PIERRE LAURENT, SECRÉTAIRE NATIONAL DU PARTI COMMUNISTE FRANCAIS : «Un président à 80 ans, ce n'est pas une bonne chose. Le Sénégal a besoin d'un nouveau souffle démocratique»

À Dakar depuis trois jours pour participer au Forum social mondial, Pierre Laurent, Secrétaire national du Parti communiste français (Pcf) et président du parti de la Gauche européenne, qui dit ne pas vouloir s'immiscer dans les affaires politiques sénégalaises, a toutefois fait savoir que «le Sénégal a besoin d'un nouveau souffle démocratique, et donc, de changements très importants». Dans l'entretien qu'il nous a accordé, hier, le leader des communistes français ne manque pas de vilipender le président français, Nicolas Sarkozy.

Quel est l'objet de votre déplacement au Sénégal ?

Je suis venu au Sénégal pour le Forum social mondial et pour participer à tous les débats sur comment construire un autre monde contre la crise actuelle de la mondialisation capitaliste qui fait des ravages un peu partout et qui fait exploser les inégalités. Et puis, c'est pour nous très important d'être à ce Forum social à Dakar, pour rencontrer les forces démocratiques africaines, au Sénégal et d'autres pays africains, parce que nous voulons développer les liens de solidarité entre les forces de gauche françaises et européennes et les forces démocratiques africaines.

Vous avez déjà commencé le processus avec le Sénégal ?

Oui. Nous avons des liens historiques avec le Pit qui est un partenaire avec lequel nous travaillons depuis longtemps. Nous sommes aussi très intéressés et nous les rencontrons par le processus de Bennoo qui se développe. Et nous allons rencontrer les forces qui sont dans ce processus-là. Cela nous intéresse, parce que nous-mêmes en France, nous essayons de construire un processus de rapprochement des forces de gauche dans ce que nous appelons le Front de gauche en France et qui vise à créer une alternative à la politique de Nicolas Sarkozy. Donc, l'expérience sénégalaise est la nôtre. C'est important de dialoguer ensemble, et puis, nous avons des combats communs à mener pour inventer des voies de développement économique partagé. La mondialisation pousse les peuples à se mettre en concurrence les uns les autres, à opposer les peuples, à les diviser, et nous, nous voulons au contraire les rapprocher et lutter ensemble contre les logiques des multinationales financières qui étouffent un peu les expériences de développement et créer les perspectives de coopération nouvelles entre la France, l'Afrique et l'Europe. Et pour ça, il faut mettre fin dans notre pays à la politique de Nicolas Sarkozy.

Parlant d'unité, vous avez fait allusion à Bennoo Siggil Senegaal. Mais, cette Coalition peine à se retrouver autour d'un candidat unique pour l'élection présidentielle de 2012. Comment appréciez-vous cela ?

Je n'ai pas de conseils à leur donner. Je veux ne surtout pas donner des leçons à nos camarades sénégalais. Ce qui est sûr, et nous sommes confrontés à des problèmes comme ça, c'est que, quand nous voulons construire des expériences de rassemblement et d'union, qui sont indispensables pour gagner, parce que sans l'union, nous ne pouvons pas gagner, c'est toujours des processus qui prennent du temps, parce qu'il faut rapprocher des forces qui se sont parfois divisées dans les luttes politiques et les expériences politiques successives. Il faut dépasser ça pour retrouver le chemin du rassemblement. Ça prend parfois du temps, mais c'est indispensable de continuer. Moi, je sais les difficultés que nous avons en France à le faire. Donc, je n'ai pas de leçon à donner aux Sénégalais. Ils vont trouver les chemins pour ça, je l'espère.

Le débat sur la candidature du président Wade en 2012 continue de faire rage. Quel commentaire en faites-vous ?

D'abord, il faut dire que le Sénégal a besoin de changement. Maintenant, ce n'est pas à moi de dire qui a le droit ou pas de se présenter à l'élection présidentielle. Ça, c'est l'affaire des forces politiques sénégalaises, et je ne veux pas donner de leçons sur ça. Mais, on voit bien que votre pays a besoin d'un nouveau souffle démocratique, et donc de changements très importants, ça, c'est certain. Mais, en France, il y a des phénomènes monarchiques avec Sarkozy qui sont croissants. Il y a une inquiétude en France contre une dérive où le président accapare de plus en plus le pouvoir et gère de manière de plus en plus personnel, et cela inquiète beaucoup dans notre pays. Il y a une grande colère contre ça. J'imagine qu'ici, au Sénégal, il y aussi la même colère.

Vous parlez de phénomène de monarchisation, d'accaparement du pouvoir. Mais, c'est la même chose que l'opposition sénégalaise reproche à Me Wade avec les pouvoirs exorbitants qu'il a donnés à son fils...

Aucun pays qui se veut démocratique ne peut accepter des pratiques despotiques quelles qu'elles soient. Je pense que ce n'est pas une manière de gérer un pays qui puisse être acceptable. Ce n'est pas à moi de rentrer dans la vie politique sénégalaise, mais ce qui est sûr, c'est que, sur le plan des principes, le cumul comme ça de trop de pouvoirs dans les mains d'une famille ou d'un clan, c'est toujours très mauvais pour la démocratie et pour le développement d'un pays.

Est-ce que les Français accepteraient un président de la République à 80 ans ?

Je ne crois pas que c'est une bonne chose, et les forces démocratiques françaises protesteraient contre une chose comme ça, si elle se présentait.

L'actualité politique française reste dominée par l'affaire Michèle Alliot-Marie. La ministre des Affaires étrangères est accusée d'avoir utilisé, deux fois, le jet privé d'un homme d'affaires tunisien, peu avant la chute du régime de Ben Ali. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Nous demandons le départ de Michèle Alliot-Marie, parce que les propos qu'elle a tenus sur la crise en Tunisie, et maintenant ceux qu'elle a tenus dans la crise en Egypte, ne sont pas acceptables. Malheureusement, l'attitude de la ministre est conforme à la politique du gouvernement français. Et je crois que Sarkozy n'a pas l'intention de la limoger, parce qu'en fait, elle n'a fait qu'appliquer les consignes présidentielles qui étaient de soutenir jusqu'à la dernière minute le régime de Ben Ali.

Quels sont vos rapports actuels avec les tenants du pouvoir français ?

Ils sont très mauvais. Nous sommes une opposition très dure contre le gouvernement de Sarkozy et toute la majorité présidentielle qui gère le pays depuis maintenant quatre ans au profit des plus riches. Et il y a un accroissement des inégalités en France, qui est très important avec une explosion du chômage, de la précarité des jeunes et un enrichissement des grandes fortunes qui est totalement insolent, une baisse des impôts pour les plus riches pendant qu'on augmente les impôts pour les travailleurs. Donc, nous sommes dans un combat frontal contre le gouvernement actuel, et nous allons travailler à une alternative politique pour les élections présidentielle et législatives de 2012. J'espère qu'en 2012, nous arriverons les uns et les autres à changer la situation politique dans nos pays, et peut-être que ces changements pourraient ouvrir la voie à de nouvelles coopérations qui soient réellement avantageuses pour la France et le Sénégal.

Est-ce à dire que vous réclamez le départ des présidents Wade et Sarkozy ?

Oui. Si les forces démocratiques gagnaient ici au Sénégal et les forces de gauche gagnaient en France, on pourrait aller vers une nouvelle ère de coopération entre nos deux pays.