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Hommage à Me Lamine Guèye (1891-1968) : Une des grandes figures politiques africaines

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Hommage à Me Lamine Guèye (1891-1968) : Une des grandes figures politiques africaines
Lamine Guèye qui n’a pas eu la chance d’être président de la République du Sénégal, n’est pas connu de la jeunesse actuelle. C’est pourquoi il est nécessaire d’évoquer sa vie et son œuvre à l’occasion du cent dix-septième anniversaire de sa naissance pour lui rendre un hommage qu’il mérite amplement.

Il ne faut pas oublier qu’il fait partie des premiers universitaires que compte le Sénégal. Il a fait ses études universitaires avant Léopold Sédar Senghor. Il est le premier docteur d’Etat en droit africain en 1921. Ainsi il a pu obtenir à la Faculté de Droit de Paris le doctorat qui est le plus haut diplôme que l’université française peut délivrer. Précisons que l’agrégation est un simple concours administratif qui permet d’être recruté dans la fonction publique française. Il faut avoir la nationalité française pour le passer. Cela a obligé Senghor à obtenir la naturalisation française grâce à l’intervention du député du Sénégal Blaise Diagne.

Lamine Guèye, instituteur, a toujours gardé sa vocation d’enseignant, en donnant des cours de droit à la Réunion où il était magistrat. Il avait l’intention de préparer l’agrégation de droit. Ce qui l’a obligé à obtenir deux diplômes d’études supérieures : droit privé et histoire du droit. C’était la règle à l’époque.

Si Lamine Guèye n’est pas connu aujourd’hui parmi les jeunes, c’est parce qu’il n’a pas beaucoup écrit. Il s’en explique dans le Dakar Matin du 24 mai 1966 : ‘Je n’ai pas l’habitude d’écrire. Tous mes discours, même les plus importants, étaient improvisés. Il y a à cela une raison simple, j’éprouve beaucoup de difficultés à lire et quand je lis, je ne me sens pas le même’.

Son héritage écrit est relativement modeste pour un homme qui comptabilise une vaste et riche expérience politique. Il se réduit à sa thèse (1921), à deux ouvrages écrits en 1955 et en 1966 et à quelques articles parus dans son journal L’AOF qu’il a racheté de François Carpot, ancien député du Sénégal (1900-1914).

Lamine Coura Guèye est né le 20 septembre 1891 à Médine, au Soudan français (aujourd’hui Mali). Il est le fils d’un riche négociant Birahim Guèye, un grand seigneur qui, dans sa munificence, n’hésitait pas à offrir une maison à son meilleur ami ou sa taille en anneau d’or. De par son père, il tenait sans doute cette noblesse dans le port qui inspirait le respect et la déférence. De sa mère, il avait hérité le sens de la mansuétude que seule une mère peut avoir.

Dans un article de Jeune Afrique de 1966 intitulé : Le vieil homme et la politique, Nourou Damz, un poète dahoméen et un ancien militant très actif de l’Association des étudiants du Rassemblement démocratique africain (AjRda) a dressé de Lamine Guèye un portrait qui respire une profonde admiration : ’Une figure allongée, émouvante de noblesse, des traits marqués par l’âge, mais que les rides n’ont point creusé un sourire manifestement optimiste.’ ‘Il s’exprimait en un français châtié, ponctuant ses phrases de gestes qui rappellent que c’est un juriste.’

L’enfance de Lamine Guèye

Il est envoyé très jeune à Saint-Louis. Dès l’âge de 6 ans, il fréquente l’école de Amadou Ndiaye Sar, président du tribunal musulman et imam de Saint-Louis situé dans le quartier Sud, à la rue Neuville. C’est là qu’il apprend les versets du Coran, un peu de littérature et de théologie musulmanes. Toute sa vie, il restera fidèle à la confrérie tidjane.

A cette époque, les familles musulmanes avaient l’habitude d’envoyer leurs enfants apprendre le Coran et même parfois des notions plus ou moins poussées d’arabe, avant d’aller dans les écoles françaises, comme le rappelle Lamine Guèye dans son livre : Itinéraire africain (Présence Africaine, 1966) : ‘La connaissance de l‘arabe était considérée, à Saint-Louis et dans toute la région du fleuve Sénégal, comme un élément de haute distinction, si bien que l’on qualifiait volontiers de ‘Yaram (déformation du terme : ‘Arabe’), un homme réputé pour sa générosité ou l’élégance de ses faits et gestes.’

Son éducation islamique a pu se faire grâce aux concours de certains Mauritaniens qui étaient en relation avec sa famille et qui lui servaient de répétiteurs, en dehors des heures de classe, pendant les vacances et au cours des voyages qu’il lui est arrivé d’effectuer dans leur région. Les cheikhs maures ont joué un rôle très important dans l’islamisation des Sénégalais et en particulier des Saint-Louisiens.

Lamine Guèye rappelle ses apparitions chez El Hadj Malick Sy, au premier étage de l’immeuble qu’il occupait, rue André Lebon, près de la Grande mosquée de Saint-Louis : ‘C’est dans le but d’améliorer mes modestes connaissances en arabe que je suivais, aux côtés de Babacar Sy, son fils et premier khalife, Amadou Lamine Cissé Diakha et Khalil Kamara, ses savants commentaires sur le Koran, la littérature et la théologie musulmanes.’

Après sa réussite au Certificat d’études primaires, Lamine Guèye passe un an à l’école Faidherbe. Il obtient le brevet élémentaire en juillet 1907 en même temps que Duguay Clédor Ndiaye (Diarra est son vrai nom), Papa Mar Diop, Hamet Sow Télémaque, Cheikh Mademba. Ce brevet est supprimé la même année pour éviter que leurs titulaires ne prétendent au grade d’instituteur du cadre européen. Le seul moyen pour les Africains de continuer des études est d’entrer à l’Ecole normale instituée en 1903 à Saint-Louis et qui recrute au niveau des établissements supérieurs de l’Aof, devenue par la suite la célèbre école William Ponty transférée d’abord à Gorée et ensuite à Sébikhotane. Lamine Guèye n’emprunte pas cette voie.

La carrière professionnelle de Lamine Guèye

En tant que titulaire du brevet, il débute comme instituteur à Dakar. Il passe le certificat d’aptitude à l’enseignement dans les écoles de l’Aof. D’une manière fortuite, un arrêté du gouverneur du Sénégal charge Lamine Guèye, à peine âgé de 18 ans, d’une suppléance à la Médersa ou école d’enseignement supérieur musulman ouverte à Saint-Louis en novembre 1907. Dans cette médersa, il faisait des traductions en français de textes arabes. Ainsi on voit que Lamine Guèye a évolué sous l’emprise d’un islam lettré qui avait cours à Saint-Louis. Il a occupé des postes d’instituteur dans différentes villes du Sénégal.

Après avoir obtenu le 22 avril 1916 un congé pour passer un examen, il quitta Dakar pour se rendre à Bordeaux le 16 mai. Il revient le 8 janvier 1917 au Sénégal. Entre-temps, il a réussi à obtenir la première partie du baccalauréat de l’enseignement secondaire le 28 octobre 1916 et le brevet supérieur le 11 novembre 1916.

Incorporé le 10 février 1917 dans l’armée, il sert au 5e colonial de la 2e compagnie, caserne de Serin à Lyon. Il met à profit son séjour lyonnais au lycée d’Ampère pour passer la deuxième partie du baccalauréat. Sa présence dans les services auxiliaires de l’armée de Lyon (ville où il passe ses examens) est attestée dans le journal France coloniale du 13 mars 1930 avec une interview de Duguay Clédor. Il s’inscrit aussi à l’Ecole nationale des langues orientales.

Après avoir obtenu un congé pour examen à compter du 17 juillet 1919, il s’embarque à destination de Marseille. Il réussit à passer la licence en droit en 1919-1920. Il soutient sa thèse le 21 décembre 1921. Si Lamine Guèye a poursuivi très rapidement ses études universitaires, cela est dû au fait qu’il a bénéficié du décret du 10 janvier 1919 écourtant le cycle des études des étudiants ayant été mobilisés pendant la guerre.

Affecté à l’Ecole normale William Ponty en septembre 1920 en qualité de professeur de mathématiques, Lamine Guèye a eu parmi ses élèves : Félix Houphouët, Mamadou Konaté, Jean Félix Tchicaya, Mamba Sano qui sont devenus ses collègues à l’Assemblée nationale française en qualité de députés de la Côte d’Ivoire, du Soudan, du Moyen Congo et de la Guinée.

Après avoir démissionné de son poste d’instituteur, il est admis comme avocat en 1921. Il exerça ce métier jusqu’en 1931. Par décret du 1er décembre 1931, il est nommé conseiller à la Cour d’appel de la Réunion. Durant trois ans, il exerce les fonctions de président de la chambre correctionnelle de la Cour d’appel. Il a eu l’occasion d’enseigner comme chargé de cours.

Sur les conseils de Blaise Diagne, il profita d’une période sabbatique pour passer un diplôme d’études supérieures de droit romain et d’histoire du droit en 1933. Il est nommé conseiller à la Cour d’appel de la Martinique. C’est en octobre 1940 qu’il se résout à quitter définitivement la magistrature pour rentrer au pays où il reprend sa robe d’avocat.

Une délégation d’universitaires et d’étudiants africains envoie une lettre à Lamine Guèye lui demandant de se présenter au poste de député du Sénégal après le décès de Blaise Diagne. Cette lettre datée, du 22 mai 1934, a recueilli les signatures suivantes : Dr Birago Diop, Dr Abdoulaye Bâ, Léopold Sédar Senghor, Aristide Issembé, Joseph Boni, Kamara, Joseph Ka, Souleymane Diagne, Jean-Pierre Corréa, Amadou Camara, Amadou Karim Gaye, Ousmane Socé Diop, Mamadou Diallo (cf L’AOF du 7 juillet 1934).

Aux élections législatives de 1928, Lamine Guèye soutient contre Blaise Diagne, Paul Deferre, père de Gaston Defferre, ancien ministre de la France d’Outre-Mer, célèbre à la suite du vote de la Loi cadre en 1956. Cet avocat français fut battu par le député sortant. Aux élections de 1934 consécutives à la mort de Blaise Diagne, Lamine Guèye est battu par Galandou Diouf.

La vie familiale de Lamine Guèye

Lamine Guèye a épousé une de ses cousines Salimata Guèye. Il s’est marié avec Adélaïde Sarr, une cousine de Maurice Guèye, maire de Rufisque. Maurice Voisin, dit Petit Jules, publia son certificat de mariage avec cette catholique dans son Journal satirique Les Echos d’Afrique noire pour le mettre en mal avec la communauté musulmane.

Parti en 1930, Lamine Guèye rencontre une jeune guadeloupéenne Marthe Dominique Lapalun née à Basse Terre le 3 avril 1896. Il l’épousa aussitôt. Il aura avec elle un enfant Iba Guèye né à Dakar le 15 avril 1931. Il adopta une fille Renée qui sera l’épouse de Maître Carlton, avocat au barreau d’Abidjan. Son fils Iba Guèye devait mourir très jeune le 23 septembre 1962. Ayant tourné un film avec Nanette Senghor : Liberté, il était passionné par le pilotage des avions. Il a laissé deux enfants : Soukeyna et Papa Lamine.

Mme Lamine Guèye s’est illustrée dans les œuvres sociales en faveur des étudiants africains (et notamment l’organisation des goûters au 184 boulevard Saint-Germain pour les étudiants africains). Elle devait succomber, le 8 juillet, à la suite d’une crise cardiaque. Elle est rappelée à Dieu trois ans après son mari.

Lamine Guèye au Palais Bourbon

Interné dans une clinique de Cannes, Galandou Diouf mourut. Enterré en France, son corps sera ramené au Sénégal le 6 août 194 à l’âge de 66 ans en 1953. Après la mort de son adversaire politique, Lamine Guèye a été élu membre de la première constituante où il représentait le collège des citoyens français de la région du Sénégal-Mauritanie. Léopold Sédar Senghor a été élu à cette même assemblée au titre des non citoyens. Réélu membre de la deuxième constituante le 2 juillet 1946, il est devenu député du Sénégal le 10 novembre 1946. Il perdra ce poste en 1951.

Lamine Guèye a proposé une loi tendant à étendre la citoyenneté française aux ressortissants des territoires d’Outre-Mer. Elle fut adoptée à l’unanimité et sans débats. Ce fut la première loi Lamine Guèye, promulguée le 7 mai 1946. La deuxième loi Lamine Guèye visait à modifier la définition des cadres de fonctionnaires. Cette loi visait essentiellement à rendre illégale toute discrimination de soldes ou des indemnités ’basée sur des différences de race, de statut personnel, d’origine ou de lieu de recrutement’. (art 1). En tant qu’avocat défenseur, il a eu à intervenir dans de nombreux procès.

L’avocat défenseur

Les premières plaidoiries de L. Guèye, jeune avocat de trente ans, ont été consacrées à des procès politiques ou étroitement liés à la politique. Il les rappelle : procès municipalités de Dakar et Rufisque contre les établissements Maurel et Prom ; procès Galandou Diouf contre Gaston Saucet devant le tribunal de Dakar pour violences et voies de fait ; procès devant le tribunal de Saint-Louis opposant A. Clédor Ndiaye, maire de Saint-Louis ès qualité à la Compagnie française de l’Afrique Occidentale (Cfao).

En 1922, L. Guèye a été chargé d’assurer la défense du marabout Chérif Hammalah en état d’arrestation au Soudan. Il s’agissait de défendre la liberté pour un Africain de pratiquer la religion de son choix dans le respect des lois de la République.

Il a défendu plusieurs personnalités sénégalaises comme El-Hadj Magatte Ba, commerçant ancien combattant de la guerre 14-18 et ancien adjoint au maire de Dakar, accusé de pratiquer des ventes à des prix illicites ou comme Me Amadou Diop, huissier près le Tribunal de première instance de Grand Bassam, accusé de trahison en temps de guerre.

Lamine Guèye est allé à Tananarive pour défendre les trois parlementaires malgaches en collaboration avec Me Vincent de Moro Giaffieri, Me Pierre Stibbe, Me Henri Douzon, Me Renée Plasson-Stibbe, Me Yves Dechezelles. Le parti socialiste Sfio dont Lamine Guèye est membre actif, porte d’énormes responsabilités dans les tragiques événements survenus en 1949 à Madagascar en votant la levée de l’immunité parlementaire. De plus, le socialiste Marius Moutet, ministre de la France d’Outre-mer, le socialiste Marcel de Coppet, gouverneur général de Madagascar, étaient chargés d’appliquer une politique de répression féroce. Senghor reprochera à la Sfio d’avoir voté la levée de l’immunité parlementaire des députés malgaches dans le numéro 37 du 26 avril 1949 de Condition Humaine.

Lamine Guèye, maire de Dakar

Le conseil municipal qui avait élu Lamine Guèye maire de Dakar en juillet 1945, a octroyé de nombreuses bourses à des Africains qui voulaient poursuivre leurs études secondaires ou universitaires en France. Ces bourses ont permis de former en 1961 sept docteurs en médecine et pharmaciens, deux docteurs et sept licenciés ès sciences, quatre sages-femmes d’Etat, douze licenciés ès lettres, trois docteurs et vingt-huit licenciés en droit et une trentaine de techniciens. Parmi ces boursiers, on pouvait citer Boubacar Guèye Yaguemar, Babacar Sèye, Cheikh Anta Diop, Youssoupha Sylla, Doudou Thiam, Diallo Louis, Diouf Khar Ndoffène, Goudiame Ousmane, Basse Issa, Ndoye René, Ndiaye Valdiodio, Gning Renée, Khar Mané, Diagne Sidi Kharachi, MBaye Amadou Nicolas, Ndiaye Louis Guirandou, Henri Senghor, Touré Mamadou Racine, Daguerre Albert, Diaw Djibril, Diop Falilou, Keinde Serigne, NDao Oumar, Diaw Djibril, Diaw Abdoulaye Chimère, Wane Ibra Mamadou, Sarr Amsatou François, Seck Assane, Alexandre Charles Fructueux, MBaye Dahté, Diop Oumar, NDao Thierno Birahim, Dione Malick, James Benoist, Vilane Omar, Senghor Maurice, Diouf Kadijatou, Virginie Camara, Seck Abdoulaye Douta, Diop Marie Thérèse, Ndiaye Baila, Fall Cheikh Boubakar, etc.

Lamine Guèye a eu la grande générosité de donner des bourses à des non titulaires du baccalauréat et des employés du secteur privé. Il avait un raisonnement très simple et non dénué d’un énorme bon sens. Il disait : ’Envoyez mille étudiants ou élèves en France. Dix au moins réussiront. Les autres auront la possibilité de connaître des Français qui sont comme nous. Dans ces conditions, ils se débarrasseront de leur complexe d’infériorité que le système colonial a inculqué chez les Africains. Ils verront des Blancs clochards, mendiants, paralytiques, dockers, balayeurs de rue, etc.’ C’était un moyen pour Lamine Guèye de lutter contre le système colonial. (A suivre)



1 Commentaires

  1. Auteur

    Deug Bi

    En Juillet, 2011 (11:37 AM)
    J'aime bien votre article; cependant vous avez oublié de mentionné que son vrai nom de famille est CISSOKHO qui est devenu Guèye par la suite.
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