DAOUDA FAYE VAVA ANCIEN VICE-PRÉSIDENT DU SÉNAT : « CE N’EST PAS EN UN AN OU EN DEUX ANS QUE LE PRÉSIDENT PEUT TOUT FAIRE»

L’ancien sénateur, Daouda Faye, ne se fait pas d’illusion quand il attaque le sujet de l’économie du Sénégal. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, l’ex-ministre appelle les Sénégalais à la patience, car le président ne peut pas tout faire en un temps record. L’électricité et les inondations suffisent comme priorités pour cette année, selon Vava.

L’actualité au Sénégal reste dominée par la traque des biens mal acquis. Quelle lecture en faites-vous ? 

En tant qu’ancien parlementaire, je pense qu’il doit avoir un droit de réserve sur toutes les affaires qui sont pendantes en justice. Dans la mesure où je suis un fervent défenseur de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir judiciaire est interpelé dans cette affaire ; il appartient à la justice de faire la lumière. Dans toutes les démocraties, ce sont les députés qui créent les lois et c’est l’Exécutif qui exécute les lois. Pour sa part, la justice est chargée d’interpréter les lois. Dans cette situation, le président de la République, dès son avènement, a manifesté sa volonté de faire un état des lieux. Ce qui est une obligation pour lui. Après cela, il appartient aux décideurs de faire une option sur la manière légale d’établir d’abord les faits et de chercher à recouvrer les sommes qui seraient soustraites du budget de l’Etat. La Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) est diversement interprétée. J’avoue que c’est une Cour assez controversée et difficile à gérer. Il appartiendra aux magistrats qui ont été nommés aux différents postes de cette Cour de se rappeler tout de même qu’ils ont une grande responsabilité dans l’exécution de cette mission spécifique et spéciale. 

Vous appelez à la sérénité, est-ce à dire que le Pds doit surseoir à la manifestation qu’il compte organiser cette après-midi ? 

Le Pds est un parti politique, il a le droit de faire tout ce que la Constitution lui permet de faire et dans les conditions précisées par la Constitution. Quelle que soit la formation politique, l’essentiel est que chaque parti politique exerce ses droits et ses devoirs conformément à la loi fondamentale, et aux lois et règlements qui existent en la matière.    

On parle de détournements d’argent. Comment expliquez-vous que les Dage et Sage des ministères ne soient pas inquiétés ? 

Sur ce plan-là, je ne veux pas entrer dans les détails, mais je dois simplement rappeler à l’opinion que le ministre n’est pas élu. Le ministre n’a pas de pouvoir, de décision sans l’autorisation du président de la République ou du Premier ministre. Le ministre est délégataire du pouvoir du président de la République qui lui définit les rôles qu’il doit occuper et comment il doit exercer ce pouvoir qu’il lui a délégué. S’il doit aller au-delà, il est obligé de retourner chez le chef de l’Etat qui l’autorise à le faire. Pour l’instant, il y a des démarches qui sont entreprises par les magistrats qui sont chargés de faire ce travail. Mais, ce que je ne comprends pas, c’est qu’on n’a pas beaucoup entendu la Cour des comptes dans cette affaire. Or, la Cour des comptes, de mon point de vue, est la mieux habilitée parce qu’elle est supposée avoir suivi l’exécution des différents budgets depuis qu’elles existent. Chaque année, il y a un rapport qui est donné. Maintenant, j’aurais souhaité qu’on fasse référence, de temps en temps, aux rapports de la Cour des comptes et que dans ce cas précis, dans la nouvelle alternance, qu’elle soit interpelée pour donner des éclairages à l’opinion et à la justice. C’est nécessaire. Pour le reste, les magistrats ont leur responsabilité. Ils ont aussi des cas extrêmement difficiles à gérer. C’est une question de conscience. Vous savez, chaque être humain a une conscience. Au-delà de la justice des hommes, il y a la justice divine. Et chacun est quotidiennement interpelé par sa propre conscience. Je pense qu’on soit entre quatre murs, ou à l’air libre, la véritable prison est dans la conscience de chacun. Je pense que c’est important. Il y a ceux qui se sentent concernés, qu’ils soient d’un côté ou d’un autre. Parce qu’il n’y a pas que les hommes politiques dans ce pays. Il y a les autres, plus nombreux qui sont dans un silence assourdissant et qui, quelques fois manifestent leur position à travers des déclarations ou alors par des manifestations. Je pense aussi que ce peuple-là mérite d’être écouté. Et d’être pris en compte dans ce que font quotidiennement. Je suis en train de terminer un ouvrage sur la démocratie en général, les partis politiques... et je me suis beaucoup documenté. Dans ma documentation, je suis tombé sur des ouvrages de Simone Veil, la première Simone Veil, qui a vécu entre 1927 et 1940 et quelques et qui avait dans ses mémoires recommandé la suppression des partis politiques. Ce que Daniel Cohn-Bendit vient de reprendre dans son ouvrage qui, également recommande la suppression des partis politiques.   

Pourquoi on supprimerait les partis politiques ? 

Parce que les politiques obéissent à un dogmatisme comparable à cela exercé dans les religions révélées et qui emmurent les gens dans leurs idéologies et leurs intérêts. Alors qu’il y a une grande partie de la population qui ne veut pas de parti politique mais qui ont des opinions et des ambitions. Je pense que la réforme des institutions telles que prévues par le Président et son gouvernement devrait prendre en compte tous ces éléments pour permettre aux citoyens qui ne veulent pas faire de la politique d’exprimer leurs ambitions et de demander le suffrage des Sénégalais. A quel que niveau que ça se situe. 

L’économie sénégalaise n’est pas au mieux. Comment vous l’expliquez et quelles sont les voies à emprunter pour dépasser cette situation ?

C’est vrai qu’il y a des difficultés. Mais, il ne faut pas toujours se focaliser sur une économie. L’économie du Sénégal est à l’image de l’économie mondiale. Beaucoup de pays européens sont entrés en récession économique. En Afrique, n’en parlons pas. Le Sénégal est le pays phare aux plans économique et démocratique. Il y a des difficultés mais, nous n’avons pas de véritable crise économique spécifique au Sénégal.  Il y a des problèmes qui sont là que le régime sortant avait commencés à résoudre partiellement. Je me réjouis que le régime de Macky Sall s’appuie sur les réalisations. Et j’étais heureux d’entendre le président Macky Sall dire qu’il faut tout faire pour sauvegarder l’héritage que nous ont laissé nos prédécesseurs. Pour moi, c’est le passage le plus important de son discours. Cela veut dire qu’il va s’appuyer sur les acquis et se projeter sur l’avenir. Mais, ce n’est pas en un an ou en deux ans qu’il peut tout faire. Pourquoi les Sénégalais ont fait du mandat présidentiel 5 ou 7 ans ? C’est parce qu’ils sont conscients qu’on ne peut pas régler véritablement les problèmes en moins de cinq ans. Donc, je pense qu’il faut être patient. Et les Sénégalais sont exigeants. Ils veulent tout et tout de suite. Il faut être patient. Le président a promis mais son erreur était de ne pas planifier. Ceux qui sont chargés de sa communication doivent à chaque fois s’en charger et dire que la priorité actuelle, c’est l’électricité, les inondations. Pour moi, les deux suffisent comme priorités pendant au moins ces deux années et le reste on commence à s’y atteler mais on ne peut pas les régler tout de suite. 

Comment comprenez-vous les «guerres» qu’on se livre dans les différentes chapelles politiques ? 

C’est normal. Les oppositions sont faites pour s’opposer. Même si le président faisait des miracles, les gens vont tirer dessus pour dire que ça ne va pas. Parce que tout ne peut pas aller en même temps. Il y a toujours un maillon faible. Et l’opposition fait son travail de chercher les points faibles et de les mettre en exergue avant de les amplifier. C’est de bonne guerre. Le problème, c’est qu’au niveau-même de son parti (Apr), il y a des voix discordantes. Pour moi, c’est très tôt. Cette bagarre entre des gens d’un même parti. La sortie de la liste du Conseil économique et social et environnemental a occasionné des dégâts partout. Comme si les gens étaient en politique pour occuper un poste. S’ils ne l’occupent pas, ça ne les intéresse plus. Alors qu’il y a un travail à la base pour organiser les populations. Je pense que le président Sall a suscité beaucoup d’espoir et s’il a arrive à avoir la sérénité dont il a besoin pour exécuter ses missions, ce serait bien. Je pense que l’opposition avait promis aussi de faire de l’opposition républicaine. Ses associés au pouvoir ont aussi le devoir de participer au débat politique... Ce n’est pas de notre intérêt de voir le Sénégal dans des difficultés économiques. Encore une fois, je crois que le pouvoir judiciaire est le dernier rempart du citoyen. Ce que l’Exécutif, le Législatif n’ont pu faire, il ne reste que la justice, par ses interprétations, pour faire des choses dans l’intérêt du peuple. 

Vous fustigez la manière dont la visite technique est faite au Sénégal. Pourquoi ?   

C’est bien d’avoir une visite technique au Sénégal. Mais d’abord, je ne comprends pas qu’on puisse la rendre obligatoire pour les véhicules immatriculés dans la région de Dakar alors que les autres localités sont épargnées. Je ne comprends pas aussi qu’on puisse demander une visite technique annuelle ; ça coûte cher et ça fait perdre du temps. Une visite technique doit prendre au minimum trois ans. C’est, peut-être, un moyen qu’il faut revoir. On ne peut pas faire un règlement pour une partie du peuple. Le règlement pour tous les véhicules, quand on pourra l’appliquer, on le fait pour tout le monde. Sinon, on attend.   

Par contre, pourquoi vous réjouissez-vous de la suppression de la vignette ? 

Effectivement, je me réjouis de la suppression de la vignette. J’en parle depuis 2001. J’ai interpelé les ministres plusieurs fois au niveau de l’Assemblée nationale, ensuite au niveau du Sénat. Heureusement, que cette décision a été prise. Je pense que l’Etat gagne plus d’abord et ensuite il n’y a pas toutes ces tracasseries et ces pertes de temps. Parce qu’il faut éviter de mettre en place les systèmes de contrôle qui font perdre du temps à la population. Et c’est en cela que je salue cette suppression de la vignette technique et de se rattraper par le biais du carburant. 

Quelle lecture faites-vous de la composition du Conseil économique, social et environnemental nouvellement installé ? 

J’avoue que je n’ai pas encore compris ce qu’on attend de ce Conseil économique, social et environnemental. J’attends de voir les différentes commissions et le programme de travail. Je pense que ses membres doivent donner régulièrement des avis sur la situation économique. Ensuite, il faut que ce Conseil ait une vocation de médiation sociale. C’est extrêmement important. J’avais créé une commission médiation sociale au Sénat qui a fait un bon travail sans bruit. Je pense qu’avec l’absence du Sénat qui, j’espère reviendra pour les jeunes, ce Conseil pourra jouer pleinement ce rôle. Source : La Tribune