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Politique

Francis Kpatindé, ancien journaliste à Jeune Afrique, raconte : "Le jour où le Sénégal a basculé dans le Sopi"

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Francis Kpatindé, ancien journaliste à Jeune Afrique, raconte : "Le jour où le Sénégal a basculé dans le Sopi"

Ancien journaliste à Jeune Afrique, Francis Kpatindé vit désormais à Dakar depuis deux ans et travaille au Haut commissariat pour les réfugiés. Dans un entretien qu'il a accordé récemment au quotidien national Le Soleil, il livre ses confidences sur le Sénégal.

 Il y a, encore aujourd’hui, très peu de pays africains où le pouvoir perd des élections qu’il organise. Feu le président Omar Bongo-Ondimba, que j’ai également connu, disait, avec une franchise empreinte de cynisme, qu’il faut être bête pour organiser des élections et les perdre.

Au Sénégal, le pluralisme politique a “pris” et je suis persuadé qu’on ne peut plus revenir en arrière. On peut néanmoins souhaiter des correctifs allant dans le sens de plus de démocratie à la base. Depuis l’indépendance, et sauf au cours de l’intermède 1981-1983, les dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’Etat (Senghor, Diouf et Wade) ont tous été élus. Et chacun a gouverné avec son propre style. Senghor a été le meilleur ambassadeur du Sénégal indépendant. Diouf a dû faire face à la crise économique et aux répercussions sociales de la dévaluation du franc CFA. Et l’avènement de Wade, avec l’alternance de 2000, est l’illustration de la maturité de la démocratie sénégalaise.

Permettez-moi d’insister sur les aspects positifs des deux mandats de Wade. Il a réalisé des infrastructures. On ne mange pas les routes et les ponts, disent certains. A mon sens, à tort. Dans dix ans, on sera bien content de les utiliser, à condition, bien entendu, que la maintenance suive.

Quelle est votre appréciation des relations tendues entre le président Wade et son opposition ?

C’est l’expression du jeu normal de la démocratie. Les opposants sont des républicains. Ils font partie du jeu politique. Je ne crois donc pas que la situation sociopolitique soit plus tendue aujourd’hui qu’hier. Souvenez-vous-en : l’opposant Wade ne laissait aucun répit au président Diouf. Il ne se passait pas de semaine sans qu’il ne mette la pression sur lui. Chacun était dans son rôle. L’observateur politique de la scène politique sénégalaise que je suis note seulement qu’il n’y pas, aujourd’hui, l’équivalent d’un Abdoulaye Wade face à Wade, autrement dit un opposant de la taille de Wade contre le président Wade.

L’avis de l’observateur sur le monument de la Renaissance africaine ?

Une fois achevé, je le trouve plutôt bien. Le président Wade en est le concepteur et mon vieil ami Pierre Goudiaby, un des meilleurs architectes africains, y a mis de son talent. Il a été construit par des ouvriers nord-coréens et non, semble-t-il, par le gouvernement de la Corée du Nord. Mondialisation oblige, il semble même que l’entreprise qui emploie ces ouvriers ait une représentation en France. Il fallait rendre l’ouvrage dans les délais impartis. On a donc recouru à des ouvriers asiatiques qui sont, de réputation, des forcenés du travail.

Cela dit, on aurait pu, c’est vrai, construire en lieu et place du monument le plus grand hôpital ou la plus grande université de l’Afrique de l’ouest, mais je suis persuadé que, très vite, le Monument de la Renaissance africaine deviendra une attraction qui drainera du monde et générera des subsides appréciables pour le secteur touristique et, au-delà, pour l’Etat.

Trouvez-vous fondées les spéculations selon lesquelles le président Wade a le dessein de se faire succéder par son fils à la tête de l’Etat ?


On en parle pratiquement tous les jours dans la presse sénégalaise. Le président n’a jamais dit, sauf erreur de ma part, qu’il avait pour projet d’installer ce dernier à la tête de l’Etat. Le seul fait avéré, pour l’instant, c’est qu’il a annoncé qu’il briguerait lui-même sa propre succession en 2012.

Tous ceux qui remplissent les conditions légales pour briguer la magistrature suprême pourront, le moment venu, s’aligner sur la ligne de départ. Une fois dans l’isoloir, ce sera aux électeurs de trancher.

Vous connaissiez bien Wade et Idrissa Seck avant qu’ils n’accèdent au pouvoir. Avez-vous été surpris par leur brouille ?

Je les ai connus ensemble et Idrissa Seck était un jeune prometteur, l’espoir de Wade surtout après le départ d’Ousmane Ngom. Il était celui qui avait conçu la campagne de Wade en 1988 : les lâchers de ballons, l’hélicoptère, la fanfare, une campagne à l’américaine. Idrissa et moi n’étions pas vraiment des proches. Je connaissais davantage Wade, Boubacar Sall, Ousmane Ngom, Aminata Tall...

Tenez ! Je vais vous faire une révélation : j’étais à Jeune Afrique et lors de l’un de mes passages à Dakar, Idrissa Seck m’a fait l’honneur de m’inviter à dîner chez lui. J’avoue avoir été surpris, car on n’était pas « close ». A ce moment il était Directeur de cabinet du président Wade. Au cours du dîner, il m’a dit :

« Ecoute, il est question de me nommer Premier ministre et je vais accepter la proposition du chef de l’Etat. Si je suis Premier ministre et que le président ne se présente pas à la présidentielle de 2007, je serai en position d’aller à la bataille comme candidat du PDS. Qu’en penses-tu, toi qui es un bon observateur de la vie politique sénégalaise ? »

Et moi de lui répondre : « Merci de la confiance que tu fais en ma modeste personne, mais je vais être franc avec toi : je te déconseille d’accepter le poste de Premier ministre ! Tu seras exposé, alors que le scrutin présidentiel est encore loin. Reste où tu es. C’est un poste stratégique. C’est un observatoire de choix. »

C’est la première fois que j’évoque cette conversation à deux, sans doute parce que le temps a fait son œuvre et que l’information présente aujourd’hui moins d’intérêt.

Idrissa a alors repris la parole : « Je t’ai bien écouté et je te remercie d’avoir accepté mon dîner, mais je vais faire ce que j’ai dit ! J’accepterai le poste de Premier ministre. »

J’ai apprécié sa franchise et je ne l’ai revu qu’au mois de janvier 2009 à Roissy, lorsqu’il s’apprêtait à s’envoler pour Dakar pour une rencontre avec le président Wade. En le voyant, je lui ai lancé : « Te souviens-tu de notre dîner ? »

« Oui, oui, tu avais raison ! »

Nous avons tous les deux éclaté de rire.

Les relations entre un dauphin putatif et celui qui occupe le fauteuil présidentiel sont toujours complexes. Jusqu’à la dernière minute, le titulaire du poste peut changer d’avis. L’expérience montre que, pour avoir les chances d’être adoubé, il faut se faire insignifiant, voire invisible, se faire oublier et attendre.

Benno peut-il présenter une candidature unique à la présidentielle de 2012 ?

Il n’est pas exclu que Benno se regroupe derrière un des ténors de l’opposition. A un titre personnel, j’en doute. Gbagbo m’a dit un jour : « Il n’y a pas de banc présidentiel, mais un fauteuil sur lequel il n’y a de place que pour une paire de fesses ! » Il y a de fortes personnalités à Benno qui pourraient être tentées de se compter, de peser leur audience propre au sein de l’électorat. On peut citer Macky Sall, que je n’ai jamais rencontré, Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, que je connais. Les uns et les autres sont des vétérans de la vie politique et ont leurs farouches partisans.

Que pensez-vous de la décision du président Wade de procéder à la fermeture des bases militaires françaises au Sénégal ?

J’ai toujours trouvé inacceptable la présence, des décennies après l’indépendance, de bases militaires étrangères, quelles qu’elles soient, en Afrique. C’est donc une bonne nouvelle d’autant plus qu’elle semble avoir été décidée de manière concertée entre Dakar et Paris. J’espère que d’autres pays africains emboîteront le pas au Sénégal. La France a, aujourd’hui, les moyens d’assurer la défense de ses intérêts et de ses ressortissants sans entretenir à grands frais une base à l’étranger. Un pays souverain ne devrait pas accepter d’abriter une base étrangère. C’est ce qu’a compris le général de Gaulle en exigeant et en obtenant la fermeture des bases américaines en France.



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