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GÉNÉTIQUE - Pourquoi sommes-nous différents ?

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GÉNÉTIQUE - Pourquoi sommes-nous différents ?
Les notions de race et même de groupe ethnique n’ayant aucun fondement biologique, qu’est-ce qui permet de distinguer un homme d’un autre ? Qu’est-ce qui autorise à classer les individus par groupes distincts ? Réponses du généticien Bertrand Jordan.

Si le racisme est aujourd’hui humainement condamné, le débat sur les races continue d’alimenter des réactions passionnées. On l’a vu, en France, avec les controverses suscitées par le projet, finalement abandonné, d’autoriser les « statistiques ethniques ». Aux États-Unis et dans de nombreux autres pays, des traces de ségrégation subsistent. Elles entretiennent, en Europe, la peur de l’immigration. Dans son livre L’Humanité au pluriel, le biologiste moléculaire Bertrand Jordan (Prix Edmond-Rostand 2007) fait le point des dernières découvertes de la génétique et de l’anthropologie. Pour la science, les races humaines n’ont pas d’existence biologique. Néanmoins, les progrès dans l’analyse de l’ADN et les apports du séquençage du génome permettent de définir dans l’espèce humaine des groupes d’origine ancestrale correspondant approximativement aux grandes catégories géographiques de la planète.


JEUNE AFRIQUE : Pourquoi « l’humanité au pluriel » ?

BERTRAND JORDAN : Parce qu’on a longtemps cru que tous les humains avaient en commun 99,9 % de leur patrimoine génétique. L’ADN de deux personnes prises au hasard parmi les 7 milliards d’habitants que compte notre planète était identique à 99,9 %. Les dernières avancées de la génétique montrent que ce pourcentage avoisine plutôt 99,5 %. Or un taux de différence de 0,1 % correspond tout de même à 3 millions de différences réparties au sein des 3 milliards de bases que contient notre ADN. La question est donc : sommes-nous donc tout à la fois semblables et différents ?


Quelles sont les conséquences de ces différences infinitésimales ?

Elles font que chaque individu est unique : il a son propre patrimoine génétique et présente les mêmes données physiologiques. Cela implique que chacun a ses propres vulnérabilités ou, au contraire, ses protections spécifiques. Je peux être, par exemple, plus vulnérable que vous à la schizophrénie et moins sujet que vous à une infection. Tel individu « à risque » pour le cancer du côlon peut être ?protégé contre le diabète. Handicap ici, avantage ailleurs, et cela pour des raisons exclusivement génétiques. C’est ensuite qu’intervient l’influence de l’environnement : mode de vie, éducation, alimentation, etc.


En somme, l’inné et l’acquis ?

Chacun de nous est différent et donc inégal face à la maladie, mais aussi, probablement, du point de vue de certaines aptitudes innées. Cette inégalité peut naturellement être modulée par l’environnement : mieux vaut souffrir d’hémophilie sévère dans un pays riche, où il est facile de se soigner, que d’une hémophilie légère dans un pays pauvre, où l’absence de prise en charge conduira à une infirmité précoce.


Vous rejetez le concept de « race », dépourvu de tout fondement biologique, de même que la notion de « groupe ethnique ». La bonne formulation, selon vous, serait « groupe d’ascendance », au sein duquel vous observez des écarts significatifs. Significatifs de quoi ?

Nous parlions jusqu’ici de différences individuelles entre deux humains pris au hasard. Il faut alors se poser la question : une analyse de ce type permet-elle non seulement de distinguer un homme d’un autre, mais aussi de les classer par groupes ? Si l’ancienne notion de race était juste, c’est-à-dire si l’humanité se divisait en groupes fondamentalement différents en raison de leur hérédité, de leur caractère, de leur aspect et de leur comportement particuliers, on devrait retrouver ces différences au plan génétique, avec certaines formes de gènes spécifiques aux Africains, aux Européens, aux Asiatiques, etc. En fait, on découvre que la majeure partie de la variabilité humaine existe au sein de chaque groupe, et non entre un groupe et un autre, qu’on l’appelle « blanc », « noir », « jaune » ou que sais-je.
Néanmoins, si on étudie de façon suffisamment approfondie, chez telle personne, quelques centaines de marqueurs moléculaires, on peut conclure qu’elle a des ancêtres probablement africains ou d’une autre lointaine origine géographique. Ces groupes humains ont des limites assez floues. Ils s’interpénètrent plus ou moins au cours de l’évolution. Mais leur réalité est certaine du point de vue génétique.


Autrement dit, nous sommes tous des métis ?

Tous, plus ou moins. C’est pourquoi je préfère le terme « d’ascendance » à celui de « race » au nom duquel on a historiquement amalgamé des considérations de culture, d’habitat, de comportement ou de langage, qui n’ont rien à voir avec la génétique.


Les écarts à l’intérieur de ces groupes peuvent-ils expliquer, par exemple, la suprématie des Africains dans certaines disciplines sportives ?

Là, on change de terrain. On passe du constat de l’existence de groupes d’ascendance aux caractéristiques phénotypiques des individus qui les composent. On arrive là dans un domaine où les observations sont beaucoup plus aléatoires, parce qu’on est confrontés à d’extrêmes difficultés pour démêler ce qui relève de la génétique et ce qui relève de l’environnement.


Encore l’inné et l’acquis ?

Oui. Quelle est, dans leur constante interpénétration, la part de l’un et de l’autre ? Aucune capacité particulière n’est le lot exclusif d’un groupe. C’est seulement en observant des assemblages de caractères qu’on arrive plus ou moins à définir des ensembles.


Et établir une hiérarchie ?

Certainement pas ! On a vu qu’il peut exister entre individus des différences d’adaptation à telle ou telle situation, de résistance à telle ou telle maladie. Mais une hiérarchie globale n’aurait aucun sens. Les treize records mondiaux de course à pied sont, du 1 000 m au marathon, détenus par des athlètes originaires d’Afrique, d’Éthiopie et du Kenya en premier lieu. Cette suprématie s’explique-t-elle par le fait que, dans ces pays pauvres, l’excellence sportive est le seul moyen de s’en sortir socialement, ou par la plus grande fréquence, chez les populations d’origine africaine, de gènes qui favorisent la performance ?
On a été amené à se poser cette dernière question en constatant que la plupart des coureurs kényans sont natifs d’une zone précise de la vallée du Rift et appartiennent à la tribu kalenjin, qui compte un peu plus de trois millions de membres. On a essayé de déceler dans cette population des marqueurs génétiques qui confirmeraient l’hypothèse. On n’en a pas trouvé, mais peut-être y parviendra-t-on un jour…
On sait en revanche que les enfants de cette région ont l’habitude de parcourir en courant entre 5 km et 10 km par jour pour se rendre à l’école. N’oublions pas non plus la très grande diversité des individus à l’intérieur de chaque groupe. À supposer que le groupe africain soit en moyenne plus doué pour les exploits sportifs qu’un groupe européen, cela ne signifie pas que tel Africain sera forcément meilleur au football ou en course à pied que tel Européen. Et, bien entendu, cela ne saurait renvoyer à une quelconque notion de race supérieure.


Vous allez plus loin en affirmant que la race n’a pas d’existence biologique…

Elle n’en a pas au sens où on l’entend généralement. Prenons l’exemple des chiens, qui constituent, eux aussi, une espèce, selon la seule définition qui soit biologiquement claire : une population dont n’importe quel individu peut procréer avec n’importe quel autre de l’autre sexe. Grâce à la sélection artificielle, on a pu séparer à l’intérieur de l’espèce canine des « races » dont les différences d’apparence et de comportement se manifestent également au niveau génétique. Des versions de marqueurs exclusivement présents chez le pitbull sont absentes chez le chihuahua ou le danois. Notre humanité plurielle aurait pu se diviser en races si ses populations étaient restées cantonnées dans leur région d’habitat et n’avaient évolué qu’en fonction des conditions qui y prédominaient. C’est le contraire qui s’est produit.


Est-ce un raccourci excessif que de soutenir que nous sommes tous des enfants d’Africains, et même d’émigrés africains ?

C’est un raccourci de 2 000 siècles, mais il n’est pas excessif ! À l’origine, nous sommes tous des enfants de Cro-Magnon, qui a failli disparaître, comme l’homme de Neandertal, mais a réussi à survivre grâce à ses étonnantes facultés d’adaptation et à son début d’organisation sociale. Notre espèce est issue d’un petit groupe de quelques dizaines de milliers d’individus qui vivaient il y a seulement 50 000 ou 60 000 ans. Ils se sont multipliés très rapidement, ont passé leur temps à voyager, à envahir le territoire des autres et à se mélanger. Ces lointains ancêtres étaient noirs. Ce sont les Européens que la sélection naturelle, vieille complice de l’évolution, a fait blanchir, et non l’inverse. À partir de l’Afrique de l’Est, ils ont gagné le Moyen-Orient, l’Europe, l’Inde, l’Australie et, beaucoup plus tard, l’Amérique. Progressivement, ils ont fini par peupler toute la terre. Malgré notre peau noire, blanche ou jaune et bien d’autres différences visibles, nous faisons toujours partie d’une seule espèce, heureusement enrichie par la diversité génétique, et aussi culturelle, de ses groupes. Nous sommes même beaucoup plus proches les uns des autres qu’un caniche d’un berger allemand. Ou même que deux gorilles de deux chimpanzés.



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