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REFLEXION - 10 idees reçues sur l’Afrique

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REFLEXION - 10 idees reçues sur l’Afrique

Préjugés, clichés, lieux communs donnent une vision caricaturale du Sud-Sahara. Comment rétablir la vérité ?

L’Afrique noire est une terre de violence et de sauvagerie. Elle est minée par le sida et la corruption. Ses habitants ne connaissent que le tribalisme. Ils sont tous polygames, leurs femmes font trop d’enfants. Qui n’a entendu, en Europe, déclamer ce genre d’« évidences » ? Il n’est pas question de nier les difficultés qu’affrontent les pays subsahariens. Malgré les progrès récents, le processus démocratique reste un peu partout fragile. Des conflits très meurtriers subsistent. La pauvreté, le chômage, les bidonvilles sont monnaie courante.
 
Tout cela est vrai, certes, mais réduire la vie de toute une région à des situations extrêmes, occulter ce qui marche pour ne retenir que ce qui cloche est de la désinformation pure et simple. « Les clichés partent de faits établis pour s’élargir à des constructions imaginaires ou mal étayées. Si les lieux communs contiennent souvent une part de vérité, tout le problème vient de leur généralisation. » C’est en partant de ce constat que Georges Courade, directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), professeur associé à l’université de Paris-I, a souhaité offrir une vision plus juste du continent. Résultat : un livre collectif auquel il a associé une trentaine d’universitaires et qui, à la lecture, se révèle passionnant*.

Si elles expriment une part de la vérité, les idées reçues traduisent surtout les peurs, les fantasmes, les ignorances de ceux qui les énoncent. En France, par exemple, quand on pense à l’Afrique, c’est l’Afrique francophone. L’agriculture, ce sont les villages du Sahel, ceux où s’activent les ONG, ceux où l’on meurt de faim. Comment s’étonner dès lors que les images de tout un continent soient aussi schématiques.

L’ouvrage de Georges Courade traite d’une cinquantaine d’idées reçues. Nous en avons retenu dix, particulièrement significatives, sur lesquelles nous apportons notre éclairage propre.

* L’Afrique des idées reçues, sous la direction de Georges Courade, éd. Belin, 400 pages, 35 euros. Voir le compte rendu dans J.A. n° 2371 du 18 juin 2006.


1 - « Le tribalisme explique tous les conflits »

Pendant le génocide rwandais de 1994, lorsque les images des massacres ont fait le tour du monde, certaines bonnes consciences occidentales se sont indignées en voyant les tueurs se servir de machettes plutôt que d’« armes modernes ». C’était une réprobation non pas de l’acte de tuer, mais de la manière. Comme si on pouvait rechercher un degré d’humanité dans l’horreur. L’indignation véhiculait également une vision du monde réduisant les Africains à une irrationalité telle qu’ils passent leur temps à s’entre-tuer, empêtrés dans des logiques d’un autre âge qui mènent à des conflits ethniques, tribaux où s’expriment leurs instincts primitifs, pardon, premiers. Il ne peut s’agir, donc, que d’un accès de sauvagerie, de barbarie.

Si l’on en croit certains prétendus spécialistes, l’Afrique est un vaste champ de bataille dévasté par des guerres sans fin. En regardant les choses de plus près, l’on se rend compte que toute l’Afrique ne s’est pas embrasée et que les conflits armés touchent des pays bien précis, presque de manière récurrente. L’alarmisme ambiant voudrait faire oublier que la formation des nations s’est toujours faite, à travers l’Histoire, dans le sang. Les nations africaines, en pleine constitution, peuvent-elles évoluer autrement en s’inspirant simplement de l’expérience des autres, vieille de plusieurs siècles ? S’étonner de la persistance des conflits en Afrique, vouloir que ce continent soit plus sage que ne l’ont été les autres au cours de leur évolution, n’est-ce pas vouloir dire qu’il ne fait pas partie de cette humanité dont la marche est caractérisée par le meilleur et par le pire ?

Les bien-pensants, dans leurs expertises, sont devenus myopes au point de voir dans tout soubresaut sur le continent un retour aux temps de la barbarie. Toute guerre civile est ethnique, tribale. Cela sous-entend que les Africains, aujourd’hui comme hier, sont incapables de penser le politique. Ceux qui prennent les armes ne cherchent qu’à défendre leurs tribus. Il n’y aurait, donc, aucune préoccupation idéologique, politique, sociale, économique. Aucune revendication digne d’intérêt. L’Afrique ne serait qu’une superposition de tribus et d’ethnies irrémédiablement hostiles les unes envers les autres, ne cherchant qu’à s’entre-tuer à la moindre occasion, prisonnières des ténèbres des origines.

Les conflits en Afrique, comme partout, sont nés de frustrations, d’espoirs déçus face à l’impéritie de dirigeants incapables de répondre aux aspirations du plus grand nombre. Ce ne sont pas des ethnies, des tribus qui s’arment pour se défendre, mais des groupes déterminés à prendre le pouvoir. Que ceux qui cherchent à changer le monde se transforment ensuite en bandits, en criminels, c’est une autre histoire. Au départ, au-delà de toutes les ambitions, il y a d’abord une démarche politique. Les dérives ethniques ou tribales que l’on peut constater parfois sont le fait d’hommes politiques qui jouent sur la fibre identitaire.

Peut-on sérieusement attribuer le qualificatif ethnique à l’irrédentisme fréquent dans la Corne de l’Afrique ? À la crise ivoirienne ? Aux guerres civiles en République démocratique du Congo, au Burundi, au Liberia, en Sierra Leone, en Angola ou au Mozambique ? Quelles étaient les ethnies en présence ? La guerre du Biafra fut-elle une opposition des Ibos contre un État fédéral nigérian ou contre les autres composantes ethniques du pays ?

Des atrocités ont été commises dans beaucoup de conflits. En Sierra Leone, les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF) ont coupé des bras et des jambes à des civils. Mais faut-il considérer de tels actes comme une particularité africaine, quand on sait que l’horreur est le propre de toute guerre, quels que soient les moyens utilisés ?

Ceux qui accusent l’Afrique d’être singulièrement belliqueuse devraient plutôt se rappeler que toute l’Histoire de l’humanité n’est qu’une longue série de massacres. Le sang versé a fini par amener les peuples à rechercher les vertus de la paix.

2 - « Elle n’est pas prête pour la démocratie »

C’est une antienne, un refrain que certains fredonnent régulièrement depuis des années par ignorance ou peut-être par condescendance. Par lassitude aussi du hold-up récurrent des urnes ou des éternels conflits post-électoraux, des partis politiques aux contours ethniques et régionalistes qui se grippent ou des opposants qui se vendent au plus offrant. Par méfiance à l’égard de tous ceux qui restent dans leur fauteuil au prix d’accommodements avec la Constitution ou des courtisans qui les y exhortent. Par refus d’une démocratie financée de l’extérieur qui renouvelle si peu ses élites et sa pratique qu’elle passe pour une greffe qui ne peut pas prendre.

Ce serait donc une affaire entendue : « l’Afrique n’est pas prête pour la démocratie », et ce quasi culturellement. Elle s’y serait laissé entraîner au mieux par mimétisme, au pire contrainte et forcée à coups de trique de bonne gouvernance politique, économique, judiciaire. Sans être pour autant arrivée à rentrer dans le rang.

Il y avait Gnassingbé Eyadéma au Togo, Moussa Traoré au Mali, Maaouiya Ould Taya en Mauritanie, Ange-Félix Patassé en Centrafrique et, auparavant, la plupart des « pères de la nation », de Félix Houphouët-Boigny à Amadou Ahidjo, de Sékou Touré à Dawda Jawara, de Daniel arap Moi à l’inénarrable Dr Hastings Kamuzu Banda du Malawi… Il y a encore Robert Mugabe au Zimbabwe, Mélès Zenawi en Éthiopie, Issayas Afewerki en Érythrée, Yoweri Museveni en Ouganda, Idriss Déby Itno au Tchad, Lansana Conté en Guinée, Yahya Jammeh en Gambie… à qui nul ne songerait, naturellement, à donner les clés de la maison-démocratie.

Stephen Smith écrit dans Négrologie : « Certes, entre 1990 et 2000, quatorze chefs d’État ont quitté le pouvoir à la suite d’une défaite dans les urnes, contre un seul au cours des trente années précédentes ; cependant, à la fin 2002, encore vingt et un des cinquante-trois chefs d’État africains exerçaient leur fonction depuis plus de quinze ans, trois d’entre eux - outre le Togolais Eyadéma, le Gabonais Omar Bongo Ondimba et le Libyen Mouammar Kaddafi - étant au pouvoir depuis plus de trente ans. L’Afrique, avec le monde arabe, reste le Jurassic Park des “dinosaures”… »

Pour autant, l’Afrique de la démocratie n’est pas née à la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, et la fin de la guerre froide. Elle n’a pas davantage complètement rompu puis renoué totalement avec elle à l’aube des années 1990. À la veille des indépendances, la compétition politique ouverte a existé un peu partout sur le continent : entre Léopold Sédar Senghor et Lamine Guèye au Sénégal, Modibo Keita et Fily-Dabo Sissoko au Mali, Hamani Diori et Zodi Ikhia au Niger, Patrice Lumumba et Joseph Kasavubu au Congo…

C’était là, peu ou prou, l’illustration de la réalité d’une certaine pratique démocratique. Et celle-ci aurait sans doute continué à exister et à se développer, au lieu d’être devenue ce kit qu’on a du mal - à moins que ce ne soit de la mauvaise volonté - à monter. Qu’on la perçoive comme un ressort ou un ensemble de principes, la démocratie ne peut pas être totalement étrangère aux Africains. Il y manque, hélas, la prime qui va avec : l’amélioration des conditions de vie, le sel dont elle se nourrit, car la seule renaissance à la liberté ne suffit pas. Sinon, sans remonter au matin du monde, qui peut dire que le continent, à aucun moment et nulle part, n’a forgé une histoire et connu une culture propices à la démocratie ? Celle-ci fait partie de son patrimoine. Il l’a seulement exploitée à sa manière, dont on peut légitiment se demander si elle est bonne ou mauvaise.

Voilà la question qui se pose et à laquelle la classe politique, les dirigeants en tête, n’apporte pas toujours, loin s’en faut, une réponse appropriée. Certains se sont, au contraire, évertués à dilapider l’héritage, si modeste soit-il. Les tenants, hier, du parti unique sont devenus, aujourd’hui, ceux qui le perpétuent après l’avoir habillé aux couleurs du pluralisme politique. Les opposants qui accèdent au pouvoir se comportent souvent comme ceux qu’ils dénonçaient la veille encore. Et c’est ce poker menteur qui entretient l’idée - reçue - que « l’Afrique n’est pas prête pour la démocratie ».


3 - « Il n’y a pas d’entrepreneurs »

Y a-t-il des entrepreneurs en Afrique ? Ne posez jamais cette question aux étudiants de l’Institut africain du management (IAM) de Dakar, vous risqueriez de les froisser. Et si les futurs businessmen du continent sont désormais formés en Afrique, leurs aînés n’ont pas attendu les années 2000 pour devenir de véritables patrons. En Afrique du Sud, les golden boys de l’ère Mbeki ont su profiter de la politique de Black Economic Empowerment pour constituer une véritable élite économique. Patrice Motsepe, qui préside la compagnie minière Harmony, Cyril Ramaphosa, qui tient la barre de Shanduka Group, et Tokyo Sexwale, qui dirige Mvelaphanda Holding, sont présents dans tous les secteurs d’activité - depuis l’extraction minière jusqu’à la haute finance en passant par le commerce et les médias - et pèsent plusieurs milliards de dollars.

Au-delà de la réussite exemplaire de ces capitaines d’industrie d’envergure internationale, force est de constater que chaque pays compte un certain nombre d’hommes d’affaires qui, avec un capital de départ parfois modeste, sont parvenus à s’imposer dans leur catégorie. En Afrique de l’Ouest, on trouve leur origine dans les réseaux marchands qui ont su prospérer en marge des grandes filières de l’économie coloniale. Cette classe de commerçants a ensuite évolué avec des fortunes parfois surprenantes. Même si, comme le soulignent les auteurs du livre L’Afrique des idées reçues, « au lieu de valoriser les négociants débrouillards dans un univers très incertain et un maquis de tracasseries, on les désigne comme des spéculateurs, des fraudeurs et des profiteurs ».

Pourtant, ces hommes d’affaires ont su prendre des risques et investir. Souvent dotés d’un bagage scolaire minimal, ils ont bâti de véritables empires à la lisière de l’informel, notamment dans les pays du Sahel. Les plus audacieux sont sortis du négoce pour se lancer dans des opérations plus exigeantes en capital... et plus risquées. Ainsi, El Hadj Oumarou Kanazoé, PDG du groupe éponyme, est devenu le numéro un burkinabè du BTP en faisant directement concurrence à Bouygues, Colas et Sogea. Idem pour le Malien Cheikna Kagnassi, dirigeant du groupe L’Aiglon, basé en Suisse. Après avoir prospéré dans le négoce des matières premières agro-industrielles, il a investi dans l’industrie de transformation en créant La Compagnie cotonnière ivoirienne (LCCI), à la faveur de la privatisation de la filière en 2001. Cette initiative a néanmoins débouché sur un échec, signe que le passage du commerce à l’industrie constitue une étape périlleuse.

Toutefois, les Kanazoé et autres businessmen, privés de formation en management, ont fait la preuve de leurs capacités à gérer de grandes entreprises avec les moyens du bord. Ils ont progressivement diversifié leurs activités, créant des sociétés dès que la nécessité s’en faisait sentir. Pour ensuite amorcer un mouvement de consolidation, étape impérative pour pouvoir présenter un bilan cohérent et solliciter l’octroi de prêts auprès des établissements bancaires. Preuve de leur succès, les « empires » qu’ils laisseront à leurs héritiers - eux-mêmes formés dans les meilleures écoles de commerce d’Europe ou des États-Unis - font désormais concurrence aux multinationales.

Ces capitaines d’industrie font encore bien souvent figure d’exception dans un environnement culturel marqué par un fort contrôle social, souvent dissuasif pour l’initiative privée. Longtemps, la pression communautaire a encouragé le conformisme et découragé la responsabilisation individuelle. Toutefois, l’urbanisation, accusée de pervertir les traditions, favorise des comportements plus individualistes. Chacun doit compter davantage sur soi, ce qui est une incitation à entreprendre.


4 - « Elle reçoit plus d’argent qu’elle n’en rembourse »

L’importance de l’aide étrangère demeure cruciale pour la plupart des quarante-huit pays de l’Afrique subsaharienne (ASS), alors qu’elle est devenue symbolique sinon dérisoire pour les autres régions du monde en développement. C’est une vérité incontournable, au moins jusqu’en 2025. Cette aide a évolué, certes, en dents de scie de 1960 à la fin des années 1990, mais, depuis l’an 2000, elle est en hausse jusqu’à atteindre son apogée en 2015 avec 50 milliards de dollars, contre 25 milliards en 2004 et 14 milliards en 2000.

Ces flux font de l’ASS le sous-continent relativement le plus aidé avec 44 dollars par habitant en 2005, deux fois plus qu’en 2000 et trois fois plus que la moyenne mondiale. Indicateur corroboré par le poids de l’aide dans l’économie : pour 80 % des pays de l’ASS, elle représente 5 % de leur production annuelle (produit intérieur brut). Pour 20 % d’entre eux, cette dépendance est encore plus lourde (10 % ou plus), notamment pour le Burundi, l’Érythrée, le Malawi, la Sierra Leone, le Mozambique, le Rwanda, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, la Centrafrique et l’Éthiopie.

Sans cette perfusion, les États africains concernés ne pourraient honorer leurs obligations souveraines : payer les fonctionnaires et assurer le fonctionnement des services publics de base (santé, éducation, infrastructures, sécurité). Cette utilisation de l’aide n’a pas été d’une grande efficacité dans les années 1960 et 1970, au cours desquelles certains États africains étaient embarqués dans la guerre froide entre les deux grandes puissances de l’époque, l’Union soviétique et les États-Unis. La première fournissait de l’aide militaire à profusion et la deuxième un concours financier facile à détourner par les dirigeants.

Le bilan de ce formidable gâchis (près de 300 milliards de dollars) n’a jamais été sérieusement établi, à supposer qu’il puisse l’être un jour. Les intérêts des uns et des autres étaient tellement imbriqués qu’il est impossible de distinguer les tricheries des vrais échecs économiques. Le résultat est qu’aujourd’hui l’ASS en est au même point qu’en 1960, sinon en recul, alors que l’Asie et l’Amérique latine, qui ont elles aussi subi des dictatures, des guerres et des catastrophes naturelles, ont parachevé leur décollage.

La conséquence de tout cela est une baisse générale de l’aide d’origine publique sous sa forme classique et la meilleure, l’aide-projet. La moitié de l’aide est désormais consacrée au remboursement des impayés d’avant 2004. Pour solder le compte des années perdues, les gouvernements occidentaux ont décidé en 2005 d’effacer l’ardoise et de ne plus accorder autant de prêts que par le passé. L’essentiel de leurs nouvelles interventions se fait désormais sous forme de dons.

Mais ce geste de salubrité publique, tant réclamé par les organisations non gouvernementales, est considéré comme une nouvelle aide… alors qu’il n’a pas d’effet direct sur le développement économique (création d’emplois, valeur ajoutée). Il permet seulement de soulager le fardeau du budget des États endettés : les économies ainsi réalisées (pas de service de la dette à payer) sont censées financer des programmes de réformes administratives et des projets sociaux. Par exemple, sur les 23 milliards de dollars d’aide comptabilisés en 2005, la Banque mondiale estime la partie hors dette à 13,2 milliards de dollars.

Donc, les gouvernements occidentaux augmentent leur aide pour effacer la dette et réduisent le montant de leurs prêts (voir infographie p. précédente) : pour 2006, les dons ont atteint 36,9 milliards de dollars, et les prêts 1,8 milliard (dans la mesure où le remboursement des échéances encore dues dépasse de 1,8 milliard les versements reçus au titre des nouveaux prêts). Soit un flux net de 35,1 milliards de dollars. Pour la première fois depuis 2000, ce flux est inférieur à celui émanant du secteur privé sous forme d’investissements directs étrangers et de prêts bancaires privés (voir infographie). À l’avenir, il y aura ainsi de moins en moins de prêts publics et de plus en plus de capitaux privés. En espérant que cet inversion de tendance se fera cette fois dans l’intérêt de l’ASS et pas seulement de celui des bailleurs de fonds.


5 - « L’agriculture est archaïque et figée »

Lorsqu’elle n’est pas sabordée par les choix politiques comme au Zimbabwe ou utilisée à des fins géopolitiques et militaires (des famines délibérément provoquées pour être utilisées comme arme), l’agriculture demeure en Afrique le paradoxe des paradoxes. Sur tout le continent, du nord au sud, d’est en ouest, les ressources abondent, les surfaces cultivables sont innombrables et le secteur primaire devrait occuper un rôle de premier plan dans la croissance économique.

Mais la réalité est tout autre. Rudimentaire et peu mécanisée, extensive plus qu’intensive en raison du coût des intrants, fragmentée en petites exploitations dont la superficie n’excède pas deux hectares et confrontée à l’insuffisance des ressources en eau, l’agriculture africaine souffre de pesanteurs économiques et culturelles dont l’ampleur provoque des tensions grandissantes sur fond d’explosion démographique.

La révolution verte prônée par de nombreux gouvernements au sortir des indépendances dans les années 1960 a fait long feu. Pis, la filière agricole satisfait de moins en moins les besoins des populations. Malgré de bonnes performances, particulièrement en Afrique de l’Ouest, où la campagne céréalière 2006-2007 affiche une hausse de 3 %, à 15 millions de tonnes, les instituts agronomiques et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur la situation alimentaire du continent et le repli des rendements. Dans un rapport publié en 2005, l’un d’eux - l’américain International Food Policy Research Institute (Ifpri) - prédisait 38 millions d’enfants malnutris d’ici à 2015, contre 32 millions en 1997. Plus globalement, 250 millions de personnes sont sous-alimentées au sud du Sahara.

Les facteurs exogènes comme les aléas climatiques, la fluctuation des marchés internationaux, l’aide alimentaire déstabilisante pour les marchés domestiques ou les guerres ne suffisent pas à expliquer cette situation. Les choix opérés par les pouvoirs publics africains, qui ont préféré privilégier les cultures de rente ou les activités plus rémunératrices comme l’extraction pétrolière et minière, ont été des facteurs aggravants ayant précipité la ruine du paysannat et son exode vers les villes, même si 70 % des populations continuent de vivre en zone rurale. Faute d’incitations, d’accès aux crédits, de budgets ambitieux (moins de 1 % des budgets nationaux sont consacrés à l’agriculture) et d’infrastructures (routes, entrepôts…), le secteur reste confiné et son essor hypothéqué par des pratiques comme la divagation des cheptels ou les feux de brousse.

À quoi s’ajoute un droit rural particulièrement rigide. Ancré dans les règles coutumières, ce dernier accorde rarement la propriété du sol à celui qui le cultive, ce qui n’incite guère le paysan à investir ou enrichir un sol dont il ne sait s’il pourra continuer de l’exploiter à l’avenir.

Malgré ces difficultés, certaines expériences prometteuses pourraient être généralisées. Celle de Tonka, au Mali, montre qu’une gestion durable des terres conjuguée au regroupement du paysannat en coopératives peut donner de très bons résultats. Dans des conditions climatiques rigoureuses, cette région du Nord malien est devenue un exemple de rendement et de productivité. Par leur connaissance du milieu et le recours à la polyculture, qui a permis de contrebalancer l’absence d’engrais et de freiner l’appauvrissement des sols, ces agriculteurs ont évité une situation plus dégradée encore. Ce qui prouve que le savoir-faire du paysan africain n’est pas à mettre en cause. Bien au contraire.

Volet important de l’aide au niveau mondial, la relance de l’agriculture est l’un des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) (voir pp. 104-107). Une priorité qui a incité de nombreux États à revoir leur approche du secteur, notamment du point de vue de la sécurité alimentaire. Reste que la diminution de la moitié du nombre de personnes souffrant de malnutrition d’ici à 2015 sera difficilement réalisable.


6 - « Les chefs d’État sont tous corrompus… »

Depuis le début des années 1960 et les beaux jours de l’aphorisme inventé par le journaliste Raymond Cartier (« La Corrèze plutôt que le Zambèze »), l’idée selon laquelle la corruption est un mal « culturel » africain tandis que l’aide au développement va directement dans les poches des « dictateurs » demeure endémique au sein de l’opinion des pays riches. Idée reçue ? En grande partie, oui, surtout lorsqu’elle sous-entend que les sociétés occidentales, où règne l’État moderne tourné vers le bien public, ne connaîtraient, elles, qu’une dose infime de vénalité. En Italie, en France (scandales Elf et Carrefour du développement), aux États-Unis (Enron), au Japon (neuf Premiers ministres sur quinze sont tombés à la suite des affaires de corruption entre 1955 et 1993), le mal existe aussi, même s’il est plus diffus et moins visible. Tout comme il est illusoire de croire que les systèmes démocratiques à l’européenne, avec leurs contre-pouvoirs, seraient le moyen infaillible de lutter contre ce phénomène. En Afrique, ni les dirigeants sénégalais, ni les responsables sud-africains (le cas de l’ex-vice-président Jacob Zuma est à cet égard emblématique) ne sont à l’abri. Quant aux rares responsables qui se sont engagés avec détermination dans la lutte contre la corruption, à l’instar du Burkinabè Thomas Sankara, les résultats obtenus n’ont guère été probants.

Pourtant, cette idée reçue comporte une part de vérité. Certes, il n’est plus possible aujourd’hui de détourner grossièrement une aide de mieux en mieux contrôlée, mais dans des sociétés où prévalent souvent les relations familiales et ethniques et où la notion de service public est en grande partie absente, la corruption de survie et de proximité est la règle. Une enquête réalisée en 2003 au Kenya sur ce phénomène montre que le citoyen kényan dépense en moyenne un tiers de son salaire mensuel en pots-de-vin divers. Quand des pratiques de ce genre sont aussi fortement ancrées dans les mœurs et tolérées par la société, comment ne pas penser que le mauvais exemple vient du sommet ? Après tout, bien rares sont, sur le continent, les chefs d’État qui vivent de leurs émoluments et dotations dûment fixés et contrôlés par l’État et la représentation nationale. Même si la grande prédation d’autocrates absolus (type Mobutu) ou tempérés (type Houphouët) est de moins en moins fréquente, et surtout possible, grâce au travail des ONG et à la prise de conscience des bailleurs de fonds, le doute persiste.

En réalité, si problème culturel il y a, il est ailleurs. Contrairement aux pays du Nord (Europe, Asie, États-Unis), où la corruption se pratique à des fins quasi exclusives d’enrichissement personnel - hommes politiques, patrons spécialistes de l’abus de bien social, actionnaires fermant les yeux sur la falsification des comptes, évadés fiscaux, etc. - la « grande » corruption africaine, celle des chefs, est aussi une affaire de redistribution. Beaucoup des corrupteurs du continent ne se reconnaissent pas dans la définition du Robert, pour qui corrompre c’est « engager quelqu’un par des dons, des promesses et autres moyens condamnables à agir contre sa conscience ou son devoir ». En revanche, tous savent qu’ils doivent suppléer eux-mêmes aux défaillances d’un État faible et embryonnaire, qui ne joue pas son rôle de redistributeur de richesses, sous peine de devenir impopulaires. Un chef d’État vertueux, dont les tournées à l’intérieur du pays ne sont pas accompagnées de la mallette à billets, laquelle sert aussi à financer des projets concrets, est rapidement taxé de « pingrerie ». « L’honnêteté c’est bien, mais ça ne se mange pas », disait-on à Ouagadougou dans les années 1980. Et gare à celui qui prétend s’enrichir sans distribuer !

Cette spécificité a un nom : le clientélisme. Elle n’ôte certes rien au scandale économique que constitue l’investissement à l’étranger de biens détournés chez soi, pratique courante chez certains dirigeants du continent. À la différence de la corruption « asiatique », qui a été l’une des bases du développement de pays comme la Malaisie, Singapour, l’Indonésie ou Taiwan, la grande corruption « africaine » ne sert en effet à rien d’autre, une fois la part de redistribution donnée, qu’aux dépenses somptuaires et aux achats immobiliers de précaution en Europe, aux États-Unis, voire en Afrique du Sud, au cas où le pouvoir viendrait à lâcher. Reste que, même si la corruption des élites est très loin d’être une tare dont l’Afrique aurait le monopole, elle n’en est pas moins un exercice courant et, surtout, largement accepté, tant qu’elle s’inscrit dans le cadre de l’échange social. L’éradiquer est une tâche impossible, ici comme ailleurs. La contrôler, voire en diminuer l’ampleur, suppose à la fois l’édification d’un État structuré et impartial, et une remise en cause du fonctionnement et des normes de la société. Autant dire que le combat sera long.


7 - « Le sida va la rayer de la carte du monde »

Très vite identifié comme maladie sexuellement transmissible, donc chargé de tabous, le sida, comme en son temps la syphilis, devait trouver ses coupables. En Afrique subsaharienne, dès son apparition, il fut considéré par l’opinion publique comme une maladie propagée par les Blancs pour décimer les populations noires. On se perdit en conjectures toutes plus irrationnelles les unes que les autres (virus échappé de laboratoires, chercheurs démoniaques…).

Au début des années 1980, tandis que les statistiques relevées en Afrique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) indiquaient l’inexorable progression du VIH, nombre d’Africains perçurent comme une offense le poids accablant d’une accusation souvent insidieuse portée par les médias occidentaux. L’idée s’imposa que l’Afrique allait se dépeupler irrémédiablement. On était passé, en moins de dix ans, d’une obsession de natalité galopante - véritable hantise des puissances occidentales au prétexte qu’elle mettait en péril les réserves nutritionnelles de la planète - à une démographie en chute libre, jusqu’à faire disparaître les populations africaines.

C’était oublier que l’Afrique n’est pas une mais multiple. Que, face au sida, la mosaïque des peuples qui l’habitent offre des comportements très variables selon l’environnement, la religion, la culture, les traditions, la politique en cours ou l’économie. D’un pays à l’autre, d’une décennie à l’autre, on observe ainsi des ripostes collectives d’une grande diversité face à l’irruption du sida : le VIH qui s’était déclaré en même temps à Kinshasa, Kampala, Kigali et Lusaka est resté stable dans la capitale de la RDC, tandis que le nombre des personnes contaminées explosait dans les trois autres capitales, sans explication simple et évidente.

Mieux, on constate à présent que les premiers pays touchés d’hier peuvent être aujourd’hui parmi les moins affectés, et inversement. Rien ne laissait augurer, il y a quinze ans, que l’Ouganda, où ne survivaient plus que les vieillards et les enfants, serait en 2006 présenté comme « modèle à suivre », avec une diminution de l’infection (4 % de prévalence en 2004 contre 13 % en 1990), chez les adolescentes plus particulièrement.

Une part de ce succès est à mettre au crédit est de l’association Taso (The Aid Support Organisation). Sa fondatrice, Noreen Koliba, emblème africain de la lutte contre le sida, voulait que « l’Ouganda continue à apporter la preuve que l’épidémie recule devant les interventions humaines […]. L’utilisation du préservatif chez les femmes célibataires de 15 à 24 ans a presque doublé en six ans et un nombre important des femmes de ce groupe d’âge ont retardé leur activité sexuelle ou pratiquent une totale abstinence ».

À l’inverse, le Cameroun est entré dans la phase la plus explosive de l’épidémie alors qu’on le tenait pour le “miraculé” des années 1980 et qu’il avait lancé à l’époque des campagnes de prévention très hardies.

La pauvreté, souvent incriminée, n’est pas un facteur décisif : le Botswana, qui dispose d’un système de santé performant, a atteint le seuil critique des 40 % de prévalence chez les 15-49 ans.

L’Afrique ne sera pas rayée de la carte du monde, même si environ 25 millions de ses habitants sont porteurs du virus du sida. Le danger est autre : en frappant de plein fouet la génération la plus active, la maladie pèse lourdement sur les économies, à commencer par l’agriculture, où le manque de bras actifs compromet à la longue la sécurité alimentaire. Depuis 1985, sept millions de travailleurs agricoles sont morts du sida. Le VIH réduit aussi à néant les efforts sanitaires pour améliorer la longévité des Africains : l’espérance de vie à la naissance avait longtemps stagné à des niveaux très bas avant de s’élever à 60 ans dans la décennie 1970.


8 - « La forêt recule... »

Parce qu’elle capte le dioxyde de carbone (CO2), la forêt est souvent présentée comme le poumon de la planète. Elle contribue à la production de l’oxygène, qui lui-même participe à la formation de la couche d’ozone, dont le rôle est de protéger l’atmosphère terrestre des rayonnements ultraviolets. À l’heure du réchauffement climatique, de la fonte des glaciers et du battage médiatique sur l’étendue du trou de la couche d’ozone, les habitants de la Terre portent tout naturellement leur regard sur ce qui reste du couvert forestier, notamment dans certaines régions d’Afrique, où la nature l’a fait particulièrement dense. Le constat semble unanime : sous les coups de boutoir de ses habitants ainsi que des entreprises forestières, la forêt recule ! Vrai ou faux ?

Pour Alain Morel, géographe à l’université Joseph-Fourier de Grenoble, coauteur de L’Afrique des idées reçues, cette assertion n’est pas fondée. « En Afrique centrale atlantique, depuis cinq cents ans au moins, malgré la mise en valeur qui continue, la forêt reconquiert la savane, par progression sur ses marges et par recolonisation d’îlots. » Selon lui, la forêt devrait encore progresser sur les savanes pendant des millénaires, réoccupant le domaine qu’elle avait déjà occupé. Les paléo-botanistes sont du même avis, puisqu’ils ont établi le même constat depuis les années 1990.

La représentation occidentale du recul de la forêt recèle néanmoins une part de vérité. La plupart des pays africains perdent leur forêt pour des raisons qui tiennent à la fois de l’économie nationale, avec la coupe des essences commerciales, mais aussi à cause du défrichement et des feux de brousse opérés par les agri­culteurs. À quoi il faut ajouter les besoins domestiques des populations. Résultat, entre 1976 et 1980, 1,3 million d’hectares de forêts denses auraient été déboisés. La décennie suivante, entre 1980 et 1990, 4,8 millions d’hectares ont été coupés et 5,3 millions entre 1990 et 2000.

En Côte d’Ivoire, 500 000 hectares de forêt disparaissent chaque année du fait de l’agriculture itinérante sur brûlis. De 15 millions d’hectares en 1956, le couvert forestier ivoirien n’était plus que de 2,7 millions en 1990. Cet espace, traversé par des axes routiers, est aujourd’hui occupé par les plantations de café et de cacao.

Au Cameroun, le bois représentait en 1999 le quart des exportations du pays. Des scieries, des routes tracées pour évacuer les grumes ou approvisionner les usines de transformation gagnent chaque jour du terrain sur la forêt et sa biodiversité. Et l’absence ou la faiblesse de l’État dans la régulation de ces activités conforte l’idée que l’exploitation des essences commerciales de la forêt n’est pas maîtrisée.

Mais cette idée très répandue est une fausse évidence. L’exploitation forestière ne dégrade le massif du Congo que de l’intérieur. En revanche, sur ses marges, à la lisière des savanes, la forêt progresse, et « elle avancerait davantage si les feux de savane allumés par les populations ne ralentissaient pas sa progression », soutient Charly Favier, de l’université de Montpellier, chef d’une mission d’étude déployée au Cameroun depuis le 10 janvier 2007.

Il est vrai que, de 2000 à 500 avant J.-C., la forêt équatoriale africaine a connu un recul important devant la savane. Mais, depuis un millénaire, la tendance s’est inversée. Selon les chercheurs, cette évolution expliquerait la migration des Bantous vers l’Afrique australe, au moment où la forêt régressait devant la savane. Le recul dont on parle aujourd’hui est plus fantasmé que réel. Il est inspiré par le spectacle de pans entiers de forêt dévastés par l’activité humaine. Seulement, les médias ne s’intéressent pas au reboisement parallèle, moins spectaculaire, il est vrai.


9 - « Les Africains font trop d’enfants »

C’est peu dire que l’Afrique connaît actuellement une croissance démographique exceptionnelle. Certes, au nord du continent, tout comme dans la partie australe, la natalité a connu une forte baisse au cours des dernières décennies, pour s’établir à environ 25 pour 1 000 habitants dans ces deux régions. Mais elle reste très forte dans les régions intertropicales. Du Bénin à la Tanzanie en passant par le Congo et le Burundi, les taux sont presque partout égaux ou supérieurs à 40 pour 1 000.

Comme, parallèlement, grâce aux progrès sanitaires, la mortalité a régulièrement baissé au cours des dernières décennies, le taux de croissance naturelle, 2,5 % par an, fait doubler la population à chaque génération.

L’Afrique étant le moins urbanisé des continents, une grande partie de la population reste marquée par le schéma sociofamilial traditionnel : seule une progéniture nombreuse permet de compenser la forte mortalité infantile. Cette dernière, il est vrai, est encore très élevée : presque 10 % (pour les enfants de 0 à 5 ans) au sud du Sahara contre 0,7 % dans les pays développés. Dans les campagnes africaines, en outre, l’âge du mariage des filles reste très bas : la période de fécondité des femmes s’en trouve d’autant allongée. La fécondité reste ainsi très élevée : près de 6 enfants par femme un peu partout, avec des pointes à 7 dans quelques pays (Mali, Ouganda) et même à 8 au Niger, record mondial absolu ! À ce rythme, la population au sud du Sahara devrait doubler d’ici à 2050, passant de 750 millions (en 2005) à 1,5 milliard.

Aussi spectaculaire soit-elle, la croissance de la population africaine n’a pourtant rien de catastrophique en soi. Ce continent ne fait, somme toute, que rattraper quelques siècles de stagnation démographique. En 2025, il ne fera que retrouver le pourcentage de la population mondiale (17 %) qui était le sien au début du XVIIe siècle. Avant, en particulier, la saignée humaine occasionnée par la traite négrière.

Avec une densité moyenne voisine de 30 habitants par km2, contre une moyenne mondiale de 50, l’Afrique reste encore relativement peu peuplée. C’est la répartition de la population plus que son nombre qui pose problème. Près de la moitié de l’espace subsaharien est quasiment vide, alors que, dans certaines zones, les densités approchent 300 habitants au km2. C’est le cas en particulier au Nigeria et dans la région des Grands Lacs (Ouganda, Burundi, Rwanda).

Quoi qu’il en soit, même si l’Afrique noire a quelques longueurs de retard sur les autres régions du Sud, elle est entrée à son tour dans une phase de baisse de la fécondité depuis les années 1990. Par rapport aux années 1960, la diminution est de 1,5 enfant par femme pour l’ensemble de la région subsaharienne. On note les baisses les plus importantes en Afrique australe (Afrique du sud, Botswana, Zimbabwe) et au Kenya. À l’autre extrémité, la fécondité reste stable au Nigeria et au Mali tandis qu’elle augmente légèrement au Burundi et au Niger.

Cette tendance à la baisse est appelée à s’accélérer avec l’urbanisation, qui, on le sait, incite les familles à limiter le nombre d’enfants : avec un taux de croissance supérieur à 4 % par an, la population urbaine du continent pris dans son ensemble devrait passer de 300 millions actuellement à quelque 750 millions en 2030.

Le mouvement de diminution de la fécondité aura beau s’accentuer et se généraliser, la population continuera cependant à augmenter considérablement pendant deux générations. Le nombre de femmes en âge de procréer restera si élevé qu’elles feront nécessairement beaucoup d’enfants...

Même pléthorique, cette population sera demain un atout dans un monde sur lequel plane une menace inédite dans l’histoire de l’humanité : le vieillissement. À condition, bien sûr, qu’elle soit formée. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’investissement dans le secteur éducatif est beaucoup trop lourd pour des économies qui peinent à trouver un rythme de croissance suffisant. C’est là où réside peut-être le principal enjeu pour les décennies à venir.


10 - « Tous polygames »

« Les Africains sont tous polygames. » À force d’entendre cette contre-vérité, certains Africains, avec un grand sens de l’humour, ont fini par trouver une réplique imparable : « Et François Mitterrand, il n’était pas polygame ? C’était un Africain ? » Allusion à la réputation d’homme à femmes laissée par l’ancien président français. À y regarder de près, une vérité s’impose : l’on prête trop aux Africains. Ne dit-on pas qu’ils ont des membres virils hors normes et, par conséquent, une vie sexuelle débridée ? D’où leur propension à avoir plusieurs femmes, au nom de coutumes sans doute obsolètes.

Chacun a encore en mémoire la sortie, pour ne pas dire l’ineptie, en novembre 2005, au moment où les banlieues françaises s’embrasaient, de l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse. Pour l’historienne, les émeutes étaient provoquées par des enfants africains ou d’origine africaine issus de foyers polygames !

La polygamie existe en Afrique, mais tous les Africains ne peuvent pas être polygames. Et n’est pas polygame qui veut : il faut en avoir les moyens et… les aptitudes. Le musulman, par exemple, est autorisé à se marier avec quatre femmes au maximum. Toutefois, vu la difficulté pour lui d’être équitable envers toutes ses compagnes, il lui est recommandé de préférer la monogamie.

Avoir plus d’une femme découle aussi, dans certaines traditions, d’une volonté de nouer des alliances politiques, sociales ou économiques avec d’autres clans, d’autres familles, d’autres villages et communautés… Pouvoir et prestige sont ainsi renforcés. Sur le plan économique, le nombre des épouses et des enfants augmente la force de travail pour les activités agricoles ou le commerce. Plus il y a de bras, mieux c’est pour le foyer.

Certaines coutumes contraignent à la polygamie. C’est le cas du lévirat, pratique qui consiste pour un homme, même marié, à hériter de la femme d’un membre de sa famille décédé. Il se pose alors la question de savoir si, dans ces conditions, la femme n’est pas considérée comme un simple objet qui passe d’une main à l’autre, sans qu’on lui demande son avis. Mais ceux qui observent le lévirat sont persuadés que c’est un moyen de solidifier l’édifice familial et d’assurer l’avenir de la veuve. Et, surtout, de ses enfants.

Il y a aussi des situations où le passage d’un monogame à la polygamie est imposé par sa propre épouse quand, après de longues années de mariage, elle ne lui a pas donné d’enfant. C’est elle qui décide de chercher une femme plus jeune pour que son mari ait une descendance.

À quoi s’ajoutent des effets de mode. Aujourd’hui, être à la tête d’un harem en milieu urbain est la démonstration, de la part du cadre, du fonctionnaire ou de l’homme d’affaires, d’une réussite sociale indéniable. Quoi de mieux pour lui d’étaler ses femmes comme il étale ses biens !

Et les femmes dans tout cela ? Les vicissitudes de la vie sont telles que, en général, elles n’ont pas le choix. Plutôt que de vouloir à tout prix un mari pour elles seules, elles se montrent réalistes en acceptant de le partager, même si le regard de la société sur les femmes célibataires est de plus en plus indulgent. Et puis, avoir un statut reconnu est plus sécurisant.

Les Africains, dont la sensualité serait sans bornes, rétorquent qu’ils ne sont pas différents du reste de l’humanité. Mais ce qui les distingue des autres, c’est leur capacité à briser les tabous, à vivre sans hypocrisie. Alors que des Occidentaux entretiennent plusieurs maîtresses et n’osent pas montrer leur vrai visage au grand jour. 



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