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Campus universitaire de Dakar : DEMAIN, LA MORT !

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Campus universitaire de Dakar : DEMAIN, LA MORT !

Le compteur affiche plus de 50 000 étudiants. Alors que cet espace était conçu pour seulement 15 000. Et chaque année le nombre ne cesse de croître. Au même moment, les infrastructures pour les accueillir sont au point mort.

Le Campus implose ! Les chambres et les couloirs sont remplis à ras-bord. L’insécurité qui se manifeste, entre autres, par la vente de la drogue et les risques de maladies du fait de la « taudisation » du campus, font partie du quotidien de l’étudiant qui voit ses chances de réussir dans un tel environnement se réduire de jour en jour.

Et ne soyez pas étonnés si les amphithéâtres se transforment demain en dortoir la nuit pour des étudiants « SDF », si cela n’est déjà fait. Les étudiants américains Brad KEIST et Todd TABER, stagiaires chez nous, nous promènent, parfois avec un regard étonné, dans les couloirs du campus qui vit ses derniers instants. La mort ! Reportage.

Une lampe à la lumière fluorescente clignote irrégulièrement au-dessus des escaliers délabrés. Sa lumière n’atteint pas le bout du corridor, elle n’allume pas la dernière salle. Comme nous descendons le couloir d’un dortoir des hommes et nous suivons un étudiant sénégalais à sa chambre au troisième étage, l’obscurité de ce couloir nous frappe. Nous nous demandons comment les étudiants peuvent habiter ici, si aisément, dans ces conditions ? Comment ils peuvent apprendre ?

« Il y a trop d’étudiants, il n’y a pas assez de chambres, » dit Moïse Faye, étudiant et un habitant du troisième étage du pavillon à l’Université de Cheikh Anta Diop de Dakar. Il habite dans ce dortoir depuis six mois. Pendant qu’il décrit sa vie quotidienne à l’université, nous nous asseyons et nous sommes choqués par l’étroitesse de sa chambre. Un poster de Jésus-Christ montrant le Saint Esprit au-dessus d’un champ spacieux de nuages ; vaste espace qui se moque de cette minuscule demeure. Trois savonnettes posées sur la fenêtre se liquéfient au contact de la chaleur du soleil. Des araignées tissent tranquillement leurs toiles, des cordes qui font office de séchoir de linge, sont suspendues au-dessus de nos têtes. « Il n’y a qu’un lit, mais j’habite avec trois autres. », confie-t-il. Lorsque la nuit arrive, les matelas sont enlevés du seul lit et mis sur le sol. À ce moment-là, le sol est invisible.

Aujourd’hui, Cheikh Anta Diop héberge plus de 50.000 étudiants dans un environnement qui ne peut supporter que 15.000 étudiants seulement. Il y a des chambres individuelles, à deux ou à trois. La plus petite chambre a une dimension de 3 mètres carrés, mais peut héberger trois ou quatre étudiants, selon M. Mactar Ndoye, le Chef assistant des résidences du Centre des Œuvres de l’Université de Dakar (COUD), « nous visitons mensuellement les chambres et nous voyons le problème mais il n’y a rien que nous puissions faire, » dit Ndoye. « Nous n’avons d’autres choix que d’accepter autant d’étudiants qu’il n’y a de lits. »

Le Campus social est un essaim de bâtiments délimités par des chemins de terre sèche. À l’extérieur, les murailles des bâtiments sont couvertes de graffitis, avec des slogans politiques qui revendiquent leur appartenance idéologique ou qui déclinent leur projet de société. « Les étudiants votent waarwi ak Fada. », entre autres. Les volets pendent des fenêtres par un fil. Les rangées de vêtements tordent dans le vent et voltigent vers le sol. Le toit est comme une décharge publique où il y a les tas de chaises cassées, de pneus déformés, et de vêtements déchirés.

À l’intérieur, il y a seulement 3.847 lits où les étudiants dorment chaque nuit. Chaque coin, chaque couloir des dortoirs de l’université est plein d’étudiants. Dans les chambres exiguës, les étudiants s’entassent comme des boîtes de conserve. « Je n’ai jamais vu une chambre de seulement deux personnes, » dit Ousmane Fall, un étudiant de l’UCAD.

La solidarité aidant, les étudiants qui sont logés se sentent obligés (comme une obligation morale) d’héberger ceux qui n’ont pas la chance de décrocher un lit. Venir en aide à un ami ou un parent et le sens du partage, constituent autant de valeurs chez les étudiants dont l’environnement est devenu hostile à un travail de réflexion, tellement les pollutions de différents ordres, surtout sonore, ont envahi un campus qui n’a aujourd’hui rien à envier aux « Fazendas ». « Nous sommes obligés d’aider les personnes, les parents ou les amis qui habitent loin, très loin de l’Université », confie Marguerite Coly, étudiante à l’École Normale Supérieure (ENS). Le Professeur Abdou Sow, Doyen de Faculté à l’Ens estime que cette solidarité est « un fait positif qui permet d’aider les autres étudiants qui n’ont pas cette opportunité de loger au campus social, ». Le bureau du Professeur n’a rien à voir avec cet univers « carcéral » des étudiants. Il nous invite à s’asseoir dans un fauteuil en cuir noir, et du climatiseur s’échappe un air glacial qui nous donne presque la chair de poule. De l’autre côté de son bureau se dévoile un grand écran de télévision.

Siaka Mané, étudiant à l’ENS et membre de l’Amicale des étudiants qui partage sa chambre avec ses trois camarades, soutient que pendant la journée, il y a huit personnes ou plus dans cette chambre. Ce sont ses amis qui habitent la banlieue comme Pikine ou Yarakh qui passent, entre deux cours. Souvent à l’heure du repas, les chambres sont remplies. Les étudiants qui n’ont pas de tickets de restaurant sont dépannés par les autres qui, au lieu de manger au Resto U, préfèrent prendre le repas et venir le partager avec les nombreux visiteurs.

Les conditions des dortoirs et la qualité de vie universitaire posent des problèmes uniques aux étudiants des universités sénégalaises. Dans une chambre partagée par quatre ou plus, il est difficile d’étudier. Le Campus social est un vrai marché, on y entre comme on veut. Ce qui pose du coup, selon les étudiants interrogés, de sérieux problèmes d’insécurité. « Nous ne pouvons pas identifier les gens, », fait remarquer notre interlocuteur. E pour lui, ce sont les étudiants qui s’opposeraient à ce que l’on procède à de tels contrôles, parce que jaloux de leur liberté. Réfléchissant à haute voix, des étudiants viennent à se demander comment une université peut espérer que ses étudiants réussissent dans ces conditions ? Au-delà des problèmes d’insécurité, il y a ceux qui sont liés à la santé des étudiants. Des chambres surpeuplées se dégage une chaleur qui présente des risques de santé personnelle.

Avec la porosité de la résidence universitaire, des activités illicites trouvent ainsi un terreau fertile. Du chanvre indien à la drogue dure, le campus est devenu, par la force des choses, un marché potentiel pour les narcotrafiquants.

Autre plaie, la pollution sonore. En plus de la musique, les étudiants des différentes confréries ont transféré au niveau des dortoirs leurs activités religieuses. La nuit, ils envahissent les couloirs, empêchant les autres étudiants de dormir. Ces derniers ont plusieurs fois interpellé le Directeur du Coud, mais ce dernier hésite à prendre des mesures.

« Le soir, les garçons de l’université ne se couchent pas tôt. Certains boivent du thé et écoutent de la musique parfois jusqu’à trois heure du matin. Les étudiants « carriéristes » qui veulent étudier ne peuvent pas le faire ou sont obligés de déserter le campus social pour aller dans les amphis apprendre. »,explique Mamadou Ndoye.

En cette période d’examen, nous sommes frappés par ces étudiants qui peuplent le jardin de l’université pour réviser. Ils marchent sous les arbres, récitent à haute voix, parfois en silence leurs cours. Parce que la nature a horreur du vide, que les étudiants sont obligés de créer d’autres espaces pour survivre « académiquement ».

La population estudiantine de l’université augmente chaque année. En 2003, il y avait 40.000 étudiants. Cette année, 2007, les chiffres ont gonflé à plus de 50.000.

La pauvreté et le manque de moyens sont les choses les mieux partagées au campus.

« Il y a trop d’étudiants et pendant ce temps, aucun changement du point de vue des infrastructures », souligne Khady Sall-Diallo, une étudiante. En 2002, après l’élection de Abdoulaye Wade et la mort de l’étudiant Balla Gaye, les exigences pour s’inscrire à l’Université sont revues à la baisse. Contrairement à la moyenne minimale de 10 sur 20, en sus du Bac, pour s’inscrire à la Fac, depuis 2002, il suffit d’avoir seulement le Bac pour se voir ouvrir les portes de l’Université. Ce qui explique la pléthore d’étudiants. Cependant, les étudiants n’acceptent pas que l’on jette la pierre dans leur jardin. Pour eux, c’est le gouvernement qui doit prendre ses responsabilités. Car, que fera-t-on des bacheliers qui n’ont pas eu d’inscription à l’Université ? Il faudrait que l’on trouve une solution pour eux, lancent nos interlocuteurs. « Le gouvernement a besoin de construire d’autres universités à l’extérieur de Dakar, dans d’autres villes, peut-être une nouvelle université chaque année, » préconise M. Faye.

Pour pallier le manque de lits, l’Etat, du temps du Président Abdou Diouf, avait loué des immeubles dans les quartiers environnants : Gueule Tapée, Médina, Fass et Fann Hock. Cette expérience n’a pas fait long feu parce que, dit-on, l’Etat a accumulé plusieurs mois d’arriérés de loyers.

Pour les étudiants, le seul langage que les autorités connaissent c’est la grève. Il faut faire des « casses » pour que le gouvernement réagisse positivement. C’est à l’issue de mouvements de grève, dit-on, que les autorités ont construit quelques pavillons. Une goutte d’eau dans l’océan ! Au gouvernement et au peuple, les étudiants rappellent « qu’ils sont le seul espoir pour le développement. Nous devons être mis dans de bonnes conditions pour que demain nous devenons de vrais vecteurs de développement. Et cela suppose un minimum d’investissement », disent-ils.

Brad KEIST, Todd TABER (Stagiaires) et BDM



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