Jeudi 18 Avril, 2024 á Dakar
Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Top Banner
Societe

[Migration et santé mentale] 2/2 Boubacar Sèye : “Les migrants ne voient pas la couleur de l’argent des fonds de résilience”

Single Post
[Migration et santé mentale] 2/2 Boubacar Sèye : “Les migrants ne voient pas la couleur de l’argent des fonds de résilience”
Exposés à des facteurs de stress avant, pendant et après le voyage, les migrants irréguliers et les réfugiés ne bénéficient généralement pas d’un suivi psychothérapeutique. Rejetés par les sociétés européennes (pour ceux qui réussissent à franchir les frontières) ou livrés à leur propre sort de retour dans leur pays d’origine, beaucoup de migrants voient leur santé mentale se dégrader sans aucune prise en charge. Dans cet entretien accordé à Seneweb dans le cadre du programme « Nouvelles perspectives » financé par l’Union Européenne, Boubacar Sèye, directeur de l’Ong Horizons sans frontières, lance un plaidoyer pour la prise en charge sanitaire des migrants non sans revenir sur les différents facteurs qui nuisent à leur santé mentale. Entretien ! 



Monsieur Sèye, en tant que directeur de l’Ong Horizons sans frontières, vous êtes souvent au contact des migrants. Dites-nous quels sont les facteurs de stress pouvant aboutir à des troubles mentaux chez les migrants, avant, pendant et après le voyage ?



Ce phénomène concerne plus les réfugiés, demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière. Ils sont exposés à divers facteurs de stress qui nuisent à leur santé mentale durant le voyage, après le voyage et même après leur installation dans les pays d’accueil. Ce stress-là affecte plus cette catégorie de migrants.

Avant le voyage, vous conviendrez avec moi que pour quelqu’un qui entame un projet migratoire clandestin, il y a d’abord : les soucis financiers, l’exposition aux conflits armés. Pas plus tard qu’hier, on m’a signalé des sénégalais qui sont enrôlés dans les factions rivales en Libye. S’ensuivent souvent des extorsions de fonds. On appelle souvent les familles ici au Sénégal pour qu’elles envoient de l’argent afin que le candidat soit libéré.

Cette peur permanente d’être enrôlés de force dans les factions rivales en Libye, la violence, la persécution, perturbe les migrants pendant le voyage ou le transit. Il y a la crainte de mourir en méditerranée. C’est la plus grosse crainte. Rien qu’en 2022, on nous parle de 3000 morts et ce n’est qu’en termes d’approximation. Lors de la coupe du monde, on ne peut pas vous dire le nombre de morts qu’il y a eu parce que les gens profitaient des matchs du Maroc pour tromper la vigilance des gardes côtes.

Arrivés en Europe, également, ils sont confrontés à d’autres facteurs de stress notamment le risque d’être retenus dans des centres de rétention. Après l’étape centre de rétention, il y a le risque d’être expulsé qui est aussi un facteur de stress. La séparation avec les familles va également causer un stress parce que l’Europe c’est la civilisation du silence.





“La plupart jettent leurs papiers pour bénéficier du droit d’asile. Le migrant Sénégalais, par exemple, puisqu’il n’est pas prévu par la convention de Genève de 1951, est un migrant économique. Il jette ses papiers et quand l’immigration lui demande son origine, il se réclame d’un pays en guerre”



Il y a aussi les réalités socio-culturelles…

Effectivement ! Les réalités socio-culturelles diffèrent. Au Sénégal, quand on a faim on peut demander à manger à son prochain qui t’amène volontiers chez lui et te donne à manger. En Europe cela n’existe pas. Il y a aussi la pauvreté, le manque d’argent parce qu’on arrive sans rien et même sans papiers parce que la plupart jettent leurs papiers pour bénéficier du droit d’asile.

Le migrant Sénégalais, par exemple, puisqu’il n’est pas prévu par la convention de Genève de 1951, est un migrant économique. Il jette ses papiers et quand l’immigration lui demande son origine, il se réclame d’un pays en guerre.

Le statut juridique aussi est un facteur de stress. Il n’est pas dit que ta demande d’asile sera acceptée. Donc le migrant dans cette situation vit dans ce risque de rejet qui constitue un grand stress pouvant affecter sa santé mentale. Je pense qu’il faut tenir un langage de vérité aux Sénégalais. Il faut qu’ils comprennent que le Sénégalais ne peut pas bénéficier du droit d’asile. Les accords de Dublin protègent les sénégalais. Mêmes s’ils ne peuvent pas être réfugiés, ils ont la protection subsidiaire. 






Un autre facteur de stress ce sont les attentes des familles, la pression familiale. Celui qui vient d’arriver et qui n’a même pas où loger ni un travail, on lui met la pression. Je me rappelle un cas qu’on m’a une fois expliqué, c’est un jeune migrant qui venait juste d’arriver il appelle sa famille pour dire qu’il est bien arrivé, sans même lui demander dans quelle condition il est, on lui propose des parcelles de terrains en vente (rires). Jouent encore nos pesanteurs socio-culturelles qui affectent davantage la santé mentale des migrants.

Ce sont ces problèmes qui poussent beaucoup de jeunes migrants sénégalais en particuliers, à sombrer dans un premier temps dans la tentation. Certains qui n’ont jamais touché à la cigarette, commencent à fumer pour oublier les problèmes. D’autres malheureusement sombrent dans la drogue.



“Il y a plein de migrants aujourd’hui que tu retrouves à Paris ou dans les autres villes d’Europe, sous un feu de circulation, dans le froid, totalement dépressif”



Là ce sont des facteurs aggravants…

Voilà ! Le migrant est à peine arrivé, sa famille exerce une pression folle sur lui. Après la pression familiale, il y a la dépression mentale. C’est aussi simple que cela ! Il y a plein de migrants aujourd’hui que tu retrouves à Paris ou dans les autres villes d’Europe, sous un feu de circulation, dans le froid, totalement dépressif.

Tout ce qu’on a évoqué joue sur la santé mentale de ces catégories de personnes (le demandeur d’asile, le candidat à la migration clandestine et le réfugié).

Moi-même, j’ai vécu le même problème et le même stress.

Pouvez-vous nous raconter votre expérience personnelle ?

Il y a un peu plus de trente ans, j’avais 20 ans. C’était en 1990. J’ai décidé de quitter le Sénégal, j’avais seulement 5000 francs dans ma poche. J’avais une préinscription à Louis Pasteur de Strasbourg. J’ai pris l'avion et je suis arrivé en Italie à Rome alors que je devais me rendre en France. Je n’avais pas d’argent. On nous a rapatrié à Abidjan (Côte d’Ivoire) où on a été en détention pendant 3 jours. L’agent de police m’a demandé si je voulais retourner au Sénégal, je lui ai dit non. Il m’a mis en contact avec la communauté sénégalaise de Treichville.

Après avoir poursuivi mes études et avoir commencé une carrière d’enseignant en mathématiques, la guerre a éclaté. J’ai vendu mes bagages et l’ambassade de France m’avait offert un visa. J’avais beaucoup de problèmes : le logement, défaut de titre de séjour. Je n’avais aucun support, j’ai perdu ma mère à l’âge de 10 ans. Je devais donc me débrouiller seul pour m’en sortir. Il m’a fallu un mental d’acier pour m’en sortir.

Êtes-vous souvent sollicité, en tant que leader d’une Ong pour des cas de migrants souffrants de troubles et comment les gérez-vous ?

Souvent on m’appelle. Mais il faut dire que l’approche de ces genres de personnes qui souffrent de troubles mentaux est difficile parce qu’on ne connaît pas leur état d’esprit. Un jour, je faisais du vélo en Espagne et j'ai vu une personne dans le froid. Il ressemble à un Sénégalais mais je n’ose pas m’approcher de lui pour lui apporter mon soutien. C’est une situation très pénible pour moi de ne pas pouvoir assister ces personnes faute de moyens. C’est pourquoi je vous félicite d’avoir abordé cette thématique et espère que cela poussera les autorités à agir.

A Brescia, également, on m’a appelé pour que je vienne aider un Sénégalais qui souffrait de maladie mentale. La seule information qu’on a pu tirer de lui c’est qu’il habite Dakar. J’ai vu ce genre de cas à Paris, à Milan et en Espagne.



“Il faut  faire un recensement exhaustif des Sénégalais vivant à l’étranger, un recensement des migrants en situation précaire et ceux parmi eux qui souffrent de troubles mentaux dû aux nombreux facteurs de stress”



Arrivez-vous à retrouver leur famille ?

On peine à retrouver leur famille. On multiplie les publications sur les réseaux sociaux et souvent certains internautes arrivent à les reconnaître.

Est-ce que l’État du Sénégal entreprend des actions pour les rapatrier auprès de leur famille ?

Nous, en tant qu’organisation, nous ne pouvons pas rapatrier ces gens-là. Horizons sans frontières n’a pas de subvention. Tout ce qu’on peut faire c’est de poser le débat afin que l'État prenne ses responsabilités. C’est à l’État de les prendre en charge et de les rapatrier. Mais avant d’organiser un rapatriement il faut d’abord faire un recensement exhaustif des Sénégalais vivant à l’étranger, un recensement des migrants en situation précaire et ceux parmi eux qui souffrent de troubles mentaux dû aux nombreux facteurs de stress. Il n'y en a point.



“Les politiques de réintégration sociale des migrants de retour ne sont que chimère”



Bénéficient-ils d’une prise en charge de la part des autorités des pays d’accueil ?

Quelqu’un qui ne veut pas de vous ne va pas vous soutenir. Les autorités de ces pays d’accueil n’aident pas ceux qui sont sains d’esprit à plus forte raison ceux qui ne jouissent pas de toutes leurs facultés mentales. Ils sont laissés à eux-mêmes. C’est l’absence des politiques d’intégration.

Existe-t-il un appui psychologique pour les migrants de retour au Sénégal ?

Il n’y en a point. A leur retour au Sénégal, les migrants sont livrés à eux-mêmes. Ils ne bénéficient pas d’appui psychologique pour panser leurs plaies et de se réintégrer dans la société. Les politiques de réintégration sociale des migrants de retour ne sont que chimères. Les migrants ne voient pas la couleur de l’argent des fonds de résilience.

Dans son Plan d’action 2019-2023 de promotion de la santé des migrants, l’Oms s’est engagé à aider les États membres dans la prise en charge de la santé mentale des migrants. Est-ce que ces actions se font ressentir sur le terrain ?

L’Oms ne fait rien du tout. C’est du bavardage. C’est de l’hypocrisie. Maintenant au niveau de nos pays, moi j’interpelle Amadou François Gaye, Directeur des Sénégalais de l’extérieur. Je sais que si on lui donnait cette liberté de travailler et les moyens qu’il faut, il a une approche participative. D’abord il faut recenser les migrants sénégalais partout où ils se trouvent pour pouvoir leur apporter l’aide spécifique dont ils ont besoin.  

Il faut qu’on intègre cette problématique de la santé mentale des migrants dans les questions de soins de santé primaire. La santé est un droit et les migrants doivent en bénéficier comme tout le monde parce que ce sont des êtres humains comme tous les autres.



Quelle place doit occuper cette question de santé mentale des migrants dans l’élaboration des politiques migratoires ?



Une place primordiale. Avant de faire quoi que ce soit, on a besoin d’être en bonne santé physique et mentale. Cela devrait être le premier pas vers l’intégration.

J’appelle nos États à redonner l’espoir à ces milliers de jeunes qui bravent la mer pour trouver des moyens de subsistance. Ils doivent lutter contre l’extrême pauvreté, facteur de propension de ce fléau.

Au Sénégal, par exemple, avec la découverte et l'exploitation prochaine de nos ressources pétro-gazières, l’État doit réfléchir à bien gérer et réinvestir les retombées financières dans sa jeunesse afin que celle-ci puisse rester au pays et vivre décemment.





6 Commentaires

  1. Auteur

    Promum

    En Avril, 2023 (06:21 AM)
    La leçon que j'ai tiré de la méthode du footballeur marocain Achraf Hakimi dans l'histoire de son divorce est que nos mamans constituent nos boucliers face à n'importe quelle menace.  Tant qu'on s'attachera à elles,  aucun prédateur ne pourra nous atteindre. C'est pas pour rien que la plupart des mauvaises filles détestent leurs belles mères, les mamans de leurs maris,  c'est parce savent que ces belles mamans les empêcheront de détruire leurs enfants qui les ont épousé. Un homme qui cherche protection,  doit chérir sa maman et la mettre au dessus de tout le monde. Ne commettez jamais l'erreur de subir les manipulations d'une épouse jusqu'à se détourner de votre mère ou être amené à la négliger.  Une épouse qui réussit à te diviser avec ta maman,  pourra à tout moment te détruire à bout portant. Une épouse qui n'aime pas ta maman ne mérite pas ton attention ni ton amour.
    Top Banner {comment_ads}
  2. Auteur

    En Avril, 2023 (07:27 AM)
    Celui-là c'est un gros menteur!!
    {comment_ads}
    Auteur

    Transmission 1

    En Avril, 2023 (07:47 AM)
    Dites à Sanex qu'un film sur l'unicité du créateur lui fera goûté une carrière de rêve plus fou que toutes ses espérances.

    Transmis 
    {comment_ads}
    Auteur

    En Avril, 2023 (11:21 AM)
    Les primitifs sont vexés: on leur met la gueule dans la merde..  votre zoo est une poubelle et vous pourris ne font rien pour leurs concitoyens....vous pouvez vomir votre haine crasse: les faits sont têtus...allez voir aux USA si les 'concitoyens" sont peace and love entre eux ?
    {comment_ads}
    Auteur

    En Avril, 2023 (13:20 PM)
    Merci Monsieur Boubacar Séye pour ce grand témoignage. La pauvreté est un grand mal. J´ai plus de 60 ans et vous assure que l´immigration n´est pas une solution pour sortir de la pauvreté. Les africains font trop d´enfants. En plus nos familles nous tyranisent. Tout ce que j´avais économisé pour pouvoir vivre dignement à mon retour au pays a été volé par ma soeur (même père, même mère). Beaucoup de nos parents matérialistes pensent que dès que quelqu´un atterri en europe, il doit envoyer de l´argent chaque mois.....

    Dans beaucoup de grandes villes en europe en allemagne, belgique, france,... il y a beaucoup de jeunes africains fous traumatisés qui érent. Certains jeunes croient qu´il suffit de débarquer en occident pour avoir un travail et envoyer des mandats à sa famille restée au pays. Mais c´est être trop NAIF !!!! Le chômage existe dans tous les pays européens. Et qu´ils sachent qu´il y a aussi d´autres pauvres européens blancs qui quittent leur pays, ville, village.. pour s´exiler. L´équation à résoudre est trouver une chambre/habitation, avoir du travail pour survivre. Sans papier légal -autorisation de travailler il est souvent difficile voir impossible de trouver du travail. Même dans les chantiers et champs qui font l´objet de contrôle sévéres: Si on trouve un africain qui travaille illégalement sans papier, l´employeur sera condamné à payer un somme astronaumique et cela ne vaut même pas la peine de prendre quelqu´un sans autorisation pour le faire travailler au noir.

    C´est cela qu´il faut dire aux gens/jeunes qui sont en afrique et rêvent de partir. Au lieu de nous faire de articles qui parlent des salaires des joueurs qui sont exceptionnels!!!!

    Weddi guiss bokkou ci

     
    Top Banner
    Auteur

    Parles D'émigrés

    En Mai, 2023 (10:56 AM)
    Ce monsieur aborde un probleme tres serieux en tout cas il doit être reconnu mais le mal est profond. L'émigration africaine et plus particulierement du Senegal est honteuse et inhumaine. C'est une forme d'esclavage sadique et sans état d'âme , le pire est que la plupart des victimes ne s'en rendent pas compte. Ils sont vus et des fois abusés a veces heures en retour au pays on les voit comme des guichets automatiques surtout des idiots. Ils envoient pour construire,pour ta famille pour tes enfants, pour investir mais ils font du "doore marteau" c'est très cruel vraiment et ils te regardent dans les yeux. Ríen ces tourmentes affectent l'etat mental et psichologigue. C 'est vrai le cas des refugiés mais pour nous les senegalais ça nous concerne plus une banque garantie par l' État qui donnerai des credits pour le temps d'immigration se reduisent et  seulement en 5 ans  vivrent avec leur femme et leurs enfants. Ces braves méritent le Bonheur.

     
    {comment_ads}

Participer à la Discussion

  • Nous vous prions d'etre courtois.
  • N'envoyez pas de message ayant un ton agressif ou insultant.
  • N'envoyez pas de message inutile.
  • Pas de messages répétitifs, ou de hors sujéts.
  • Attaques personnelles. Vous pouvez critiquer une idée, mais pas d'attaques personnelles SVP. Ceci inclut tout message à contenu diffamatoire, vulgaire, violent, ne respectant pas la vie privée, sexuel ou en violation avec la loi. Ces messages seront supprimés.
  • Pas de publicité. Ce forum n'est pas un espace publicitaire gratuit.
  • Pas de majuscules. Tout message inscrit entièrement en majuscule sera supprimé.
Auteur: Commentaire : Poster mon commentaire

Repondre á un commentaire...

Auteur Commentaire : Poster ma reponse

ON EN PARLE

Banner 01

Seneweb Radio

  • RFM Radio
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • SUD FM
    Ecoutez le meilleur de la radio
  • Zik-FM
    Ecoutez le meilleur de la radio

Newsletter Subscribe

Get the Latest Posts & Articles in Your Email