engueulades et même des bagarres. Nous dormions serrés les uns contre les autres », se rappèle-t-il encore.

Au quartier Ibrahima Ndong de Touba Thiaroye, le vieux Mambaye Thiam évoque l'histoire de son fils Massaër Thiam, un jeune tailleur âgé de 23 ans, disparu dans une expédition partie de Yarakh. Cette histoire lui est racontée par trois rescapés de cette expédition. « Mon fils est décédé le 13 août 2006. Nous lui avons fait la charité le Dimanche suivant. Massaër était parti avec ses trois cousins qui sont sauvés, ils sont présentement à Kaolack. Ils étaient presque arrivés à destination, quand leur capitaine avait repris le large, il avait décidé que cette direction n'était pas la bonne. Leur carburant était épuisé et ils s'étaient égarés pendant 9 jours sans manger ni boire. C'est alors qu'ils commencèrent à décéder un à un. Massaër avait le premier rendu l'âme dans la pirogue, la tête posée sur les cuisses de mon homonyme, son demi-frère. Quelques minutes plus tard, un autre garçon était décédé dans la pirogue », a révélé le vieux Mambaye Thiam. Le mouvement des vagues avait porté cette pirogue jusqu'aux eaux territoriales du Portugal d'où un bateau en partance pour l'Afrique les tirera jusqu'aux larges de Nouadhibou. Malheureusement, cette embarcation n'aura pas atteint la côte, elle était brisée en pleine mer et ses survivants avaient regagné la terre ferme à la nage.

Des parents dans le désarroi

De nombreux parents du village lébou de Thiaroye s/mer sont dans le désarroi. Leurs enfants sont portés disparus. Des épouses ne parviennent pas à faire le deuil de leur mari restés en mer. Dans le quartier Médina Niang, plus connu sous l'appellation Oryx, Falé Ndiaye Diop est âgée de 77 ans. Son fils Abdou Aziz Ndoye, dit Mara, et son petit-fils Mame Gorgui Ndoye, étaient partis de Nouadhibou en Mauritanie. Ils avaient quitté Dakar entre le 16 et le 17 février dernier. Ils sont portés disparus. « Nous avions appris que leur pirogue était perdue en mer. Des gens avaient rapporté qu’un équipage les aurait aperçu et avait même promis de les prendre à son bord à son retour. Cela fait maintenant un mois et huit nuits qu’ils sont sans secours. Nous ne pouvons pas dire qu'ils sont morts ou non. Nous avons, toutefois, entendu dire ces derniers temps que des clandestins sont sauvés en Algérie et conduits en prison. Ce sont peut-être eux ? Seul Dieu sait. Avant de partir, ils nous avaient appelé de Mauritanie pour nous dire qu'ils ne pouvaient pas encore partir à cause du mauvais temps. C'était leur dernier coup de fil », a révélé la vieille dame.

Alé Ndiaye devait lui être âgé de près de 35 ans. Il était boutiquier, marié et père d'une fillette de quatre ans. Il avait fait appeler son frère Mor Ndiaye de Touba pour venir le remplacer à sa boutique du quartier Oryx. « Quand j'étais arrivé ce jour-là vers 13 h, il m'avait conduit à Thiaroye Gare pour m'introduire auprès de ses principaux fournisseurs. Le lendemain, il était parti et m'avait informé qu'il allait en Espagne. Depuis, nous n'avons eu aucune nouvelle de lui », déclare Mor Ndiaye.

Khary Diagne du même quartier révèle elle aussi que son fils Djily Touré était de cette expédition, partie de Nouadhibou. « Mon fils était carreleur. Il ne m'a pas informée de son départ, mais je suis persuadée de sa bonne foi, il est parti pour pouvoir aider ses parents. C'était son seul espoir, je le connaissais bien. Je crois fermement qu'il est en vie. Nous avons entendu dire que des clandestins sont enfermés en Algérie. Le gouvernement doit nous aider et entrer en contact avec notre ambassade pour les rechercher dans les prisons algériennes ».
Un peu plus loin, au quartier Niangué, situé à quelques dizaines de mètres du rivage, Nganga Diop est mère de deux enfants. Son mari, Séni Faye, se trouve sur la liste des portés disparus. « Mon mari est parti au courant du mois de février, il avait regagné la Mauritanie. Il était accompagné de son grand frère Ibrahima Faye. Nous avons consommé deux ans de mariage. Cet enfant est né derrière lui. Je crois fermement qu'il est en vie », dit-elle. Une autre dame du nom de Khoudja Guèye est elle aussi dans la même situation. Son mari lui a laissé trois enfants dont l'un est né derrière lui.

Ngoné Badiane Diop est la tante maternelle de Ibrahima Diop. Elle s'inquiète beaucoup de son sort.
Woli Guèye est une jeune fille qui a perdu son oncle Assane Niang et ses deux frères Baye sidi Guèye et Abdou Souleymane Mar. « Nous ne savons rien d'eux depuis leur départ », avoue-t-elle.

Mame Maguette Faye, Mouhamed Niang dit Ngary (marié et père d'une fille), Habib Bèye, Cheikhou Diop, Djiby Diba dit Djiby Guèye, Badou Saw Kandji, Amath Sy Niang, Youssoupha Niang (marié à 2 femmes et père de 7 enfants), Samba Mar dit Samba Gning, Meissa Niang, pour ne citer que ceux-ci, sont tous portés disparus. « Nous devons sortir et marcher pour nous faire entendre. Nous irons à l'ambassade d'Algérie. Nous avions entendu qu'ils étaient détenus là-bas et auraient été libérés après six mois de détention. Le temps passe sans que nous ayons de nouvelles d'eux », s'indigne Awa Mar Seck.

Mécontents du rapatriement forcé

Ils sont très nombreux à Thiaroye s/mer les jeunes rapatriés des camps espagnols. Macoumba Mbaye étale l'ampleur de leur indignation. « Les Espagnols nous ont affirmé qu'ils avaient besoin de près d'un million de travailleurs. Ils nous ont dit qu'ils nous retournaient contre leur gré, ils le faisaient parce que le président sénégalais le voulait. Les autres nationalités se moquaient de nous. En quittant notre pays, nous avions l'intention de travailler et de rapporter quelque chose au pays. Ceci aurait largement contribué au développement de la nation. Mais le Président Wade nous a déçus, il a rendu nos espoirs vains », déclare-t-il. De son côté, Cheikh Guèye se pose aussi des questions et exige des visas pour leur retour. « Nous aurions bien voulu être retournés en Espagne. Le plan Reva n'est pas concret pour nous. Le Président devait savoir que nous ne partions pas pour rester, nous serions tous rentrés avec tout ce que nous aurions gagnés. Pourquoi a-t-il signé ces accords ? Après la visite des policiers sénégalais, un de leur collègue espagnol était venu me serrer très fort contre lui, il avait les larmes aux yeux. J'avais alors compris que nous serions rapatriés. Quand nous étions transférés à Fuerta Ventura, les Espagnols nous avaient retenu pendant deux semaines, pour voir par quels moyens ils pouvaient nous faire entrer en Espagne. Nous avions déjà 40 jours de séjour dans les camps", explique-t-il. Pour sa part, Alassane Guèye reproche au gouvernement son manque de soutien. « Nous étions accueillis à Saint-Louis avec 10 000 Fcfa. Avec cette somme nous avons payé notre billet de transport à 3000 Cfa pour regagner nos localités. C'est inadmissible. Nous avons vendu nos matériels de pêche et autres pour nous payer le transport vers l'Espagne. Aujourd'hui, nous sommes revenus et nous ne pouvons plus travailler. Nos comptes sont épuisés », révèle-t-il.

Dans ce village de Thiaroye s/mer, ils sont plus de vingt jeunes rapatriés mécontents du traitement qui leur a été infligé. « Nous avons entendu que le Président a reçu 150 rapatiés. Nous ne sommes pas contactés et nous voulons signifier au Président de la République notre mécontentement », lance un jeune. Toutefois, il y a six rapatriés du quartier Ablaye Kébé qui avaient répondu à l'invitation du Président Wade.
Selon les rapatriés, il y avait dans les camps espagnols, des Maliens, des Sierras Léonais, des Gambiens, des Ivoiriens, des Bissau Guinéens, des Guinéens, des Marocains, des Mexicains et des Nigérians. Selon les rapatriés, au moment où avaient commencé les rapatriements, près de 980 personnes devaient être introduites en Espagne.

Le patriotisme des jeunes Sénégalais

Un fait exceptionnel qui serait survenu lors des premiers rapatriements est fièrement relaté par Ndiombo Mar, marié et père de famille. « Avant notre rapatriement, nous avons assisté à celui de nos camarades. Les menottes aux mains, ils avaient constitué une file indienne et avaient chanté l'hymne national du Sénégal à haute voix. Tous les Sénégalais avaient pleuré ce jour-là, même un policier espagnol a pleuré avec nous. Cette hymne avait plusieurs significations pour nous. C'était très triste. Nous avions une très grande notoriété dans les camps, les Espagnols nous disaient : "Notre pays a besoin de vous, surtout les Sénégalais, ils sont sérieux et respectent bien leur boulot". Ces témoignages suscitaient une grande fierté en nous. C'est pourquoi, quand le Président Wade avait signé ces accords, la donne avait changé. Tout le monde se moquait des Sénégalais, même nos anciens amis policiers nous avaient boudés »..

 



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