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Politique

Roland Colin, auteur du livre « Sénégal, notre pirogue au Soleil de la Liberté » : “ Senghor a toujours été torturé par de grands drames intérieurs, alors que Mamadou Dia, incarnait la négritude vécue ”

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Roland Colin, auteur du livre « Sénégal, notre pirogue au Soleil de la Liberté » : “ Senghor a toujours été torturé par de grands drames intérieurs, alors que Mamadou Dia, incarnait la négritude vécue ”

Auteur, universitaire, mais c’est surtout à témoin oculaire qu’est Roland Colin qui a récemment séjourné au Sénégal pour la promotion de son ouvrage « Sénégal notre pirogue au Soleil de la Liberté ». Fonctionnaire de l’administration coloniale, M. Colin a travaillé avant l’indépendance avec deux figures de proue de la politique sénégalaise, Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor. C’est ainsi qu’il est un témoin privilégié de la marche vers l’Indépendance, mais également des déchirements qui ont opposé les deux hommes et l’ont affecté. Avec le recul nécessaire et un regard critique, il revient dans l’entretien qu’il nous a accordé, sur toutes ces péripéties et tribulations qui ont marqué cette période et qui, certainement, apporteront des réponses à nombre de questions demeurées jusque-là sans réponse.

Vous avez publié en juillet dernier, le « Sénégal notre pirogue au Soleil de la Liberté ». L’intitulé de l’ouvrage semble chargé. Pouvez-vous revenir à son contenu ?

L’intitulé est une image. La pirogue parce que ce livre traduit un véritable voyage, un voyage dans la vie, dans l’histoire. Tous les Sénégalais savent que l’étymologie du Sénégal, c’est « Sunu-Gaal » (notre pirogue). L’idée est donc, avec les amis Sénégalais, de naviguer dans une pirogue pendant longtemps. Et nous essayons de voir en cours de route vers la liberté, le Sénégal émerger de l’époque coloniale avec beaucoup d’incertitudes.

Je suis arrivé au Sénégal en janvier 1955, et à cette période, on savait que la décolonisation était nécessaire. Certains l’acceptaient, d’autres, au contraire, se cramponnaient dans des visions passées tant d’ailleurs du côté africain que du côté européen. Tous n’étaient pas rangés dans le même camp et dans le même bord. J’ai connu Senghor, à cette époque, de façon très amicale. J’étais son élève. Et nous étions restés en relations étroites. Je suis sorti de l’Ecole de la France d’Outre-mer (ENFOM) avec la volonté de participer à la décolonisation, encouragé en cela par certains étudiants africains. Et parmi mes amis, il y avait Joseph Ki Zerbo qui était étudiant en histoire. Il me disait que « les jeunes Français comme toi avec qui nous partageons les idées, c’est important que vous entriez dans le système colonial pour l’aider à se transformer de l’intérieur. En même temps, c’était capital de pouvoir rejoindre le peuple africain dans leur culture, dans leur vécu ».

J’étais beaucoup passionné par les langues. Senghor m’avait beaucoup encouragé. D’ailleurs, il a enseigné le « Pulaar », à l’école l’ENFOM. Je me suis inscrit à l’école des langues orientales et là j’ai un diplôme qui a touché les langues du groupe Mandingue Bambara, Dioula, Malinké. Au sortir de l’école, j’étais à Bamako. J’ai eu la chance de pouvoir faire une expérience dans le pays profond, j’étais Administrateur adjoint dans le pays Sénoufo où j’ai passé plus deux ans avec ma jeune femme qui était diplômée des langues orientales.

Senghor était mon deuxième maître d’initiation. Avec cette démarche qui était peu commune à l’époque, nous étions passionnés de la traversée du miroir. On disait qu’il fallait rejoindre les peuples africains notamment dans ses conditions de vie. Et là, on a appris beaucoup de choses. C’était une situation de porte à faux qui n’était pas très commode. L’administration voyait de mauvais œil ces comportements insolites. De plus, nous fréquentions beaucoup les amicales, qui, à l’époque, se mobilisaient au Soudan. Quand, nous avions fini, ma femme et moi, l’administration n’a pas souhaité que nous revenions au Soudan, et on m’a affecté au Sénégal. Au début, nous avions des sentiments de déception, mais la déception s’est vite transformée en satisfaction parce que nous retrouvions Senghor et des amis du Quartier Latin. Nous allions nouer de véritables amitiés avec des personnalités comme le Pr Assane Seck, Alassane Ndao, le premier professeur de philosophie africaine.

Autant dire que l’ouvrage revient sur votre « épopée » africaine et sénégalaise particulièrement ?

Oui, mais je voudrais dire qu’à Dakar, j’étais à la Délégation, Colombani étant l’Administrateur qui la dirigeait. C’est dans ces fonctions de délégation que l’on administrait la ville de Dakar. J’ai appris patiemment à découvrir tous les arcanes de cette société, en crise avec la présence du gouvernement général. Ma présence à Saint-Louis a été aussi une aventure très bénéfique parce qu‘elle m’a permis de connaître le personnel politique du Sénégal de l’époque comme Mamadou Dia et tous les députés, les conseillers généraux. Ce sont les gens avec lesquels j’ai noué des relations personnelles fortes. Cela m’a permis aussi de découvrir le Sénégal profond.

Mais cette découverte n’allait pas sans tensions ?

Oui, les tensions montaient puisqu’il y avait cette fameuse histoire de la Loi Cadre. Certains avaient une opinion tout à fait passéiste, ne souhaitant pas que l’autonomie qui s’amorçait soit octroyée à la Fédération de l’AOF qui était trop puissante pour rester sous contrôle postcolonial. La politique de balkanisation a prévalu au grand dam de Senghor, de Dia, soutenus par d’autres leaders africains, notamment parce qu’ils ne voulaient pas partager les richesses africaines. Cela s’est terminé avec le limogeage du gouverneur Colambani.

La loi cadre a été mise en place en place en mai 1957 ; et immédiatement, Senghor m’a rappelé au Sénégal, me proposant de participer à l’équipe de Mamadou Dia. Dans un premier temps, il y avait une question difficile et même capitale : la question de la capitale du Sénégal. Les Sénégalais redoutaient que les autorités coloniales de transition n’érigent Dakar en territoire extra fédéral, pour en faire une plaque de souveraineté. Et dans les temps plus anciens, la circonscription de Dakar avait été déjà autonome, il fallait donc transférer la capitale à Dakar, et Mamadou Dia m’a chargé de cette fonction. J’avais donc travaillé avec tous les nouveaux ministres pour créer les conditions matérielles, institutionnelles et fonctionnelles du transfert. Nous l’avons mené à bien dans le sens qu’il fallait. Entre-temps, en France, le général De Gaulle avait pris le pouvoir, donc, une Constitution nouvelle devait voir le jour. Et le statut de l’autonomie devrait avancer d’un cran. Parce que c’était une semi autonomie. En septembre 1958, devait avoir le référendum pour savoir si les pays acceptaient ou non le statut de la communauté ou l’indépendance. Juste avant, Jean Collin, jusqu’alors directeur de cabinet de Mamadou Dia, rejoignait le camp du non, et Dia me demandait de le remplacer. Mais je connaissais bien le cabinet et le pays.

Et c’était le début d’une nouvelle aventure ?

Parfaitement et là, j’ai vécu de près ce que je raconte dans mon livre : les états de conscience très vifs de dirigeants qui refusaient l’indépendance, et la position de Dia qui disait qu’il faut donner l’indépendance, mais une vraie indépendance. Parce que, argumentait-il, si on vous donnait l’indépendance politique sans vous donner les moyens de l’exercer, vous tombez dans une nouvelle dépendance. Les cadres Sénégalais vont basculer du côté de l’indépendance immédiat quoi qu’il arrive, et c’était un choix tout à fait respectable, et ceux qui ont choisi l’autre voie, faisaient un choix non moins compréhensible. Dia a basculé du côté du oui, avant septembre 1958, il avait mesuré après un dialogue personnel très mesuré avec Senghor que ce dernier n’était pas prêt à accepter une indépendance très rapide. Il y a eu des entretiens très forts entre eux, juste avant le référendum en Normandie. Mamadou Dia s’est donc, rendu compte que Senghor avait donné des gages au gouvernement français comme quoi le Sénégal entrera dans la communauté quoi qu’il arrive. Cela a été un premier clivage entre les deux alors qu’ils fonctionnaient jusque-là en cohésion. Une fois, le référendum passé, Dia fidèle à ses positions initiales, réaffirmait que l’indépendance ne pouvait pas se dissocier du développement. Et il faut que les instruments du développement qui peuvent qu’être les instruments de l’indépendance soient construits. Dès le lendemain du référendum, au mois d’octobre, dans un conseil national de l’Ups à Rufisque, Dia avait fait une grande déclaration proposant une politique qui mènerait le Sénégal à la conquête des outils du développement dans les quatre ans à venir. Et il m’a chargé d’être en première ligne pour en constituer les voies et les moyens. J’ai donc contribué à la constitution de l’équipe du développement. J’étais l’intermédiaire entre Mamadou Dia et le père Lebret qui était venu pour lancer l’animation rurale. Cette équipe accueillait les jeunes cadres moins marqués par les joutes politico-politiciennes antérieures. Ces derniers s’engageaient avec beaucoup de foi dans la voie nouvelle. On a vu arriver Babacar Bâ, Cheikh Hamidou Kane, Daniel Kabou, Christian Valentin, Habib Thiam, Abdou Diouf... Nous étions tous ensemble dans la fraternité. C’était une aventure passionnante. Mais, cette aventure était ponctuée d’orages. D’abord, il y avait la question de la Fédération qui restait pendante. L’échec initial des positions fédéralistes, des exigences fédéralistes, qui auraient pu donner l’indépendance puis l’autonomie à l’Afrique occidentale, les fédéralistes ont cherché à construire la fédération d’une autre manière et progressivement. Et c’est de là qu’est venu le projet de Fédération du Mali.

Il y a eu des interférences du côté français sur le projet.

Ce n’était plus une véritable fédération. Disons cela devenait un couple conjugal. Avec toute la mésentente, la différence de philosophie qu’il y avait entre les socialistes français qui avaient une certaine conception de la démocratie participative, la Fédération, au moment où elle se constituait sur des bases aussi précaires, on peut dire que le projet était pratiquement mort-né. Mais, il fallait le maintenir. A cette époque, Mamadou Dia était vice-président de la Fédération. J’étais son directeur de cabinet. La Fédération est cassée dans la nuit tragique du 28 août 1960. Et cela a été une déception énorme. Mais la politique de développement du Sénégal continuait à marcher, avec les succès de l’animation rurale, la nomination des gouverneurs de régions qui avaient connu un découpage calqué sur un potentiel de développement et non sur une contingence administrative. Dia militait déjà, à l’époque, pour un développement à la base : les communautés devraient devenir des lieux de l’expression paysanne. Dia a parlé de coopérative de développement dans la fameuse circulaire 32 où il exposait sa doctrine. C’est vraiment un document extraordinaire. A partir de ce moment, les tensions se sont vraiment ravivées.

Certains grands notables étaient très liés à ce système. Et avec les personnels, d’une ancienne classe politique qui avait été aidée dans le sérail de la politique française. C’est une triple coalition qui s’est forgée contre Dia. Il avait ses partisans et ses opposants. Le problème devenait de plus en plus vif parce que l’économie de traite qui envahissait le monde l’arachide accaparait 75 % des ressources. Cette économie de traite était très liée à certains marabouts. Et Dia avait peur que cela devienne irréversible.

Il fallait, pour ses adversaires, l’abattre, ourdir un piège, et c’était un piège constitutionnel ou constitutionnaliste, parce que Dia fonctionnait selon la ligne politique du parti et ses opposants avaient mis comme obstacle une motion de censure qu’ils ont imaginée.

En ce moment, Dia se trouvait devant un dilemme impossible. Ou bien suivre la logique du parti ou laisser faire les dispositions constitutionnelles. Tout reposait sur le choix préféré par Senghor, le président de la République, qui avait le poids et l’arbitrage nécessaire. Et si Senghor avait basculé du côté de Dia, il était clair que l’obstacle serait levé. Il a hésité jusqu’au dernier moment. Toute une série de factions a joué un rôle auprès de Senghor pour attiser la crainte qu’il avait vis-à-vis de ceux qui cherchaient à développer le clivage. Certains le disaient « vous êtes président catholique d’un Etat à dominante musulmane. Mamadou Dia, musulman, va finir par vous éliminer ». Ces arguments étaient de circonstance. Dia s’est battu comme il a pu. Il a pris des décisions comme la réunion de l’Assemblée régionale que certains ont qualifiée de coup d’Etat, mais on ne peut pas faire un coup d’Etat sans se donner les moyens d’exercer le pouvoir. Il était clair que Dia n’avait pas du tout choisi d’exercer le pouvoir. Il avait dit que jusqu’au dernier moment, il se plierait aux décisions du parti. Il avait dit que si le parti lui donne tort, on n’aurait pas besoin de motion de censure. Il démissionnerait. Si le parti lui donne raison, il faut retirer la motion de censure. Il y avait une sorte de retour à la morale politique. Senghor avait une peur et un souci psychologique que j’ai observé avec beaucoup de déception. A partir du moment où Senghor était devenu un chef de l’Etat qui n’avait pas le pouvoir de gérer, Il y avait une sorte de construction protocolaire qui était établie entre lui et le chef de gouvernement. Ces deux compagnons ne se voyaient plus que dans les instances institutionnelles alors qu’il y avait tellement à se dire. Senghor avait besoin de s’approprier la connaissance, tout ce qui peut fonder une politique de développement.

Après ces événements dramatiques, je suis rentré en France. Dia était condamné d’une manière extrêmement cruelle. Senghor m’avait proposé de revenir, mais je ne pouvais pas tant que Dia était en prison. Je me suis engagé du côté des associations et des ONGs. J’ai en même temps fait une carrière universitaire. Des années après, j’ai retrouvé Senghor. Et j’étais vraiment le premier à lui poser les termes de son rapport avec Mamadou Dia. Et Senghor m’a écouté mais avec énormément de difficultés parce qu’il était même contraint dans les positions qu’il avait développées. Et, il a fini par me dire en 1967 « un jour viendra, je verrai appel à vous pour nous aider, Dia et moi, à sortir de cette impasse ». Et jusqu’au moment où il me dit : « le moment est venu, il faut que vous soyez notre médiateur ». On a amorcé cette médiation et ces négociations étaient très difficiles mais Mamadou Dia a fini par sortir. Dia est sorti de prison avec une volonté de créer une internationale africaine de développement. Il ambitionnait de fédérer toutes les sociétés civiles pour un développement. Cela portait ombrage aux autorités officielles. Il était accueilli presque comme un chef d’Etat, en Guinée Bissau et en Alger. Avec le goût de la clarté qui le caractérise, il a voulu revenir dans la vie politique pour exiger qu’on puisse aménager les grandes ouvertures puisque souffrant de voir que ses grandes idées qu’il considérait comme fondamentales à savoir le développement par les peuples, pas seulement par les Etats, étaent la grande cause africaine à venir.

Vous parlez de jeunes français engagés à l’époque pour l’Indépendance. Etaient-ils convaincus par la cause ou est-ce par un simple effet de mode ?

Il y a en avait. Mais chacun avait sa manière de militer. Il y a en qui ont milité dans les partis politiques, la gauche ou l’extrême gauche. Mon aventure personnelle avait fait que j’étais associé directement au mouvement sénégalais et là, nous étions un certain nombre dans l’équipe de Mamadou Dia. J’avais des compagnons qui étaient bons, qui avaient des engagements en Afrique. Je pense à un maître comme Robert Bayasse, décédé aujourd’hui, qui était mêlé à beaucoup d’aventures politiques. Il y avait aussi Alain Démasri, qui était le rédacteur en chef de « l’Afrique Nouvelle », Henri Fournier, qui était chargé des affaires administratives, Blusson qui était chargé de la commercialisation de l’arachide. Nous n’étions pas majoritaires.

Vous dites avoir été chargé du transfert de la capitale de Saint-Louis à Dakar. N’éprouvez-vous pas de remords aujourd’hui quand vous voyez la capitale sénégalaise ?

Je n’ai pas joué un rôle capital pour le transfert de la capitale de Saint-Louis à Dakar. Mon rôle a été le rôle capital d’exécutant chef. La décision était celle des Sénégalais. Je l’ai fait en équipe. Effectivement, le Dakar d’aujourd’hui, ce n’est pas le Dakar d’hier. Quand je suis arrivé en 1955, l’agglomération dakaroise comptait à peu près 300.000 habitants. Et puis, il y avait une excroissance qui avait la taille d’une petite monnaie qu’on appelait Pikine qui est devenue aujourd’hui plus grande que Dakar. Ce sont des conditions complètement nouvelles. On peut évaluer ce qui s’est passé hier. Aujourd’hui, c’est l’affaire des Sénégalais. Mon regard porte sur un but historique. Je n’entends pas prendre position sur des phénomènes contemporains. Je pense quand même que l’histoire éclaire le présent

Un demi-siècle s’est quasiment déroulé depuis les Indépendances, mais l’Afrique peine toujours à trouver sa voie. Quel diagnostic pourriez-vous faire sur la situation ?

Il est toujours difficile de refaire l’histoire. Par contre, il est toujours nécessaire de le faire. C’est difficile de porter des jugements. Ce qui aurait pu être la situation, si telle ou telle n’avait pas agi de telle ou telle manière, est très difficile à dire. Je pense que dans la décolonisation et dans la démocratisation, il y a certains facteurs qui sont capitaux, et parmi ces facteurs, il y a l’éducation. On ne peut pas affronter la nouveauté, l’innovation et surtout, avec une charge de transformation telle que ce que nous avons vécue, si on n’a pas les moyens de le comprendre, de réagir en face de cela et d’innover. Mamadou Dia avait très tôt compris cela, quand il disait que pour changer le monde rural sénégalais qui, à l’époque constituait 80% du peuple sénégalais, on doit donner aux paysans les moyens de comprendre, d’agir, et de prendre des initiatives. Et c’était la vision géniale de l’animation rurale qui permettait de traiter les paysans comme des citoyens à part entière. Mais pas par simple décret administratif ou politique. Là, Dia a très bien compris que le pouvoir est fonction de la capacité de l’exercer. Et que cette capacité de l’exercer exige une compréhension des choses, non seulement de l’univers restreint mais de l’univers beaucoup plus large. Cette problématique reste actuelle y compris en France où nous sommes débordés par la marche de l’évolution du monde, et des techniques. On a beaucoup parlé, durant la dernière campagne française, de démocratie participative, finalement, la politique de Mamadou Dia, entre 1958 et 1962, était la recherche de la démocratie participative. Nous avions été les pionniers dans ce domaine et Dia un guide. C’est pour cela que je dis que Mamadou Dia était un grand homme à qui il faut redonner sa place dans l’histoire. Parce qu’il a mis le doigt sur les problèmes cruciaux. Le message de la négritude et de l’identité culturelle était capital, mais le message de la participation et du développement l’était tout aussi. Il est important que les élites et les masses africaines le comprennent aujourd’hui.

Plus concrètement, quels regards ou critiques portez-vous sur les efforts entrepris en Afrique ?

Je pense qu’il y a une sorte de tare fondatrice. Il y a eu les ruptures des ensembles fédéraux. Quand on regarde le monde tel qu’il est aujourd’hui, on parle des pays émergents. Mais c’est quoi un pays émergent ? On parle du Brésil, de la Chine, de l’Inde, et, en Afrique, il y a peut-être le Nigeria, l’Afrique du Sud. Qui avait imaginé une grande fédération africaine avec quelques millions de kilomètres carrés, c’est-à-dire une superficie égale à celle du Brésil ?

Je pense que la situation sera radicalement différente. Dia et Senghor se sont battus à contre courant de cela, mais ces problèmes restent entiers. La preuve c’est qu’on est en train de courir après l’unité africaine. On court derrière un paradis rêvé. Il y a eu tellement de vicissitudes, d’intérêts divergents dans la classe politique, administrative. Mais on ne peut pas faire l’unité africaine, sans les peuples sans partir des sociétés civiles.

Le message du Sénégal était parmi les plus vifs. Mais, il ne faut pas oublier Nyréré en Tanzanie, Patrice Lubumba. Il ne faut pas oublier Amilcar Cabral en Guinée-Bissau avec une vision des choses très comparable. Amilcar Cabral, lorsqu’il venait d’être assassiné par les Portugais, terminait à peine un livre intitulé « L’arme de la culture ».

On aurait pu faire mieux en Afrique. On aurait pu se coaliser davantage. L’éducation est fondamentale puisqu’elle donne aux hommes, aux personnes, et aux groupes, les moyens d’exercer un pouvoir dont ils sont porteurs en tant que membre de la communauté humaine. Si vous relisait toutes les œuvres faites de la période d’indépendance, il y a plein de leçons et d’enseignements. Je dis à mes amis français qui sont engagés dans le mouvement politique, d’étudier les dossiers de l’animation rurale au Sénégal, et des dossiers de la transformation des structures. C’est un combat de longue date. Je voudrais que les jeunes générations dans votre pays comme dans le nôtre puissent se réapproprier leur histoire. Et modestement, un livre comme celui que je viens de sortir n’a d’autre ambition que de restituer au Sénégal, ce qu’il m’a donné. Je dis ce que les Sénégalais ont fait de cette période.

Je pense qu’on s’est beaucoup appuyé sur les systèmes d’Etat. Et maintenant, on a découvert tout ce qu’il y a comme potentialité dans la société civile. Je crois que les partis politiques, y compris au Sénégal, ont manqué le grand virage de l’histoire, puisque très vite créés selon les modèles d’importation. Au Sénégal, il y avait la Sfio. Lorsque Houphët Boigny a créé son Rda, il a fait venir les experts du Parti communiste français qui ont écrit le statut, même si le contenu idéologique était différent, alors qu’il fallait inventait quelque chose de beaucoup plus libérateur. Je suis désolé de voir qu’on tire à boulet rouge sur le communautarisme. Certes, je suis contre le communautarisme intégriste, mais ne détruisons pas la communauté avec le communautarisme. La communauté est fondamentale pour que les gens puissent gérer ensemble et en solidarité leurs intérêts. Et je dis : les partis politiques n’ont pas su intégrer cette réalité. Il aurait fallu s’appuyer sur les communautés et non sur les clientèles.

Nombre de militants de l’Indépendance se sont battus contre la balkanisation du continent. Et la Fédération du Mali semblait une alternative, mais elle n’a pas su tenir toutes ses promesses. Quels ont été les facteurs bloquants pour cet espace géographique ?

Je pense qu’il y avait dans la Fédération du Mali un potentiel de complémentarités considérables. Par exemple, l’Ecole William Ponty avait commencé à créer une culture commune. Les pensionnaires de cette école se sont retrouvés comme des collègues. Tout cela, on aurait pu le développer en créant ces institutions fédérales. En plus, le découpage colonial était complètement arbitraire. Que vous prenez les Peuls, les Bambaras, les Mandingues, il y avait vraiment là, des valeurs qu’on aurait pu échanger, mélanger, soutenir. Pourquoi, aujourd’hui, on a des difficultés à utiliser les langues africaines ? C’est à cause du découpage colonial. Prenons le Pulaar qui est tellement parlé mais on n’a pas un système unifié d’écriture et de publication. Alors qu’il aurait pu être une force. La même chose est vraie pour le Mandingue, le Bambara, et bien d’autres langues.

Revenons aux relations que vous aviez avec les deux hommes politiques sénégalais : Senghor et Dia. Intime à l’un et à l’autre, vous avez du vivre une sorte de déchirement après l’emprisonnement de Dia ?

Le déchirement et le malaise, je les ai vécus à bien des moments de ma vie. Seulement, Dieu a voulu que j’ai l’aspiration et la volonté de dépasser tout cela et d’aller vers l’essentiel. C’est ce qui m’a permis d’avoir mon amitié et ma communication avec un homme comme Mamadou Dia.

C’est normal parce qu’il était dans le malheur, mais j’ai toujours considéré Senghor comme un homme qui m’a apporté des éléments extraordinaires. Il m’a fait découvrir les éléments de la culture africaine. Je crois que c’est à partir de là que j’ai réussi à dépasser les obstacles, les déchirements. Je vous lisais la dernière partie de mon livre où j’essaie de citer Dia et Senghor comme auteurs de l’histoire. J’ai dit des choses que peu de gens ont dites. Il y a quelque chose de tragique dans le destin de Senghor alors qu’on l’a présenté comme glorieux et magnifique. Alors que Senghor est un homme qui a toujours été torturé dans sa vie par de grands drames intérieurs. Parce qu’il a été arraché, dès l’âge de 7 ans, à sa négritude première. Il est allé en Europe, il n’est revenu qu’une fois passée la quarantaine comme député. Mamadou Dia, par contre, était un homme qui a vécu dans le peuple tout le temps, il y avait ce contraste là. La négritude vécue, c’était Dia. Il n’a jamais été un homme déchiré. Il était à l’aise. Et Senghor avait la nostalgie de tout cela. Le reste appartient au mystère insondable des personnes.

Versons un peu dans la fiction pour demander comment auriez-vous vu le Sénégal d’aujourd’hui si le compagnonnage entre les deux hommes s’était poursuivi sans heurt ?

Je suis persuadé que le Sénégal s’en serait porté mieux. Parce que l’expérience qui était menée aurait pu être poussée jusqu’au bout et si cela avait pu se faire non seulement la place du Sénégal, mais surtout celle de l’Afrique aurait été beaucoup plus éclatante. D’ailleurs, je dialoguais avec Senghor lorsque Dia était en prison. Je lui disais : « vous constituez un tandem miraculeux tous les deux et vous avez les moyens, les vertus, les capacités de vous faire entendre sur un champ large. Le fait de maintenir Dia en prison est un drame pour le Sénégal, pour l’Afrique, mais aussi un drame pour le partenariat ». C’était une grande affaire.

Soutenez-vous ceux qui sont contre les Accords de partenariat économiques ?

C’est bien que les gens parlent des APE. Mais, il faut dépasser les paroles. Tout cela suppose une discipline, il faut s’apprendre les uns les autres. L’Europe n’arrivera pas à nouer une relation claire avec l’Afrique si elle n’apprend pas l’Afrique. Je suis effaré de voir la place que les études africaines tiennent en Europe. Je dis que nous en avons besoin. J’ai l’itinéraire inverse. J’ai appris les langues africaines. J’ai dit à Cheikh Hamidou Kane, que j’ai mon « Aventure ambiguë ».

Mamadou Dia est toujours alerte et prompt à contribuer au débat national malgré son vieil âge. Est-ce là une continuité que vous pourriez relever dans sa conduite ?

Mamadou Dia est passionné de rejoindre la parole du peuple, de parler du peuple. Je pense qu’il a la chance et la force d’être un homme du peuple.

Certains militent pour sa réhabilitation après autant d’épreuves. Etes-vous de cet avis ?

Quand mon livre est paru et qu’il en a pris connaissance aux détails, il m’a dit que « je n’ai pas besoin de réhabilitation formelle, la seule réhabilitation qui compte pour moi, c’est celle de la vérité du témoignage, or, un livre comme celui-là m’apporte ce que j’attendais et maintenant c’est aux Sénégalais de me réhabiliter et personne d’autre. Je ne me reconnais d’aucune institution le droit et le devoir de me réhabiliter ; c’est la vérité qui devrait s’établir ».

Certains ont taxé Senghor d’être un complexé et vous dites qu’il était déchiré par la nécessité de passer de la Négritude au métissage. Ne serait-on pas tenté de dire qu’il s’est résolu dans la poésie pour ne pas affronter et trancher les problèmes ?

La seule issue que Senghor a trouvé c’est dans sa poésie et c’est cela qui est dramatique. Il était acculé de donner la preuve qu’il était capable de vivre le métissage dans la politique, alors que sa poésie était le terrain miraculeux où il pouvait donner au reste du monde ce métissage dont il était l’annonciateur.

IBRAHIMA KHALILOULLAH NDIAYE et ABDOULAYE THIAM



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