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CONFESSIONS D’UNE FEMME STIGMATISÉE : A.B. raconte comment elle s’est débarrassée de son enfant qui serait issu d’un viol

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CONFESSIONS D’UNE FEMME STIGMATISÉE : A.B. raconte comment elle s’est débarrassée de son enfant qui serait issu d’un viol

Au beau milieu de la véranda, la dame A.B. (appelons la ainsi) s’installe sur un petit banc, entourée des membres de sa famille qu’elle intègre à nouveau après cinq bonnes années passées derrière les barreaux. Elle vient d’être élargie de prison après avoir été accusée d’infanticide. Elle revient sur les circonstances du drame.

Sa mine est d’une clarté artificiellement radieuse. Cachant une séquence bien sombre d’une vie déjà éclaboussée qu’elle s’emploie, vaille que vaille, à laver de ses souillures en la remettant à nouveau sur les rails de la rationalité. A.B. s’est drapée dans un impeccable ensemble de couleur blanche, la tête parfaitement soignée comme si elle est l’hôte de marque dans une cérémonie. Nous sommes à Yeumbeul. « Entrez », nous lance-t-elle. La dame s’est déjà levée pour s’engouffrer dans sa chambre en compagnie de mon guide. Votre serviteur devra attendre un instant, le temps que mon pisteur taille bavette avec A.B. Les voilà qui s’engagent dans un conciliabule éphémère avant que je ne sois invité à entrer à mon tour. La présentation ne dure que quelques minutes et le guide se retire pour aller vaquer à ses occupations. Déjà mise en confiance par mon pisteur, A.B. se résout à s’en ouvrir à nous. La bonne note que nous lui avons promptement décernée sur son port vestimentaire suffit à ouvrir une brèche dans laquelle elle s’engouffre pour nous dévoiler un des aspects les plus marquants de son séjour carcéral. Il s’agit de la formation qu’elle a subie dans le domaine de la coiffure et de la couture. D’ailleurs, depuis son élargissement, elle se rend tous les jours au Camp pénal pour achever sa formation de deux ans qui devra prendre fin bientôt. « Dans trois mois, je vais recevoir mon diplôme ».

Elle se lève tout doucement, se dirige vers un coin de la chambre, séparé du matelas par un rideau, et en revient avec un album photos. Sur une photo, elle est entourée d’une vingtaine de codétenues, toutes en formation en coiffure et couture dans un établissement sis à l’intérieur de la prison. L’entretien s’approfondit et la voilà encore qui regagne le même coin pour revenir cette fois-ci avec un sac rempli d’ensembles. « C’est là-bas (en prison) que j’ai préparé tous ces articles... ». A.B. excelle en sérigraphie. En témoignent ces beaux dessins décorant les pagnes et boubous qu’elle a elle-même confectionnés. Elle attend une clientèle pour écouler ses produits. A.B. veut investir dans la couture. C’est en abordant le point qui lui a paru, sans doute, le plus sensible que A.B. est devenue plus attentionnée. Il s’agit des moments les plus sombres de sa détention. Dans un premier temps, elle adopte une attitude timorée, se contentant de nous servir des réponses saccadées et laconiques. Au fil de la conversation, elle se montre prolixe, plus coopérative. Son visage ferme et quelque peu menaçant tout au début devient moins grave. Et au fur et à mesure que les questions s’enchaînent dans une ambiance détendue, égayée par les « trois normaux » (séance de thé) que nous dégustons ensemble, elle prend confiance et affiche sa volonté de débattre à bâtons rompus. Et la voilà qui déroule le film de l’action qui l’a conduit en prison. Sa version à elle.

Violée par un inconnu...

« Au beau milieu de la nuit, mon bébé âgé alors de deux ans fait pipi. Je devais aller jeter l’urine dans les toilettes situées en dehors de la maison. C’était à une heure tardive de la nuit. En regagnant la maison, je suis interceptée par un homme à la corpulence impressionnante. Muni d’un couteau, il me happe vigoureusement et me pose l’arme à la gorge. J’ai n’ai pas eu le temps de comprendre ce qui m’est arrivé qu’il m’a culbutée pour me plaquer au sol. Il abuse de moi à sa guise avant de quitter les lieux à la course », raconte-t-elle. De ce viol, A.B. dit avoir attrapé l’indésirable grossesse qu’elle porta jusqu’à son accouchement survenu à une nuit où la quasi totalité de la famille est absente. « Le bébé était mort-né et je l’ai enterré devant la maison sans l’assistance de personne », nous précise-t-elle. Comme sa grossesse était connue de tous, c’est sa maman qui sera la première à l’interpeller sur la destination de l’enfant qu’elle portait. Sans tergiversation, elle la conduit à la tombe de son nouveau-né. Juste devant la maison. Dès le lendemain, A.B. fut conduite par sa mère au poste de police de Yeumbeul. Une autopsie réalisée sur le corps du cadavre aboutit à des conclusions ouvrant grandement les portes de la prison à A.B. Elle est aussitôt gardée dans le violon où un matelas lui est envoyé de chez elle. Et la voilà placée en garde à vue, puis conduite au Parquet. Pendant cinq ans, elle était en captivité.

Une version battue en brèche par le voisinage

Contrairement à A.B. qui a voulu faire croire à la thèse du viol dont elle aurait été victime pour justifier la grossesse qui lui a valu d’être emprisonnée, un témoin donne une version diamétralement opposée. Selon A.C., c’est avec un homme bien connu dans le quartier que A.B. a eu l’enfant qu’elle a enterré. « Elle sortait avec cet homme en douceur, et sachant que la naissance de l’enfant pouvait jeter l’opprobre sur elle et sur l’auteur de la grossesse, elle avait fini par s’en débarrasser ». A.C. d’ajouter que A.B. fut une femme de mœurs légères. « J’ai vu quelqu’un qui, à l’époque, avait tenté de l’extraire de cette vie de débauche qu’elle menait, mais la tâche n’avait pas été facile pour celui-ci. Parce que A.B. ne s’est pas montrée accueillante à son égard et cette personne a fini par se décourager », ajoute notre interlocuteur. L’étiquette de prostituée, voilà ce que A.B. n’aime pas du tout qu’on lui colle. « Je n’ai jamais été une prostituée, je n’ai jamais goûté à l’alcool ou à la drogue », jure-t-elle. Une femme de bonnes mœurs : voilà ce qu’elle veut se faire passer contre vents et marrées. Mais comme il est impossible d’arrêter la mer avec ses bras, impossible pour A.B. de se blanchir face aux témoignages accablants convergeant vers une si triste réalité l’enfonçant.

Point de rancune contre sa mère qui l’avait dénoncée

La mère d’A.B. n’avait pas hésité à dénoncer sa propre fille en la conduisant à la police après que celle-ci lui a montré l’endroit où elle venait d’enterrer son nouveau-né. Aujourd’hui, A.B. déclare ne garder aucune rancune contre sa génitrice.

Un fait qui restera à jamais gravé dans la mémoire de A.B., c’est le fait que c’est sa propre maman qui avait posé le premier acte ayant abouti à son arrestation. Celle qui l’a mise au monde l’a presque dénoncée. Selon A.B., beaucoup de ses codétenues ne parlent plus avec leurs mamans. Pour la bonne et simple raison que c’est leurs mères qui avaient vendu la mèche au moment des faits. « Moi, je n’ai pas gardé une dent contre ma mère parce que j’ai la certitude qu’elle n’avait pas le choix », dit-elle. Les visites répétées que sa maman lui rendait en prison avaient fini de la convaincre que sa génitrice était de tout cœur avec elle. Son père, parce que souffrant de pathologie cardiaque, s’arrêtait devant la porte de la prison, laissant les autres accéder à l’intérieur. Au tout début, ses trois frères, qui lui reprochaient d’avoir eu le culot de commettre un délit aussi grave, s’abstenaient d’aller s’enquérir de ses nouvelles. Ce n’est que par la suite qu’ils ont commencé à compatir avec leur sœur en allant la voir en prison.

Auprès de sa famille, A.B. exerce une réelle autorité. Tout le monde est soumis à ses lois comme celle consistant à frapper à sa porte, attendre son autorisation avant d’entrer. Il le faut. Bien sûr. Pour une femme « accroc » de cigarette et qui ne s’autorise jamais à tirer sur une mèche en présence de sa fille avec laquelle elle partage la même chambre. Après que nous l’avons rassurée que la fumée ne nous indispose guère, elle profite du moment où votre serviteur est allé renouveler ses ablutions pour la prière, pour aller acheter de la cigarette. A.B. attend que votre serviteur ait fini de prier pour allumer une mèche juste après avoir parfumé la chambre avec de l’encens à l’odeur exquise. Deux pots d’encens sont accrochés aux deux extrémités de l’encensoir perpétuellement incandescent, juste à côté du matelas posé à même le sol. A la manière des grands habitués, elle s’emploie à nous impressionner en fumant comme une chevronnée. « Ne crois pas que le fait que je fume a une relation avec mon séjour en prison », nous avertit-elle. « J’ai commencé à flirter avec le tabac à l’âge de quatorze ans ». Aujourd’hui, elle en a trente six. « C’était juste par curiosité ». Une précision à laquelle elle tient. Après plusieurs heures d’entretien, A.B. reconnaît pour la première fois que c’est sous l’effet du stress qu’elle a fini par être victime d’une maladie de sein. Soudain, son visage redevient renfrogné. Elle nous regarde droit dans ses yeux de femme meurtrie dans son âme et atteinte dans sa chair. D’un regard perçant. Exprimant un haut le cœur qu’elle arrive tant bien que mal à étouffer. Elle devient calme, flegmatique, quasiment percluse. « En un moment de mon séjour carcéral, j’ai véritablement souffert d’avoir été séparée de mes enfants et de ma famille ». Et, à force d’en souffrir, le mal finit par se répercuter physiquement sur son état de santé. Par intermittence, l’entretien est entrecoupé par les membres de sa famille venus qui, pour lui demander la permission de sortir, qui, pour lui parler.

“Le regard des autres, je m’en balance”

A cause de son passé, A.B. est vue par son voisinage d’un autre œil. Cette stigmatisation la laisse de marbre. « Je ne me soucie point du regard des autres », dit-elle.

Curieusement, A.B. se moque éperdument du regard de curiosité que les autres posent sur elle. « Dehors, je ne me soucie point du regard que les autres posent sur moi », nous confie-t-elle. « Avant de sortir, je prends le temps de me faire aussi belle que possible en portant de beaux habits bien parfumés de surcroît ». A.B. continue pourtant à se rendre à des cérémonies de mariage et de baptême. Mais jamais, elle n’a souffert de comportements flétrissants de la part des autres. Elle tente d’être indifférente aux provocations. Elle s’évite une stigmatisation. En réalité, ces regards pesants, curieux et/ou dédaigneux, inquisiteurs et parfois blessants, elle en est confrontée au quotidien. La confirmation nous est venue d’une femme qu’elle a croisée et qui la regardait avec insistance comme si elle était en face d’un monstre. Une jeune fille s’est permise de jeter des œillades à A.B. qui ne s’en est pas souciée du tout. L’ancienne détenue fait du mieux qu’elle peut pour éviter de sombrer sous le poids du regard des autres, mais il n’en demeure pas moins vrai que ce jugement défavorable est là, omniprésent et perturbateurs à la fois. « Je ne tiens en compte, en réalité, que de trois êtres : le Tout-Puissant, mon père et ma mère » avertit A.B. Elle ajoute : « les provocations venant des autres, je m’en balance ». Deux choses préoccupent en ce moment A.B. Il s’agit de sa réussite et celle de ses enfants. Des regrets, elle en nourrit également. « Mon fils qui est si jeune a abandonné ses études pour ne devenir qu’un pauvre charretier, je passe des moments à penser à ce qu’il deviendra un jour ». « Pour ce qui est de ma fille, le jour où je tiendrai un atelier de couture, je pourrai lui apprendre mon métier », espère-t-elle.

« J’ai une aversion pour les hommes »

Divorcée à deux reprises, A.B., mère de cinq enfants, attend un autre prince charmant. Elle a, néanmoins, deux prétendants. Le premier est polygame avec trois épouses. Le second aussi est polygame, mari de deux femmes. Tous les deux lui ont fait part de leur souhait de la conquérir. A.B. veut prendre le temps de réfléchir avant de s’engager dans un troisième mariage. Son statut de mère de cinq enfants, avec une fille ayant atteint l’âge de la puberté, la condamnerait à ne vivre (au cas où elle se serait remariée avec l’un de ses deux prétendants) que séparément avec ses coépouses. « J’ai une certaine aversion pour les hommes, c’est la raison pour laquelle, j’ai décidé de ne plus aimer quelqu’un ». Elle est d’avis que la femme trouverait son intérêt à ne partager sa vie qu’avec un homme qui l’aime et non avec quelqu’un qu’elle aime. « Les hommes d’aujourd’hui ne font que maltraiter les femmes qui leur manifestent un amour sincère », dit-elle. C’est la raison pour laquelle, elle ne veut point se marier avec un jeune. « J’ai opté pour me marier avec une personne de troisième âge, parce que ces personnes sont plus sensibles aux problèmes de leurs femmes et ne te mènent pas la vie dure ».



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