[ Lettre ouverte ] « Mais tu es noir, tu ne peux pas être italien ! »

Une lettre ouverte a été publiée la semaine dernière dans le quotidien La Repubblica par un écrivain noir de nationalité italienne, Pap Khouma, un peu comme l’avait fait le journaliste Mustapha Kessous dans Le Monde, il y a quelque temps.

Il y raconte les petites vexations quotidiennes, le racisme ordinaire, les demandes incessantes de carte de séjour mais cite surtout une phrase qui revient comme un leitmotiv, avec le tutoiement de rigueur, « mais tu es noir, tu ne peux pas être italien ! ». Une phrase d’une logique qui pouvait peut-être se comprendre il y a quelques années où les Italiens de couleur et métis n’étaient pas vraiment monnaie courante, mais qui n’a plus de sens maintenant, vu la transformation progressive de « l’identité nationale » transalpine, à l’instar de la grande majorité des pays européens (au grand dam de certains ministres de France et de Navarre....).

De nombreuses lettres et témoignages ont raconté par le menu les expériences, les humiliations ou les remarques blessantes. Le ministre de l’Égalité des chances, Maria Carfagna, s’est dite outrée et a rappelé la création récente d’un organisme national contre les discriminations raciales.

L’Italie, longtemps pays d’émigration (voir post précédent), n’est devenue que récemment un pays d’immigration. Elle n’a pas de DOM-TOM, a eu « peu » de colonies par rapport au palmarès de ses voisins et pendant « seulement » quelques dizaines d’années (entre autres l’Erythrée, la Somalie, l’Ethiopie, la Lybie ont été « italiens » jusqu’aux années 40). Les rares Italiens de « couleur » étaient en grande majorité issus de ces pays. Mais aujourd’hui, de plus en plus d’Italiens ont la peau sombre, qu’ils soient d’origine indienne, africaine, sud-américaine etc. Enfants de couples mixtes ou pas, adoptés ou naturalisés, ils vont à l’école, travaillent et parlent le dialecte de leur région… mais se heurtent encore souvent à l’incrédulité et au scepticisme de leurs compatriotes, dont les réactions peuvent prendre des formes plus ou moins « polies », qu’elles proviennent de l’homme de la rue ou des forces de l’ordre.

RTXFGF5_Comp Un jeune footballeur très prometteur de l’Inter, Mario Balotelli, né à Palerme en 1990 et parlant avec un fort accent lombard, « SuperMario » pour ses fans, est souvent victime dans les stades, d’insultes racistes (« Il n’existe pas de nègres italiens » est un best-seller), de lancers de bananes et autres gracieusetés du genre. La presse s’en fait régulièrement l’écho mais les organisations sportives ne brillent pas par leur sévérité et les sanctions contre les clubs et les tifosi sont encore très timorées…

Mais comme souvent, l’Italie est surprenante et paradoxale. Avec une population de « couleur » qui reste quand même encore très minoritaire et numériquement très inférieure à celle de la France par exemple, le journal de la région de Rome, le TG Lazio, est présenté depuis des lustres (1995) par un journaliste noir, Fidel Mbanga-Bauna, sans que personne n’en fasse des gorges chaudes comme cela a pu être le cas pour un Harry Roselmack ou une Audrey Pulvar, il y a seulement quelques années. Des noirs sont depuis longtemps représentés dans des publicités qui n’ont aucun rapport avec le chocolat ou le rhum. Un député noir, Jean Léonard Touadi, ancien conseiller municipal à Rome, a été élu en 2008 avec l’Italie des Valeurs, le parti de Di Pietro. Un des nouveaux présentateurs de la RAI, métier que l’on pensait en voie de disparition et qui était exclusivement féminin, est un jeune et sémillant italo-égyptien, Livio Beshir.

Et il y a Sandy Cane. Elle est maire depuis l’année dernière d’une petite commune de la province de Varese, bastion de la Ligue du Nord, parti réputé pour sa xénophobie et les déclarations souvent ouvertement racistes de ses dirigeants. C’est une métisse de couleur, américano-italienne, membre elle aussi du parti d’Umberto Bossi. Un de ses collègues de parti, actuel titulaire du beau ministère de la Simplification législative (ça ne s’invente pas !) Roberto Calderoli, n’avait pas hésité par exemple à traiter l’équipe de foot française de ramassis d’« islamistes, de communistes (!) et de nègres ». Son ex-femme s’appelant « Negri », il a peut-être fait une fixette…

Bref, si il y a encore pas de mal de boulot à faire pour convaincre certains Italiens qu’ils peuvent compter parmi les leurs des gens de couleur sans qu’ils doivent exhiber un certificat d’italianité à chaque fois qu’on leur adresse la parole, l’Italie a pris une petite avance dans certains domaines, même symboliques, que pourrait lui envier la France...

Source:Reuters