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Politique

KHADIYATOULAH FALL, PROFESSEUR TITULAIRE DE CHAIRE A L’UNIVERSITE DE CHICOUTIMI (CANADA) : «Macky n’est pas dans la pensée de l’après-Wade»

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KHADIYATOULAH FALL, PROFESSEUR TITULAIRE DE CHAIRE A L’UNIVERSITE DE CHICOUTIMI (CANADA) : «Macky n’est pas dans la pensée de l’après-Wade»

Titulaire de la chaire interculturelle et interethnique à l’Université du Québec à Chicoutimi), Khadiyatoulah Fall dissèque dans l’interview qui suit le comportement communicationnel du président Wade, passé maître dans l’art de substituer à des crises désastreuses pour son image et pour son pouvoir des situations nouvelles où c’est lui-même qui gère l’événement. Mais en même temps, tout en voyant un côté positif dans un retour éventuel de Idrissa Seck au Pds, le Pr. Fall n’en pense pas moins que le Premier ministre, version wadiste complètement opposée à son prédécesseur à la Primature, est dans la dynamique de relever le défi de l’émergence économique du Sénégal.

Le président Wade qui reçoit Idrissa Seck en audience et qui annonce le retour de celui-ci au Parti démocratique sénégalais, est-ce une surprise pour vous, analyste ?

La politique sénégalaise est tellement habitée d’imprévus dans les actions, d’imprévus dans les acteurs, que je me contente simplement de recevoir les faits et ensuite de tenter de les comprendre. Le retour de Idrissa Seck, c’est encore un moment de surprise de la vie politique sénégalaise. Je prends cela comme tel. Ce qui me paraît important, c’est la manière d’analyser les choses. Par contre, je crois que si le retour de Idy est bien géré, si Wade réussit à tempérer les querelles de personnes, s’il fait de ce retour l’occasion d’un grand débat d’idées sourcées à sa vision mais ouvertes sur un dépassement de cette vision, peut-être alors qu’il serait là en train d’assurer un avenir dynamique au Pds. Car il faut reconnaître que le Parti démocratique sénégalais vit actuellement une aridité, une sécheresse intellectuelle. Je crois que ce dont ce parti a besoin, c’est d’acteurs. Aujourd’hui, il faut dire que la pensée de Abdoulaye Wade est un héritage fort, substantiel. Mais cette pensée, comme toute pensée, est susceptible d’être dépassée. S’il y a un débat d’idées qui permette l’émergence d’un leader porteur du dépassement, de la relance et qui fait qu’on sorte de cette pensée «khaddamiste» qui fige l’héritage de Wade, si le retour de ceux qui sont partis permet cette redynamisation intellectuelle, nous aurons là un héritier à la fois intellectuel et démocratique. Il y a donc quelque chose qu’on peut lire positivement dans ce retour annoncé de Idrissa Seck et des autres.

Par rapport au très lourd contentieux entre Wadistes et Seckistes, ce qui se passe est tout de même gros vu comment la situation politique est en train d’évoluer depuis quelques jours non ?

C’est drôle que les choses évoluent de cette façon-là. Mais écoutez, à continuer sur cette voie, nous allons tomber dans des prises de position. Or, ce qui m’intéresse dans ce qui arrive, c’est plutôt de comprendre davantage la communication politique de Wade.

Justement, comment avez-vous appréhendé ce qui s’est passé au Palais de la République avec l’audience accordée à l’ancien Premier ministre par le président de la république ?

Ce qui se passe est fort intéressant en termes d’analyse de la communication politique de Me Wade. Pour moi, Abdoulaye Wade, et cela se confirme davantage, c’est l’art et l’habileté à construire des scénarios presque rocambolesques au moment des crises. Des scénarios rocambolesques qui ont pour but de créer des ruptures communicatives qualitatives. Cela signifie qu’en situation de crise, Wade re-focalise l’énonciation en la déplaçant. Il déplace totalement le débat et enterre même un thème de discussion qui, à un moment donné, peut lui être préjudiciable. En situation de crise, Wade a cette ingéniosité à gérer la crise en suscitant presque un autre séisme. Une lecture de la presse sénégalaise d’il y a quelques jours montre bien que l’affaire des sept milliards de Taiwan, sur laquelle je tiens à préciser que je ne porte aucun jugement de véracité ou de fausseté, devenait une patate chaude pour Wade et qu’elle devenait aussi un os à ronger pour l’opposition et même pour la société civile.

Il a donc fermé un débat pour un autre.

Alors, ce qui se passe aujourd’hui permet au président Wade de décloisonner la parole médiatique en forçant l’écriture d’un autre récit. C’est comme une imposition démocratique de la censure. C’est qu’il a l’art de créer des infractions, des écarts discursifs dans l’espace de la parole politique en introduisant, à un moment donné, ce qui peut nous paraître comme de l’indicible, de l’impossible à dire, de l’impossible à faire, disons même de l’interdit discursif. Ce qui est génial pour moi en tant qu’analyste, c’est cette reconfiguration, cette re-focalisation et ce détournement de l’attention sur autre chose. C’est de la finesse politique qu’il y a là-dedans.

Vous estimez que le dossier des sept milliards l’a contraint à cette rupture d’un débat pour un autre ?

Je ne veux pas dire cela, j’émets une hypothèse. Il est évident pour moi aujourd’hui qu’il y a concentration sur autre chose. Il est aussi évident que cela s’est passé à ce moment-ci. Est-ce que cela aurait pu se passer à un autre moment ? Est-ce qu’il y avait urgence à… (Ndlr : la phrase est volontairement non achevée) ? En tous cas, l’analyste que je suis se dis que c’est arrivé à ce moment-ci. Et donc, nous sommes dans un autre espace discursif, dans un autre thème discursif alors que nous étions encarcanés dans l’affaire des sept milliards.

A vous entendre, on est amené à penser que le président Wade a développé un aspect de la communication de crise. Non ?

Il est évident que Wade a cette habileté à sortir des crises, il faut le lui reconnaître. C’est vrai qu’on peut sortir d’une crise de n’importe quelle manière, mais là ce qui est incontestable est que le retour de Idy est une sorte de séisme politique. Avec Wade, j’ai l’impression que nous sommes rentrés dans l’ère de la communication politique fictionnelle, dans une esthétique du politique où le film politique est flou, indessinable, et toujours négociable, renégociable. Est-ce que cela veut dire que Me Wade fonctionne dans l’irréel ? Non. Parce que plusieurs choses énoncées par la littérature comme irréelles en un temps donné, sont aujourd’hui du réel. Quand j’analyse l’abnégation de Wade, je dis qu’il y a presque du Jules Vernes chez lui. L’artiste créateur qui déplace continuellement les choses vers autre chose. Je dis que ceux qui sont avec lui doivent comprendre qu’avec Abdoulaye Wade, le terrain du politique n’est pas l’espace des certitudes, ce n’est pas l’espace du déjà acquis, du déjà-donné. Avec lui, tout est à conquérir. C’est qu’il a construit autour de lui ce que j’appelle «l’insécurité» ou, permettez-moi l’expression, «l’in-sérénité» dure.

Cette insécurité, c’est pour son compte propre, pour sa propre gouverne.

Oui, il y a cette lecture qu’on peut faire. Mais également je dis que, en créant cette insébcurité ou cette in-sérénité, il y a la nécessité aujourd’hui pour tout aspirant à la succession de Wade de poser soi-même les paramètres pour assurer son propre destin. C’est très important car nous sommes aujourd’hui dans un flou artistique, dans de l’indécidable de telle sorte que rien n’est acquis.

Vous êtes en train de dire qu’il ne faut pas être totalement dépendant de lui si on veut perdurer.

Effectivement (Ndlr : mot répété trois fois). Il faut aujourd’hui, étant avec Me Wade, savoir bien sûr lui être fidèle. C’est lui qui est élu pour diriger le Sénégal et assurer une politique. Mais il ne faut pas être dans la seule application, il faut être porteur de quelque chose. Quelqu’un qui est avec Wade doit également penser à construire son propre destin.

Il faut se construire soi-même, à ses côtés.

Il faut se construire soi-même à ses côtés. Et je pense que le président Wade n’admire que ceux chez qui il sent une certaine autonomie.

Puisqu’on y est, serait-ce le cas avec Idrissa Seck ?

Je crois que Idy, à un moment donné, s’est dit : «Il faut que je construise mon propre destin.» Ce qui ressort aujourd’hui de tout cela, et c’est heureux même pour le Pds, c’est que toutes les cartes sont à rejouer. Et peut-être qu’il va y avoir un débat d’idées. Ce qu’il faut souhaiter, et ce sera la grande sagesse de Wade, c’est de tempérer les querelles de personnes, d’accepter que le wadisme est à la fois une pensée et un héritage fort. Il est temps qu’on passe au dépassement de cette pensée-là.

Pr, pensez-vous que Macky Sall, Premier ministre, est dans la posture de bâtir son propre destin lui aussi ?

Je crois que Macky Sall n’est pas dans la pensée de l’après Wade. Pour moi, il est dans l’ère de Wade. Sa préoccupation première aujourd’hui, c’est de permettre à Wade de continuer son travail. Je ne pense pas que Macky Sall soit vraiment engagé dans une théorisation de l’après Wade. Est-ce que c’est cela la bonne posture ? Je ne sais pas.

Est-ce que ce n’est pas une posture tout de même dangereuse à terme pour lui à un moment où des concurrents scrutent déjà le post Wade ?

En fait, je crois que Macky Sall est dans la prise en charge et dans l’application de la pensée de Wade. Il se dit certainement que dans le travail qui consiste à asseoir la pensée de Wade, il y a quelque chose de son futur qui se construit. C’est un homme qui intervient quand même dans un contexte extrêmement difficile, là où il y avait par exemple la dualité au sommet de l’Etat. Il essaie de gérer tout cela, mais fondamentalement et telle que je perçois son action, il est dans l’ère Wade. Ce qui l’intéresse, c’est de pousser le président de la République à aller le plus loin possible dans le projet de construire le Sénégal. C’est la lecture la plus évidente de l’action du Premier ministre. Alors que d’autres sont déjà dans l’après Wade, Macky Sall, lui, s’est donné une posture : il est dans l’ère de Wade et souhaite l’accompagner le plus loin possible. Est-ce qu’à la suite de cela quelque chose va en découler ? Peut-être que quelque chose en découlera. J’ai l’impression aujourd’hui que Macky Sall s’est dit qu’il veut réussir et aider le président à réussir. En tous cas, ce n’est pas la même posture que celle d’Idrissa Seck.

Dès après l’audience avec Idrissa Seck, le président de la République a annoncé lui-même le retour de son ancien collaborateur au Pds. Etait-il opportun que ce soit lui-même qui l’annonce le premier ?

J’ai l’impression que dans tout cet exercice, Wade reste le maître du jeu. En prenant la parole, il balisait le terrain, il construisait une perception de l’événement. J’ai encore l’impression que si Idy avait parlé, les interprétations auraient pu être autres. Le président voulait donc situer cet événement à sa manière.

Il faudrait peut-être relativiser cette impression car ici au Sénégal et à Dakar en particulier (Ndlr : Le Pr Fall réside au Canada), tout est pratiquement suspendu à la parole de Idrissa Seck.

Le fait qu’il n’ait pas encore livré sa version des choses peut être interprété également comme une indécision, une instabilité chez Idrissa Seck. Certains se demandent pourquoi il ne parle pas. Wade a parlé, a situé son espace. Idy n’arrive pas à ce stade-ci à situer son espace. Alors, dans la situation actuelle et jusqu’à aujourd’hui (Ndlr : L’entretien a eu lieu hier soir), celui qui est le maître du jeu, c’est Wade.

Serait-il possible que M. Seck prenne le contre-pied du président en infirmant son retour au Pds ?

Je ne peux pas répondre à cette question car nous sommes dans l’univers des possibles. Mais de toutes façons, quelque chose a été enclenché, il y a aujourd’hui une incertitude et on a le sentiment que Idy est dans le jeu du grand écart. Il est là-bas et il est ici. Et des fois, ce jeu peut-être dangereux.

Comment voyez-vous l’avenir de Macky Sall par rapport à la perspective d’un retour d’Idrissa Seck dans le giron présidentiel ?

Cette situation ne déstabilise pas Macky Sall. Parce qu’à un moment donné, on a parlé de «gaddaay» (Ndlr : sorte d’émigration d’un parti politique à un autre). Si cela se poursuit, on a l’impression que ce «gaddaay» là dont on a tant parlé se ferait en faveur du président Wade et du Pds. Moi, à la place de Macky Sall, j’aurai vu en ce retour au bercail un aveu percutant que la victoire de Wade en 2007 était acquise et que le Pds demeure le parti de la victoire. Ce qui paraît gênant, c’est qu’on est dans une situation où Macky Sall, après avoir été à la tête du combat contre Idrissa Seck, est en position de devoir accepter le retour de son ennemi. Dire que Macky Sall a été au devant de… je crois qu’il y a eu des gestes à poser, il les a posés en tant que leader politique. Je ne crois pas qu’on puisse dire qu’il a développé une animosité, une ardeur excessive où une arrogance à l’endroit d’Idrissa Seck. Il faut relativiser là ! Macky, avec d’autres responsables du Pds, était dans une dynamique de sécurisation du parti. Il voulait y installer une autre ambiance et mettre les actions du président au devant.

Pensez-vous qu’il ait encore l’entière confiance du président de la République dans le contexte actuel ?

Je crois que tout ce que Macky a à faire, c’est de rester constant dans sa loyauté envers le président et continuer à, montrer sa détermination à relever, avec le président, le défi de l’émergence.

Cela veut dire que le reste ne dépend pas de lui alors.

Le reste ne dépend pas de lui. Ma lecture est qu’il y a une constance dans sa loyauté, dans son projet. C’est d’aider Wade à appliquer sa politique pour construire le pays… Mais ce que tout politicien doit reconnaître, c’est que demain, en toute humilité, dépend de Dieu. Il faut qu’un politicien, à un moment donné, reconnaisse que c’est Allah qui construit les destins. A un moment donné, on ne peut pas remettre tout son destin entre les mains de quelqu’un.



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