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Imam Youssoupha Sarr, président du Collectif des quartiers de Guédiawaye : L’insurgé de Dieu

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Imam Youssoupha Sarr, président du Collectif des quartiers de Guédiawaye : L’insurgé de Dieu

Youssoupha Sarr, 61 ans, père de cinq garçons et d’une fille, adjoint à l’Imam de la Mosquée de Hamo 4 et coordonnateur du Collectif des quartiers de Guédiawaye, symbolise aujourd’hui une génération de religieux soucieux de partager les souffrances des populations.

Au hit-parade des Imams, il vient de faire une entrée fracassante et inédite. Youssoupha Sarr, 61 ans, «militant invétéré» de la cause publique et de l’Islam, illustre inconnu jusqu’ici, est aujourd’hui dans toutes les conversations. On le voit sur toutes les lucarnes conduire les revendications des populations de Guédiawaye, un mouvement de contestation d’une popularité exceptionnelle. Aujourd’hui, il est le héros mais aussi le héraut porteur d’espoirs de toute la population de cette grande banlieue dakaroise en croisade contre la Senelec pour ses factures élevées et sa mode de facturation nébuleuse. Il sourit : «Je suis juste un héraut parce que je ne suis que le mandataire des populations. Si elles me demandent d’arrêter, j’arrête le combat.»
Front haut, grand boubou bien ajusté sur une silhouette bien affûtée, teint noir, sourire large, l’Imam Youssoupha Sarr s’engonce davantage dans le moelleux fauteuil du salon de sa belle villa immaculée, nichée au cœur de la cité Hamo 4, balayée par un vent frisquet et poussiéreux. Dans ce lieu, encombré d’exemplaires du Coran, des Khassaïdes et des posters des différents guides religieux du Mouridisme, on le retrouve vanné à cause du rythme du travail auquel il est astreint et des sollicitations médiatiques. L’époque est ainsi faite et il doit faire face à cette obligation d’allégeance aux médias alors qu’il a toujours vécu dans l’ombre. «Dans ce genre de situations, on est forcément sollicité par la presse. C’est le travail que l’on est en train de faire qui l’exige. C’est difficile parce que je le ne connaissais pas. Il n’y a rien de nébuleux dans notre combat. Tout est transparent et c’est spontané, parce que nous n’avons même pas mis en place une stratégie de communication», explique l’Imam.
C’est une nouvelle vie qui commence pour lui : rester exclusivement au service de sa communauté et de son pays, après plus de quarante ans au service de l’Etat et une carrière d’intendant bien remplie. Pourtant, il a failli prendre une trajectoire de pêcheur, loin de ce destin de gestionnaire des deniers publics dans plusieurs établissements scolaires et hospitaliers du Sénégal. Il naquit à Guet Ndar, une communauté de pêcheurs très introvertie et profondément attachée à ses valeurs ancestrales, où l’inscription d’un enfant à l’école était considérée comme une «veulerie» et un «bras de moins» pour la pêche, unique source de revenus des populations. Il se souvient : «C’est clair que ce n’était pas évident pour nous d’aller à l’école. Nous ne sommes que deux dans notre famille à avoir été à l’école, parce que la communauté était réticente et elle a toujours eu des rapports très difficiles avec le colonisateur. Guet Ndar était considérée comme une cité à part et était vraiment marginalisée par rapport à la ville de Saint-Louis.»
A-t-il eut des égarements dans son enfance ? «J’ai eu une enfance très heureuse et très saine parce qu’on ne connaissait pas les travers actuels de notre société.» Conserve-t-il ce côté abrasif, solitaire et très introverti du Guet Ndarien ? «Non parce que j’ai grandi à l’île de Saint-Louis, auprès de mon grand-père. Cependant, j’ai sauvegardé certains traits de caractère des Guet Ndariens, parce que je suis bouillant et entier même si j’ai eu à corriger certains défauts. Ils n’ont jamais tort, mais ils ne sont pas mesurés dans leurs réactions.»

Vertu du travail
La forte croyance religieuse. La sincérité. Les vertus du travail parce que le Guet Ndarien «ne croit fondamentalement qu’au travail et ils ne vivent qu’à la sueur de leur front. Ils ne tendent jamais la main» s’enorgueillit-il. Les vertus deviennent des atouts et lui permettent de s’inventer un destin auquel il l’aspire. Après avoir été formaté dans les valeurs islamiques et mémorisé le Coran comme «tout bon Saint-louisien», auprès de son grand-père, grand érudit à Saint-louis, il intègre la vie professionnelle. Il est recruté comme agent de Transit à l’entreprise Rosso-Transit en 1969. «A cette époque, Nouakchott n’avait pas encore son port et je m’occupais des dédouanements, parce que la Mauritanie s’approvisionnait au Sénégal» rappelle-t-il. Le cadre d’évolution ne répondait pas aux ambitions de cet homme qui rêvait d’une carrière administrative. L’opiniâtreté de son caractère et la persévérance dans les vertus du travail vont lui ouvrir d’autres portes de réussite. Un ami : «C’est une personne qui croit en lui et aux vertus du travail. Le métier de transitaire était pour lui, juste un tremplin, parce qu’il veut toujours aller loin. Et il a obtenu satisfaction parce que c’est un homme têtu.»
L’Imam gesticule, parle posément et avec beaucoup d’insistance de sa trajectoire professionnelle qui lui a permis de faire le tour du Sénégal. Ce diplômé de la 10e promotion du Centre de formation et de perfectionnement administratif (Cfpa, actuel Ena), pur produit de l’administration sénégalaise, tient les comptes financiers et administratifs de plusieurs départements ministériels, hospitaliers et scolaires pour servir ce pays que «j’aime profondément.»
«J’ai fait une carrière administrative très correcte parce que j’étais entre autres, adjoint du Chef du service financier et ensuite Chef de bureau, chargé du bureau et des marchés du  ministère de l’Education nationale, directeur du Service administratif et financier de l’Ecole nationale supérieure de l’agriculture de Thiès (4 ans), du Lycée Mariama Bâ (4 ans), Limamou Laye (8 ans), de l’école normale de Mbour et de Bambey. Le ministère de la Santé m’a sollicité pour conduire la réforme hospitalière à l’hôpital de Kolda et à l’hôpital de Diourbel», se souvient-t-il.
Le point culminant de la carrière de ce talibé mouride, encadreur et président de zone du mouvement navétanes, est son passage au ministère du Plan, de la Planification nationale et de la coopération, dirigé par Abdou Diouf. Il a eu à côtoyer plusieurs sommités comme «Madieng Dieng (Inspecteur général d’Etat), Ibou Diagne (ancien président de la Fédération sénégalaise de basket), Doudou Ngom ou Samba Laobé fall.» Il témoigne : «C’est une belle époque parce que le ministère du Plan était considéré comme le laboratoire du Sénégal et c’est en son sein que se jouait l’avenir économique du Sénégal. Il y avait vraiment de solides cadres. Ça m’a permis de capitaliser beaucoup d’expériences en marge de mes activités sportives.»

Le combat de tout le monde
Aujourd’hui, il met cette expérience au service des populations après avoir obtenu la retraite le 31 décembre 2007. Et de quelle manière ? Dans un pays où les lâchetés quotidiennes minent les espoirs et que les égoïsmes ébrèchent les attentes, les Imams de Guédiawaye se sont contraints à occuper la place publique et quitter un moment les minbars des mosquées. La marche des Imams reste une nouveauté et montre que la citoyenneté s’est étendue désormais dans les lieux de culte. Le mouvement suscite des interrogations et a provoqué un ébranlement sociologique nonobstant sa portée historique. Le conformisme religieux explique-t-il ce faisceau d’étonnements ? Pourquoi s’offusque-t-on de la marche des Imams alors que d’autres chefs religieux ont toujours donné des consignes de vote ? Il répond : «Je ne comprends pas toutes ces interrogations. Les gens ne comprennent peut-être pas le sens du combat parce qu’ils ne sont pas habitués à voir ça. Ils sont de bonne foi. Nous ne faisons que notre devoir d’hommes de Dieu et nous sommes simplement au service de notre peuple. Avec ma retraite, je ne veux mener que ces combats à côté de la lecture du Coran et des Khaissaides.»
Pour Youssoupha Sarr, l’assignation des Imams à formuler et à diriger des prières doit cesser. «La perception de l’Imamat au Sénégal doit changer. L’Imam doit avoir une profession et non plus se contenter de dons. Les Imams doivent se mettre au service des populations et ne doivent pas seulement être cloîtrés dans les mosquées. Nous sommes en train de mener des actions citoyennes et jouons un rôle de sentinelle pour préserver la paix sociale. Nous sommes là pour recueillir les revendications des populations et mettre la pression sur les autorités pour que le problème soit réglé. Il faut se féliciter de ce combat» soutient Youssoupha Sarr.
Le combat des Imams, pour le respect des populations et la satisfaction de la demande sociale, d’une actualité brûlante dans un Sénégal tourneboulé, personnifie des valeurs comme le désintéressement, dans un pays qui ne s’en soucie pas. Youssoupha Sarr et ses amis n’attendent rien de ce combat. Pour lui, c’est le prolongement du religieux qui s’investit dans la gestion de la cité, pour infléchir l’ordre des choses et que cette attitude des Imams ne doit pas être ramenée sous la férule du pouvoir et de l’argent, mais sous la haute direction de la conscience et pour un retour à une justice sociale équitable. «Nous n’aspirons pas au pouvoir : nous n’attendons que la redistribution d’Allah parce que c’est un combat pour l’Islam. Nous le mènerons jusqu’à notre dernier souffle, pour alléger les souffrances des populations. Notre mouvement est incorruptible et incontrôlable, parce que nous ne sommes pas dépendants. Parce qu’il est composé d’hommes d’une probité morale exceptionnelle. Nous utilisons cette expertise à tous les niveaux pour mener notre lutte», avertit-il.
Pour Abdoulaye Chimère Ndiaye, enseignant à l’Université de Dakar, le combat de l’Imam de Guediawaye ne le surprend pas, parce que «la seule chose qui peut le sortir de ses gonds est l’injustice ou ce qui est contradictoire aux préceptes de l’Islam, comme le combat qu’il est en train de mener présentement». Il ajoute : «C’est un homme qui a un sens élevé des relations humaines. Il tient toujours à ses amis et nous les sommes depuis plus de 20 ans. C’est un homme très généreux et lors des Magals, il loge des personnes et les nourrit sans même les connaître.»   

En phase avec son monde
L’image reste forte et montre aussi le sens élevé «de la citoyenneté» de l’homme. Car, l’intervention des Imams dans l’espace public et politique est une véritable leçon de citoyenneté et une forme de contestation de la compétence des hommes sénégalais. Pour lui, cette sortie est sans conteste une faillite des hommes politiques et de l’Etat sénégalais incapables de porter les revendications des populations. Dans ce contexte de conjoncture, il faudrait des hommes  providentiels dans lesquels le Sénégal se reconnaîtrait faute de se prendre en charge et d’assumer ses propres responsabilités. Pour lui, la manifestation des hommes montre que la nation est à la recherche d’hommes et de femmes qui lui rappellent son humanité et ses devoirs. «C’est clair que la classe politique  sénégalaise est en panne. Il y a un décalage entre les aspirations des peuples et le comportement des hommes politiques. On constate que les populations sont obligées de chercher des gens crédibles comme les Imams pour prendre la relève. C’est une nouvelle donne», avoue Youssoupha Sarr.
Il faut dire que Youssoupha Sarr est une personne en phase avec son monde quand il s’agit de la politique. Il reste dans le regret d’un ordre politique inadapté à la modernité à la situation sociale et religieuse du pays. Cet homme, qui a refusé de voter la Constitution de 2001 et qui a battu campagne pour l’abstention parce que ses «convictions religieuses et (son) idéologie» ne lui permettent pas de s’accommoder du système politique en place au Sénégal qui peut balayer tout le monde comme un feu de paille. «Je ne peux pas voter la Constitution parce que je suis musulman et ma charte fondamentale est le Coran et l’Islam. Je reste cependant profondément laïc. On doit quitter le présidentialisme fort et avoir un Premier ministre fort, sinon la Constitution sera toujours manipulée pour des intérêts partisans» suggère-t-il. Cela, c’est un autre combat.



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