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Il était les yeux et la plume du grand Maodo : Le journaliste Justin Mendy raconte Mamadou Dia : * Jusqu’au-delà de ses 90 ans, il jeûnait tout le mois de Ramadan

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Il était les yeux et la plume du grand Maodo : Le journaliste Justin Mendy raconte Mamadou Dia : * Jusqu’au-delà de ses 90 ans, il jeûnait tout le mois de Ramadan

Les témoignages ont fusé de partout après la disparition de l’ancien Président du Conseil. Hommes politiques, religieux, simples citoyens ont tous raconté un pan de la vie du Grand Maodo. Mais nul ne saurait mieux témoigner sur la vie de cette bibliothèque - qui n’a pas brûlé - que celui qui fut, pendant 15 ans, son complice, ses yeux et parfois sa main. Le témoignage du journaliste Justin Mendy vaut bien le détour, car il lève un coin du voile sur le mystère Dia. On apprendra ainsi de lui que le Grand Maodo jeûnait tout le mois de Ramadan même au-delà de 90 ans.

Pour avoir été, pendant plus de quinze ans, sans interruption, un de ses principaux et intimes collaborateurs, je me vois dans l’obligation de parler. Mon propos ne saurait être qu’un témoignage, car parler de Mamadou Dia reste difficile, puisque cet homme exceptionnel, que Dieu avait ‘suralimenté d’années’, était multidimensionnel, et sa vie ‘pleine comme un œuf’, pour reprendre les termes de l’historien bukinabé, Joseph Ki-Zerbo. Celui-là, qui se considérait comme son frère, estimait que de Dia, il faudrait dire, comme quelqu’un, à son fils qui lui demandait comment était l’éléphant, avait répondu : ‘Je ne peux te décrire un éléphant, mais quand tu le verras, tu sauras que c’est lui !’.

Sans doute, par le physique, Mamadou Dia n’était point comparable à ce géant de la forêt, mais, en entrant dans son intimité, on ne pouvait que se perdre dans le dédale de ses connaissances et apprécier les vertus qu’il incarnait. En raccourci, Ki-Zerbo a dit de lui : ‘Il a traversé les situations et les statuts les plus contrastés et les plus opposés, en demeurant égal à lui-même.’ Voilà l’homme de qui j’ai été, selon ses propres paroles, un ‘complice’, bien que (je le cite), ‘nous ne sommes pas de la même origine géographique, de la même génération, ni de la même confession religieuse’.

A la faveur de 7 ouvrages

Je ne saurais me limiter qu’à une frange importante, il est vrai, de sa vie de producteur littéraire, couvrant la période allant de 1991 (avec les ‘Lettres d’un vieux militant’), jusqu’au dernier de ses ouvrages, en 2005 (avec ‘Sénégal : radioscopie d’une alternance avortée’, seconde édition de ‘Regard vers le grand large d’un Patriarche, citoyen du monde et militant de l’Universel ré-humanisé’, publié en 2002).

Entre ces deux dates, nous avons publié ‘Corbeille pour l’An 2000’, en 1995, ‘Corbeille pour le troisième millénaire’ en 2000, ‘Le Sénégal menacé’, en 2001, la même année 2001, ses témoignages sous le titre ‘Afrique : le prix de la liberté’, ‘Regard vers le grand large…..’ en 2002 et ‘L’exacerbation de la crise au Sénégal, en Afrique et dans le monde’ en 2004.

Dia : un monument

C’est sous sa dictée (il avait perdu la vue depuis quelques années déjà), que je transcrivais ses idées en articles destinés à la presse, puis rassemblés, au bout d’un temps, pour être édités comme livres. Un tel exercice avait fini par m’habituer à sa pensée, voire son style, au point où je parvenais à lui achever des phrases déjà entamées, et même à lui proposer des compositions de phrases pour des textes dont il avait toujours l’initiative des projets.

C’est ainsi que, progressivement, j’étais entré dans son intimité, au point où je passais pour certains, sinon comme son porte-parole, du moins comme son chargé de la communication. Ce privilège - dont je suis, du reste, fier - m’a permis un enrichissement qu’aucun enseignement - ni théorique, ni pratique - ne m’avait permis d’acquérir pendant plus d’un demi-siècle, car Dia était véritablement une bibliothèque, que dis-je, un monument, ‘un grand baobab habité par un peuple d’oiseaux’, pour parler (encore) comme Ki-Zerbo.

Soumission à Dieu

La pensée fondamentale que j’ai surtout retenue, c’est sa soumission à Dieu, dont il chantait constamment, la gloire et la magnificence. Cette soumission, il l’exprimait à travers sa foi musulmane profonde, puisée dans une connaissance pointue de l’Islam dont il aimait à me faire partager, avec joie, les vertus, sans intention de me convertir, mais plutôt dans un double esprit de témoignage de ses valeurs et de véritable dialogue islamo-chrétien, dont il était l’un des plus grands et véritables partisans.

Cet engagement gratuit se mesurait à l’amitié qui le liait à de nombreux chrétiens laïcs, dont le plus connu reste Léopold Senghor. Il avait aussi des amis parmi les membres du clergé, comme feu le Cardinal Hyacinthe Thiandoum archevêque de Dakar et feu Abbé Pierre Sock. Mais c’est surtout avec le prêtre dominicain français Père Joseph-Louis Lebret qu’il a vécu une convergence spirituelle profonde de dialogue qui a conduit à l’élaboration du Plan de développement économique et social du Sénégal en 1960. C’est d’ailleurs sur ce socle religieux musulman qu’il avait bâti tous ses rapports avec autrui et avec les évènements de ce monde.

Intransigeance et rigueur

C’est ce qui, en quelque sorte, explique la dominante de son caractère intransigeant, que certains assimilent à de la dureté. Dur avec lui-même, il observait les trente jours de jeûne du Ramadan, jusqu’au-delà de l’âge de 90 ans. ‘Ce n’est pas une obligation, mais je le fais par ascétisme’, me répondait-il quand je lui posais la question sur ce qui me paraissait comme trop de rigueur. Cette rigueur était aussi un de ses traits dominants de caractère. Ainsi, il ne tolérait aucun retard aux rendez-vous, ni la remise en cause d’une parole donnée, sauf si vous lui en fournissiez des arguments valables.

Sur ce chapitre d’ailleurs de l’intolérance, il faut mettre un bémol. J’ai évoqué tantôt ses relations multireligieuses, signe de tolérance vécue. J’y ajoute sa disposition au débat contradictoire et son acceptation à rejoindre la thèse du vis-à-vis, dans la mesure où on garde la patience de l’écouter et où on lui oppose des arguments convaincants. Pour exemple, j’avoue lui avoir fait changer, en l’espace de cinq minutes, le titre d’un de ses ouvrages, en lui expliquant les raisons de mon choix.

Mais de manière générale, Dia avait un caractère ferme et il savait défendre ses points de vue avec force, sans fioritures, ni bavardage inutile, dans un pays où la propension au verbe est grande et souvent dénuée de précisions. Avec une intelligence fine et une mémoire prodigieuse, soutenues par un courage exemplaire frisant la témérité, il possédait ainsi des armes de conviction redoutables pour faire valoir ses points de vue.

Générosité et compassion

De sa face cachée, nous retiendrons la générosité envers ceux qui sont dans le besoin et la compassion envers ceux qui souffrent. Prêt à venir en aide à ceux qui frappent à sa porte, il ne se faisait pas prier pour aller rendre visite à des malades, quels que soient leur âge, leur rang social et leur lieu d’habitation et présenter ses condoléances à des familles éprouvées par le deuil.

Fidèle en amitié, il avait vite fait d’accorder le pardon à d’anciens compagnons qui l’avaient trahi et d’inclure certains repentis dans le chapitre ‘Devoir de Mémoire’, ouvert dans ses ouvrages depuis 1995. A la lecture de ses témoignages sur ces personnages disparus qui, pour lui, incarnaient des valeurs multiples, on comprend celles qui lui tenaient le plus à cœur et auxquelles il s’identifiait ou aspirait. Parmi celles-ci, la modestie et l’humilité, le talent et la discrétion, la dignité et l’honneur, la foi et le patriotisme, la sincérité et l’honnêteté, le sens de l’élégance et finesse des manières, etc.

La mort et l’héritage

Ces témoignages, il les comparaissait à des ‘fleurs du Paradis terrestre’ plantées, par la pensée, sur la tombe de ceux-là avec qui il a partagé les joies et les angoisses de l’aventure humaine. La mort, qui les séparait, constituait, pour lui, comme des ‘déchirures profondes dans ses amitiés œcuméniques’. Préparé à cette fin dernière, il inscrivait ces belles lettres adressées au Seigneur, il y a une dizaine d’années, dans un ouvrage ‘Corbeille pour le troisième millénaire’, publié en février 2000 : ‘…le jour où il Te plaira de nous rappeler à Toi, qu’il Te plaise que nous soyons des soumis…’

‘…Pourvu que nous ayons légué à la société quelque chose d’utile…’, avait-il écrit cinq ans auparavant dans ‘Corbeille pour l’An 2000’. Cet héritage, c’est d’abord, l’ensemble de ses vingt ouvrages publiés entre 1953 et 1960, puis de 1975 à 2005 et qui contiennent toute sa pensée (économique, politique, sociale, culturelle, philosophique…) sur tous les sujets et évènements du Sénégal, de l’Afrique et du monde.

Son héritage c’est, aussi, ce ‘Grenier du Patriarche’. Ce ‘grenier’ est une bibliothèque aménagée dans la concession d’une de ses épouses, dans le quartier de la zone B de Dakar, où sont rassemblés des documents, aussi riches les uns que les autres, dont il est l’auteur ou à la confection desquels il a pris part, ou qui soient, tout simplement, des références. Il appelle cet endroit ‘un lieu de mûrissement, de trituration, le lieu où s’engrangent les graines sélectionnées pour les semailles de demain, des graines génétiques dont on espère que la vitalité défiera les ouragans et les incendies de l’Histoire’. Ce don, il le considère comme l’héritage d’un ‘vieux militant laïc’ qu’il ‘laisse aux siens, à sa Patrie, aux générations de refus et de rupture, à tous ceux qui, à travers le monde, hommes et femmes de bonne volonté, œuvrent pour un nouveau printemps sur la Terre…’

Ainsi, Mamadou Dia n’aura pas été ‘cette bibliothèque qui a brûlé’ (comme le disait le Malien Amadou Hampaté Bâ, des vieillards qui mouraient en Afrique), puisqu’il a laissé un riche héritage écrit qu’il appartient à la génération actuelle de sauvegarder et de faire fructifier…

Justin MENDY - Journaliste Consultant en Communication

Email : [email protected]



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