Dans cette interview accordée à L’Observateur, Alioune Tine, président de la Rencontre africaine de défense des droits de l’Homme (Raddho) et coordonnateur du M23, passe en revue les questions qui font débat aujourd’hui au Sénégal. Avec la liberté de ton et l’indépendance d’esprit qui le caractérisent.
Que devient Alioune Tine ?
Cette question m’étonne un peu, parce que le président de la Rencontre africaine de défense des droits de l’Homme (Raddho) n’a jamais cessé d’être le président de la Raddho. Et la Raddho reste une organisation des droits de l’Homme, une organisation non partisane qui travaille à la promotion, à la protection et à la défense des droits humains au Sénégal et en Afrique. La Raddho est mondialement reconnue pour sa démarche proactive, participative, surtout en matière d’alerte. Le jour où nous arrêterons de faire ce travail, nous aurons abandonné la raison de notre existence en tant que société civile.
On vous a annoncé dernièrement à l’Organisation des Nations Unies. Qu’en est-il ?
Je l’ai appris comme vous dans la presse. Comme ce fut d’ailleurs le cas quand on m’avait annoncé au ministère de l’Intérieur.
Quelle sera la partition de la Raddho dans la politique de restauration des institutions au Sénégal initiée par le nouveau régime de Macky Sall ?
Il est bon avant toute chose de réfléchir sur le processus, d’où on vient. Le Sénégal vient de loin. Et les institutions ont été détruites minutieusement à partir de 2004. Il y avait des choses qui se dessinaient de façon claire, une fois que le Premier ministre Idrissa Seck a été éjecté du Palais. Il faisait partie des rares personnes à pouvoir regarder le Président Abdoulaye Wade pour lui dire non. A l’arrivée de son fils (Karim Wade, Ndlr), il y a eu un projet qui a été mûri petit à petit. La redistribution des cartes après la Présidentielle de 2007 a commencé à montrer un autre régime qui n’était plus le régime libéral, avec un hyper présidentialisme très fortement prononcé. Avec aussi une implication de la famille présidentielle dans les affaires de l’Etat. Un népotisme, sans compter la légèreté avec laquelle on a géré l’Etat. La manière dont on a tenu la justice, avec la création de juges aux ordres. Tout cela a fait qu’il y a eu un grand gâchis. Je peux ajouter la manière dont on a chassé le président de l’Assemblée nationale (Macky Sall, Ndlr) comme on chasse un gouverneur ou un préfet. Il y a aussi eu la réduction du mandat du président de l’Assemblée nationale de cinq à un an. En réalité, c’est une forme de dérégulation qui fait qu’on tient la justice, on tient l’Assemblée nationale, on peut leur faire faire n’importe quoi. Les principales normes qui permettent le bon fonctionnement de la République et de la démocratie ont été totalement dérégulées.
Comment faire pour ne pas revivre ces travers sous Macky Sall ?
Il nous faut une réflexion profonde sur les enjeux de la promotion d’une nouvelle République, les enjeux de la promotion de nouvelles institutions démocratiques, et les enjeux de la promotion d’une nouvelle citoyenneté. Il est évident qu’il nous faut capitaliser en termes de bonne gouvernance toute la lutte menée par le M23 à partir du 23 juin, qui est une date à marquer avec une pierre blanche, le début d’une lutte pour une remontée démocratique au Sénégal. Il faut faire en sorte que ces principes pour lesquels nous avons combattu et obtenu l’alternance soient sauvegardés, ancrés dans la République. Et pour bien le faire, il faut un large débat. La Raddho compte organiser cette table-ronde avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert. Nous allons inviter les partis politiques, toutes sensibilités confondues, les membres du gouvernement, la société civile et la presse, afin de voir comment on peut dégager un horizon d’une gouvernance vertueuse. Aujourd’hui le monde entier a les yeux fixés sur le Sénégal. J’ai assisté à des sommets où toute la communauté africaine a salué la victoire de Macky Sall, l’alternance intervenue au Sénégal. Par la force des choses, nous sommes devenus un laboratoire de la promotion de la démocratie, des droits humains et de la bonne gouvernance. Nous n’avons pas droit à l’échec, ni à l’erreur. Pour toutes ces raisons, il faut que la société civile continue de rester la société civile, non partisane, à équidistance des partis, constitue un système d’alerte qui fonctionne.
Qu’est-ce que va devenir le M23 sous le régime de Macky Sall ?
Le M23 est très hétéroclite. Il y a la société civile, les syndicats, les organisations indépendantes, les partis politiques. Tous les partis politiques qui ont travaillé pour l’alternance, qui ont contribué à dégager le Président Abdoulaye Wade (sic), sont sur les listes pour les Législatives. Il y a un bon groupe qui est avec Bennoo Bokk Yaakaar. Il y en a d’autres qui sont dans le gouvernement. D’autres de la société civile qui ne sont ni dans le gouvernement, ni sur les listes d’investitures aux élections législatives. C’est une histoire pas facile à gérer. Mais nous avons gardé l’esprit du 23 juin, qui est l’esprit fédérateur de défense des institutions de la République, de la Constitution, et d’une gouvernance vertueuse qui a été proclamée par le président de la République lui-même. Nous continuons à avoir cette posture de veille, de vigilance citoyenne que nous avons proclamée. Nous allons bientôt avoir une Assemblée générale où nous allons décider si nous allons transformer le M23 en association. Nous allons aussi préparer l’anniversaire du 23 juin, et nous comptons y impliquer toutes les composantes du M23. Histoire de se rappeler que le 23 juin 2011 a été le début d’une remontée démocratique qui s’est terminée en apothéose avec le départ d’Abdoulaye Wade.
Pourquoi le M23 n’a-t-il pas eu sa liste aux élections législatives pour défendre valablement la Constitution à l’Assemblée nationale ?
C’est la diversité qui fait l’originalité du M23 et la liberté accordée à ses différentes organisations. Vous ne pouvez pas empêcher les politiques de faire de la politique et d’aller aux élections, parce que c’est leur vocation naturelle de concourir au suffrage universel. Les politiques du M23 sont tous partis. Vous ne pouvez pas empêcher des membres des organisations de la société civile d’être des citoyens et d’être partisans. Dans nos pays, l’ancrage de la société civile est encore assez faible. On comprend que parler d’une société civile partisane puisse choquer. Mais en Europe, dans les sociétés libérales et démocratiques, ils ont construit des sociétés civiles à partir des partis politiques et à partir des groupes parlementaires. Mais en réalité, ils assument des tâches de développement de la conscience citoyenne, des tâches de développement des valeurs démocratiques, d’ancrage de la culture des droits de l’Homme. Des questions sur lesquelles il y a un consensus très large. Les membres de la société civile, non partisans, continuent à rester dans la société civile. Et ils sont nombreux.
En rejoignant les formations politiques, est-ce que certains membres de la société civile ne donnent pas raison à Me Wade qui les taxait d’opposants encagoulés ?
Si vous prenez le cas Pierre Sané, il a été quand même le secrétaire général de Amnesty international. Quand il a quitté, il est allé à l’Unesco comme fonctionnaire international. Il quitte l’Unesco et devient un simple citoyen. Il n’a plus de lien contractuel avec la société civile. Il est libre d’aller où il veut. Il est allé au Parti socialiste. Quand vous regardez les statuts des organisations de la société civile, on n’interdit pas aux membres de la société civile d’être dans les partis. Par exemple, beaucoup de membres de la Raddho sont dans les partis politiques. Ce qu’on interdit, c’est d’être dans l’organisation de la société civile et d’être dans la direction d’un parti, c’est pour éviter les conflits d’intérêt.
Est-ce que la Raddho serait prête à prendre la défense d’un responsable du régime libéral sortant, victime d’injustice?
La Raddho ne considère pas quelqu’un qui vient se plaindre comme un opposant ou un partisan. Elle le considère comme un être humain. Quelqu’un qui entre à la Raddho est tout simplement un être humain. On ne regarde pas sa coloration politique. Si effectivement il y a des raisons objectives de le protéger, on va le protéger. C’est ça notre vocation. On ne peut pas fonctionner sur la base de la discrimination, par rapport au sexe, à la religion, à l’appartenance politique etc.
La Cour de répression de l’enrichissement illicite vient d’être réactivée, mais les responsables de l’ancien régime la dénoncent ardemment. Etes-vous de cet avis ?
Il y a la volonté politique de la part du président de la République d’en finir avec les détournements de deniers publics, car un signal fort a été lancé. Ce n’est pas un message lancé uniquement aux membres de l’ancien régime. C’est pour dire aussi à sa propre équipe : vous avez intérêt à faire attention, il y a désormais la Cour de répression de l’enrichissement illicite. En principe, il (Macky Sall) aurait dû en discuter. Ça veut dire : créer le débat, réfléchir autour de son opportunité, de son efficacité. Voir ce qu’il nous faut par rapport à une justice qui est pratiquement par terre. Une justice où il y a quelques rares magistrats qui résistent, pour tenir tête au système. Aujourd’hui, la promotion des juges est entre les mains de l’Exécutif. Les punitions, les sanctions, les carrières, c’est entre les mains de l’Exécutif. On ne peut pas avoir une justice indépendante dans ces conditions.
Quelles sont les conditions pour décrocher la justice de la tutelle encombrante de l’Exécutif ?
Le jour où on aura une justice indépendante, avec des magistrats indépendants dans tous les sens (structurel et financier) et bien formés, on n’aura plus besoin de cette Cour. Ce sont ces réformes qui sont urgentes. L’autre problème que nous avons, en dehors de la justice, c’est l’éthique de responsabilité. En Côte-d’Ivoire par exemple, il y a des codes d’éthique signés par les membres du gouvernement de (Alassane Dramane) Ouattara concernant ces questions. Il nous faut avoir un Président citoyen, des ministres citoyens, qui sont justiciables. Et quand il y a des problèmes, qu’ils démissionnent tout de suite. La question de l’éthique de responsabilité est très forte. Même quand un magistrat est nommé, s’il a un dossier pendant devant la justice, il doit démissionner. Cette question d’éthique, il faut qu’on la remue (sic). Ça va mettre à l’aise le Président de l’exécutif, cela devra permettre aux mécanismes créés d’être forts et crédibles, d’avoir un gouvernement crédible, des institutions crédibles. C’est pourquoi nous avons besoin d’un débat sur l’éthique de responsabilité, l’éthique de conviction.
Quelle est votre position sur le financement des partis politiques ?
On a beaucoup de problèmes au Sénégal dans les liens entre l’argent et la politique, l’argent et les partis politiques. Il n’y a pratiquement pas de normes. Rien n’est réglé. Ce qui fait que de plus en plus, l’argent influe fondamentalement sur l’élection de quelqu’un. Je prends simplement la caution pour être candidat à la Présidentielle. En France, c’est gratuit. Aujourd’hui, on est passé de dix à 25 millions FCfa et de 25 à 65 millions FCfa. C’est devenu une élection censitaire. Et ça n’empêche pas ces gens de donner ces 65 millions FCfa. Souvent il est difficile de dire d’où ils les tirent. Il faut relancer le débat sur la caution. Le financement des partis est aussi une grande nébuleuse. Dans toutes les démocraties qui se respectent, pour des raisons de transparence et pour avoir un président de la République libre, qui, n’est pas sous tutelle, il faut plafonner les donations. Aujourd’hui, il faut aller vers une «tabula rasa» (table rase), discuter de ces choses et essayer de les régler. Sinon, n’importe quel autre candidat à la présidentielle qui arrive, peut avoir quatre personnes qui vont le financer. Et quand on publie son patrimoine, on commence à crier. C’est le système, l’absence de règles et de normes qui font que quand certains font une déclaration de patrimoine, tout le monde crie. Mais c’est la faute à nous tous. Ce n’est pas la faute à Macky, ou à une autre personne. Ce n’est pas la première fois qu’on a un problème avec la déclaration de patrimoine. Quand le maire de Dakar (Khalifa Sall, Ndlr) avait déclaré son patrimoine, ça avait suscité les mêmes réactions, parce que nous sommes dans des pays pauvres. Si nous tenons à continuer à être un laboratoire de la démocratie, il faut regarder tout ça de très près.
19 Commentaires
War
En Mai, 2012 (08:34 AM)Freelance
En Mai, 2012 (08:37 AM)Akane
En Mai, 2012 (08:39 AM)Saf Sap
En Mai, 2012 (08:42 AM)Thim
En Mai, 2012 (08:53 AM)Goooor
En Mai, 2012 (09:18 AM)Nabi
En Mai, 2012 (09:26 AM)Balladiouf
En Mai, 2012 (09:32 AM)Le Sénégal te dit MERCI.
Anna
En Mai, 2012 (09:35 AM)Laye
En Mai, 2012 (09:39 AM)Mouriid
En Mai, 2012 (10:12 AM)Vous avez consacré toute votre vie aux autres et à la sauvegarde de la démocratie. Ce n'est qu'aujourd'hui qu'on a constaté les dégâts causés par Abdoulaye WADE et ses acolytes qu'on se rend compte de l'enjeu démocratique et économique.
Boy Dakar
En Mai, 2012 (10:43 AM)Avant hier on a assiste la liberation d'un assassin Barthelemy et aucun de ces gens la n'a bronche aucun mot sont tous du meme camp. La justice est toujours entre les mains du president de la republique elle n'est pas independante et tu nous timpanise ici avec RADDHO je ne sais quoi.
Dedier
En Mai, 2012 (11:40 AM)L . A
En Mai, 2012 (13:21 PM)La polygamie est interdite en France et portant la famille recomposée est autorisée, je dirais même encouragée, pour eux ils n’ont rien contre qu’un homme divorcé refaire sa vie sans passer devant le maire ou devant le prêtre avec une femme, elle aussi divorcée et chacun est libre comme le ventet chacun amènera ses enfants qui n’ont, réalité, aucun lien parental et qui vont cohabiter de la façon la plus légale du monde.
Même si le mariage homosexuel est tout autant interdit, n’empêche que deux personne de même sexe ont peuvent être des concubins , se pacsent et vivre ensembles en dehors de tout mariage civil.
Tout ceci est une violation de droit de l’homme pour nous les musulmans (Sénégalais, Maliens, Mauritaniens, Guinéens et gambiens qui ont une tradition africaine islamisée qui considèrent la polygamie comme notre héritage. nous trouvons A. Tin très bavard quand il s’agit de défendre les homos, mais très silencieux quand notre droit nous les autres (hommes) est violé.
L . A
En Mai, 2012 (13:23 PM)La polygamie est interdite en France et portant la famille recomposée est autorisée, je dirais même encouragée, pour eux ils n’ont rien contre qu’un homme divorcé refaire sa vie sans passer devant le maire ou devant le prêtre avec une femme, elle aussi divorcée et chacun est libre comme le ventet chacun amènera ses enfants qui n’ont, réalité, aucun lien parental et qui vont cohabiter de la façon la plus légale du monde.
Même si le mariage homosexuel est tout autant interdit, n’empêche que deux personne de même sexe ont peuvent être des concubins , se pacsent et vivre ensembles en dehors de tout mariage civil.
Tout ceci est une violation de droit de l’homme pour nous les musulmans (Sénégalais, Maliens, Mauritaniens, Guinéens et gambiens qui ont une tradition africaine islamisée qui considèrent la polygamie comme notre héritage. nous trouvons A. Tin très bavard quand il s’agit de défendre les homos, mais très silencieux quand notre droit nous les autres (hommes) est violé.
Lamp Fall
En Mai, 2012 (15:43 PM)Diop
En Mai, 2012 (15:47 PM)Decu
En Mai, 2012 (16:52 PM)Kunloh
En Mai, 2012 (17:21 PM)Participer à la Discussion