Que de commentaires faits sur la crise politique qui avait opposé Mamadou Dia à Léopold Sédar Senghor ! Mais quand un acteur comme Ousmane Camara, alors procureur général près la Haute Cour de justice qui avait jugé Dia publie un livre pour donner les minutes de cette affaire politico-judiciaire, les jeux et les enjeux sont clairs.
«Mémoires d’un juge africain. Itinéraire d’un homme libre.» C’est le livre à paraître la semaine prochaine du magistrat Ousmane Camara. Ayant été un acteur dans le procès de l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia alors accusé de coup d’Etat contre l’ancien président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, Ousmane Camara alors procureur général près la Haute Cour de justice qui avait jugé Dia revient sur quelques petits secrets jamais révélés dans cette affaire.
La question de Dia prise pour un ordre
L’auteur de l’ouvrage, dans un style narratif et une nette précision, reconstitue l’affaire Dia qui, lors de son audition sur le fond par la Commission d’instruction de la Haute Cour de justice, a révélé la phrase qui lui a valu les accusations de coup d’Etat. Ousmane Camara rapporte ainsi la réponse alors donnée par le président du Conseil à la question de savoir s’il avait envisagé de faire attaquer le Plais présidentiel. «C’est au cours d’un entretien que j’ai eu avec le commandant Tamsir Bâ et le capitaine Ahmet Fall que j’ai été amené à poser une question que l’on a transformée en ordre ou instruction. Ayant pris connaissance que le président de la République harcelait le colonel Diallo pour prendre d’assaut la radio, je me suis dit intérieurement : «Voilà quelqu’un que je suis obligé de protéger en mettant des troupes à sa disposition et qui parle, lui, de prendre d’assaut la radio.» En souriant, j’ai dit, dans une sorte de boutade : «Que pensez-vous d’une attaque contre le Palais ?» D’après le récit d’Ousmane Camara, le président Dia a juré devant la Commission d’instruction que «les choses en sont restées là. Je n’ai jamais conçu, ni préparé, ni ordonnancé une agression contre le palais. On n’attaque pas quelqu’un que l’on protège», éclaire-t-il.
Les fautes graves de Dia
Ce serment de Dia, ajouté aux faits et recoupements effectués ont semblé convaincre Ousmane Camara en sa qualité de procureur général près la Haute Cour de justice. En effet, dans son réquisitoire, il dit «donner acte à Dia de sa déclaration consistant à dire qu’il n’a jamais été dans ses intentions de faire un coup d’Etat». Même si Ousmane Camara blanchit Dia de l’accusation de coup d’Etat, il relève les «fautes graves commises» par ce dernier. «(…) au pied de cette gigantesque montagne constituée de manquements graves, de fautes inadmissibles, de délits allant de l’entrave à la libre circulation des personnes au dysfonctionnement des institutions de la république, en passant par l’enlèvement et la séquestration de citoyens (…)», énumère-t-il. D’ailleurs, M. Camara, dans sa plaidoirie rapportée in extenso dans le livre, avait dit : «Au vu de ces fautes, innocenter Mamadou Dia, à mon avis, est impossible. (…). Il a utilisé des moyens illégaux pour une cause juste à ses yeux.» Et de plaider pour que la Cour retienne les fautes contre lui en lui faisant bénéficier de circonstances atténuantes les plus larges.
Comment Seydou Nourou Tall a été trompé
Cette position affichée par Ousmane Camara n’est pas sans lui valoir une sorte de répression. D’ailleurs, il révèle dans le livre que «l’atmosphère de haine que des gens bien organisés ont entretenue autour de ce procès est telle que, à la suspension d’audience suivant son réquisitoire, il a fait l’objet d’insultes, de menaces, de ceux qui ne tarissaient pas d’éloges à son endroit». Il s’ensuit une campagne de désinformation dans laquelle Seydou Nourou Tall a été engagé. Ce dernier s’est présenté au ministère de la Justice quelques jours après le procès, émettant le souhait d’attendre l’arrivée du ministre dans le bureau même de celui-ci. «Dès que le bureau lui est ouvert, il avise le tapis posé entre la table de travail du ministre et le petit salon des visiteurs, s’y allonge de tout son long, se servant de son turban vert comme oreiller et dit à Ousmane Camara qu’il ne connaît pas : «Allez dire à Guillabert que je ne sortirai d’ici que muni d’un papier indiquant que Ousmane Camara qui est son collaborateur est en prison avec Mamadou Dia, lui qui a dit que Mamadou (Dia) n’avait rien fait, alors que tout le monde sait qu’il voulait me tuer.» Ainsi, il a fallu l’intervention personnelle de Senghor qui s’est déplacé pour dissuader le guide religieux. Mais, le marabout se rendra plus tard au domicile d’Ousmane Camara pour reconnaître «avoir été trompé». Non sans présenter des excuses. «Depuis ce jour jusqu’à sa mort, nous sommes restés très liés à lui, surtout mon épouse», écrit M. Camara.
0 Commentaires
Participer à la Discussion