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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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"Le stagiaire" : Wade, en plus vrai que nature

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"Le stagiaire" : Wade, en plus vrai que nature

Le Stagiaire. Roman d’un président de la République de Babacar SALL, Editions l’Harmattan

 Et vint la violence politique

Les palabres matinales avaient débuté tard aujourd’hui. Le Stagiaire s’était réveillé avec un visage froissé par l’insomnie, les bavardages tardifs avec ses collaborateurs qu’il faisait venir juste pour qu’ils lui tinssent compagnie. Omar, ministre en principe de la Santé, était mis en veilleuse par le Stagiaire, on ne savait pas pourquoi. Il ne lui parlait plus, ne le faisait plus venir à ses côtés. Mais aujourd’hui il l’avait invité à s’asseoir juste à sa gauche.

- Omar, sais-tu pourquoi tu es assis à ma gauche ?

- Non, Monsieur le Président

- Vois-tu, on ne mange pas avec la main gauche. Rassure-toi, tu ne seras pas mangé. Tu garderas ton poste de ministre. Confidence : je cherche un Premier ministre. Je trouve que tu es le plus diplômé. Je veux que tu remplaces le Pr Issa Diouf que je voulais promouvoir comme mon second. Je l’ai mis en prison parce qu’il voulait être plus royaliste que le roi. Il commençait vraiment à m’énerver. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il est comme une voiture remplie de carburant. Il sait la quantité d’essence qu’il a, mais ne sait pas la distance qu’il a à parcourir. Je l’ai laissé filer comme un fou sachant que le moment viendrait où il serait à court de carburant… et en plein désert. » 

Il se gratta la tête et accrocha ses doigts à une chevelure résiduelle à laquelle il tenait comme à la prunelle de ses yeux. Il ouvrit le Conseil des ministres :

« Vous savez que la mère du ministre de la Santé est en France depuis sept mois. En dépit de la performance techno-médicale dont dispose Paris, les éminents professeurs n’arrivent pas à la soigner correctement. J’ai décidé de la rapatrier à Dakar pour que d’ici nous trouvions les moyens de la guérir. J’en fais une cause nationale et même panafricaine. J’ai ordonné, il y a quelques semaines, l’installation d’un plateau médical performant à la Clinique Internationale.

Je veux que l’on relève le défi, que l’on montre au monde entier le génie de notre peuple. Ce que l’Occident n’a pas réussi, il faut qu’on le     réussisse, ici. »

Interloqué, Omar se leva aussitôt pour se diriger vers la sortie.

« Qu’y a-t-il ? » lui demanda le Stagiaire. Omar lui répondit à demi-mots. Le ministre de la Santé était, en réalité, saisi d’un malaise à cause de ce qu’il venait d’apprendre. Lui qui, pendant des mois, était pris en otage par le Stagiaire qui tantôt lui faisait croire que sa mère allait mieux tantôt le contraire, jouant ainsi avec les nerfs d’un homme fragilisé par le reniement de soi et le devoir de sauver celle qui l’avait mis au monde.

Le Stagiaire le savait d’autant plus qu’il ne s’entourait que d’hommes et de femmes dans le besoin. Comme à son habitude, il avait tout préparé d’avance. Il savait que la patiente était guérie et que de façon résiduelle elle souffrait d’un mal que n’importe quel dispensaire pouvait soigner. Il avait attendu ce moment pour monter son opération en présence de la presse nationale et internationale.

Le jour venu, il s’habilla d’une blouse blanche et porta un masque à l’instar du personnel médical. La télévision du Palais le montra en train de diriger les opérations, donnant des ordres par- ci, donnant des ordres par-là. Tout cela n’était que simulacre et simagrée. La télévision publique et le journal gouvernemental titrèrent : « Notre Khalif national a fait un miracle : il vient de superviser avec succès l’opération de la mère du ministre de la Santé. Rappelons que cette dernière était condamnée par les plus grands professeurs de médecine en France. Notre guide vient de donner une sacrée leçon à l’Occident. »

On le montrait entouré de blouses blanches, le geste directif et le verbe haut. Il en tirait une gloire débordante que le griot du Palais reprit par sa voix mélodieuse. Sur l’écran défilaient les messages de félicitations venant d’un  monde de courtisans qui l’adulait sans retenue, avec un cortège de mots flamboyants.

Il se leva, s’engouffra dans une voiture officielle. Une centaine d’automobiles se mirent en branle, suivies de motards, d’ambulances, sirènes hurlantes. Le cortège traversa la ville à vive allure puis s’arrêta on ne savait pourquoi. Une séance de tam-tam publique au milieu d’une foule de femmes et de badauds déchaînés remplit l’univers sonore de ce quartier aux mille bruits. Comme pris d’une démangeaison le Stagiaire ordonna l’arrêt brusque du convoi.

Un silence mêlé d’étonnement s’installa dans le convoi. Il se dirigea naturellement vers le cercle sonore, un mouchoir blanc à la main. Le tambour major ouvrit grand les yeux comme pour s’assurer que celui qu’il avait devant lui était bel et bien le maître du pays. Une fois remis de ses émotions, il saisit l’instrument de percussion et le força à sortir les meilleures sonorités qu’une peau tendue de chèvre pouvait donner.   Un chant de gloire agrémenté de pas de danse, de youyous de la foule donnait à ce décor sonore les riches couleurs d’un festin royal.

Le Stagiaire se sentait dans son élément. Il prit d’autorité le micro central et s’adressa à la foule : « Voyez-vous, le peuple sénégalais est heureux. Je veux que la presse internationale montre combien le pays est heureux sous  mon autorité. Personne ne peut le nier. De manière imprévue, je me suis arrêté ici pour vous montrer la réalité du Sénégal. Ceux qui critiquent ma politique sont de mauvaise foi. »

La foule se densifia sous l’effet de la rumeur. Le tambour major profita d’un vide pour lancer quelques battements de tam-tam enrobés de louanges. Le tout atterrit agréablement à l’oreille du Stagiaire. Euphorique, ce dernier reprit le micro :

-Voyez-vous, quand quelqu’un maîtrise son art à ce point, le pays doit le reconnaître. Au fait quel diplôme avez-vous ? » lui demanda-t-il indiscret au milieu de la foule médusée.

L’effet amplificateur du microphone multiplia le volume d’émotion de son interlocuteur : « Prési… mon diplôme c’est vous. Vous êtes mon certificat d’étude, mon brevet, mon baccalauréat. »

Il resta de marbre comme si ces propos ne lui étaient pas adressés. La foule inquiète cessa de rire, de s’amuser comme si de l’eau avait été renversée sur la flamme vive de son bonheur. Un jeune batteur de tam-tam, sentant qu’il fallait aller plus haut dans l’évocation des titres, chuchota à l’oreille du meneur de rythme : « Mon agrégé, mon agrégé ! »

 

Il lâcha à son tour « Mon agrégé, mon agrégé ! »

 - « Entendez, entendez ! Mon agrégé ! » s’écria-t-il enthousiaste en se tournant vers la foule. Il fit signe à son aide de camp qui s’approcha : « Prends note, lui ordonna-t-il. Je le nomme « ministre des Festivités ». Il hésita un instant, se rappelant qu’il avait déjà nommé quelqu’un « ministre des Fêtes ». Il rectifia : « Je te nomme ministre des Festivités et de l’Animation populaire. »

Le griot bondit et faillit avaler son instrument. Il cria au monde sa joie. Le Stagiaire compléta sa volonté : « Vous êtes nommé ministre d’Etat chargé des Festivités et de l’Animation populaire. » La foule poussa un cri d’hystérie. Ce qui devait arriver arriva. Un gamin pris dans le tohu-bohu donna un coup de pied dans son ballon qui s’envola et s’écrasa contre le crâne du Stagiaire. Son visage s’assombrit. Les gardes du corps sortirent leurs armes. La poussière se leva. Des sirènes, des cris suivis d’une dispersion brutale mirent fin à la fête. Lorsque la poussière se dissipa, le Stagiaire avait disparu. Une nouvelle ère commença, celle de la violence politique.


 


 



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