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Le retour des Taliban au pouvoir rebat les cartes pour Al-Qaïda et le groupe État islamique

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Sur cette photo prise le 13 août 2020 et publiée par le Conseil national de sécurité (CNS) de l'Afghanistan, des prisonniers talibans marchent alors qu'ils sont en train d'être libérés de la prison de Pul-e-Charkhi, dans la banlieue de Kaboul. © AFP
Dans le sillage de leur conquête de Kaboul, les Taliban ont libéré, le 15 août, des centaines de prisonniers, dont certains sont des cadres de la mouvance jihadiste. L'arrivée au pouvoir des insurgés en Afghanistan pourrait bousculer le rapport de force entre les deux grandes organisations terroristes rivales : Al-Qaïda, moribonde mais proche des Taliban, et le groupe État islamique. Explications.

Dimanche 15 août, des images de libération de la prison de Pul-e-Charkhi – à l'est de Kaboul – par les Taliban circulaient sur Twitter. On y voyait des centaines d'hommes sortir de l'enceinte du centre de détention national afghan. Il s'agit de la plus grande prison d'Afghanistan, d'une capacité initiale de 5 000 personnes mais qui a pu en accueillir plus de 10 000, selon l'ONG Amnesty international.

"On ne sait pas grand chose des personnes libérées car les Américains ne veulent pas donner les noms des détenus, la liste est tenue secrète", explique Wassim Nasr, journaliste à France 24. Il précise cependant, au vu des informations parcellaires dont il dispose, que cette prison accueillait "des figures du jihadisme en plus de combattants lambda".

Parmi eux, on sait que Muhammad Zia-ul-Haq – aussi connu sous le nom d'Abou Omar al-Khorassani – a été tué à la libération de Pul-e-Charkhi. Ce jihadiste a brièvement été l'émir du groupe État islamique (EI) en Afghanistan (2018-2019) avant d'être arrêté par les forces de sécurité afghanes et emprisonné en 2020.

Mulawi Fakir Muhammad a aussi été libéré. Il est l'ex numéro 2 des Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), principale mouvance des Taliban pakistanais proche d'Al-Qaïda. L'organisation a commis de multiples attaques terroristes au Pakistan entre 2007 et 2014, et encore récemment, faisant plusieurs morts dans une attaque à la voiture piégée à Quetta en avril dernier.

"Cela donne une idée du calibre des gens qui étaient dans cette prison", précise Wassim Nasr. "Les Taliban ont libéré les leurs, que ce soit des Afghans, Pakistanais ou membres d'Al-Qaïda. Ils ont aussi dit qu'ils avaient transféré certains prisonniers vers une destination inconnue, sans doute pour les utiliser comme monnaie d'échange dans la guerre qu'ils mènent contre le groupe EI depuis 2015. Ces prisonniers pourraient être des jihadistes du groupe EI".

"Garder Al-Qaïda sous cloche"

Qu'ils soient membres supposés du groupe État islamique, des Taliban afghans, ou pakistanais, ou affiliés à Al-Qaïda, certains profils présents dans la prison de Pul-e-Charkhi semblent à l'image des forces en présence sur le territoire afghan. Au premier rang desquelles Al-Qaïda, l'organisation terroriste fondée par Oussama Ben Laden.

"Ce n'est plus grand-chose maintenant, il n'y a pas de base Al-Qaïda dans le pays", explique Olivier Roy, professeur à l'Institut universitaire européen de Florence et spécialiste de l'Afghanistan, contacté par France 24. "Des gens se réclament encore de cette organisation, mais la structure est extrêmement affaiblie. Ils ne sont plus en Afghanistan à proprement parler mais dans les zones tribales à la frontière pakistano-afghane".

Une situation qui diffère sensiblement de celle des années 90, où l'Afghanistan a servi – sous le régime Taliban – de base arrière à Al-Qaïda pour l'organisation des attentats du 11 septembre. "Les Américains n'ont jamais accusé le mollah Omar (chef des Taliban de 1994 à 2001, NDLR) d'avoir fait partie du complot pour organiser les attentats", précise Olivier Roy, "ils l'ont accusé d'avoir donné refuge à Oussama Ben Laden".

Depuis, des liens perdurent entre Taliban et Al-Qaïda. Tout comme Oussama Ben Laden avait prêté allégeance au mollah Omar en 1996, le chef actuel de l'organisation terroriste, Ayman al-Zawahiri, en a fait de même en 2016 avec le nouveau chef Taliban, le mollah Haibatullah Akhundzada.

À cela s'ajoute le rôle clé joué par le réseau Haqqani, une branche des insurgés afghans qui sert de liaison entre les Taliban et Al-Qaïda. Jalaluddin Haqqani, fondateur de ce réseau à la fin des années 70, a tissé des liens avec Oussama Ben Laden dans les années 80 puis a rejoint les Taliban en 1995. "La famille Haqqani a toujours gardé des contacts avec Al-Qaïda mais ils ne sont pas Taliban d'origine, donc ils gardent une certaine autonomie", précise Olivier Roy.

L'ONU a documenté ces dernières années les liens du réseau Haqqani avec Al-Qaïda. "Les relations entre les Taliban, en particulier le Réseau Haqqani, et Al-Qaïda restent étroites, fondées sur l'amitié, une histoire de lutte partagée, la sympathie idéologique et les mariages mixtes", pouvait-on lire dans un rapport de l'organisation internationale publié en 2020. Plus récemment, en juin, un autre rapport affirmait que "le Réseau Haqqani continue d'être un pôle de contacts et de coopération avec des groupes terroristes étrangers régionaux et assure la liaison principale entre les Taliban et Al-Qaïda."

Cet état des lieux sur la présence d'Al-Qaïda en Afghanistan fait dire à Wassim Nasr que "les Taliban ont la capacité de garder (l'organisation terroriste) sous cloche". "Ils ne veulent pas non plus se faire doubler par Al-Qaïda comme dans les années 90 : vingt ans plus tard, ils contrôlent à nouveau le pays et mieux qu'à l'époque où le nord du pays leur échappait. Ils ont lancé une opération pour rassurer les puissances régionales et internationales comme l'Iran, la Chine ou la Russie".

Le "monopole" des Taliban face à la menace de l'organisation État islamique

La branche afghane de l'organisation État islamique est l'autre menace jihadiste en présence. "On a vu apparaître de manière assez surprenante, il y a quelques années, des foyers se réclamant du groupe EI, essentiellement dans l'est de l'Afghanistan. Ils ont commis des attentats meurtriers ciblant principalement la communauté chiite, ce qui est une marque de fabrique" de cette organisation terroriste, explique Olivier Roy. Le groupe EI a aussi fait parler de sa force de frappe en Afghanistan plus récemment, revendiquant en juillet dernier des tirs de roquettes près du palais présidentiel à Kaboul.

"Ils n'ont pas de sanctuaire en Afghanistan mais peuvent causer des problèmes aux Taliban", affirme Wassim Nasr. Les Taliban considèrent le groupe EI comme une menace sérieuse à leur projet "Les rapports des Taliban sont mauvais avec eux, ils se battent contre le groupe EI car ils veulent le monopole de la gestion de l'Afghanistan", explique Olivier Roy. "Les Taliban veulent rétablir une suprématie nationale, alors que le groupe EI les considère comme des traîtres parce qu'ils négocient (avec les Américains, avec lesquels ils ont signé un accord de paix à Doha en février 2020, NDLR) et ne veulent pas exporter le jihad."

Le rapport de force sur le terrain penche en faveur des Taliban, "qui sont infiniment plus nombreux que le groupe EI dans le pays", précise le spécialiste de l'Afghanistan. Mais les combattants de l'organisation jihadiste pourraient tenter de délégitimer les insurgés maintenant que ces derniers sont de retour au pouvoir. "Le groupe EI ne fera pas de cadeau aux Taliban : soit il va se replier, soit il va essayer de rapidement monter des attentats à Kaboul", analyse Olivier Roy. "Si les combattants du groupe EI sont sur le sentier de la guerre, ils frapperont la capitale et les Taliban seront obligés de réagir, car ce sera la crédibilité même des insurgés qui sera en jeu".

Pour l'heure, les Taliban sortent aussi gagnants de ce bras de fer avec le groupe EI à l'international. "L'Émirat islamique d'Afghanistan [régime politique des Taliban], c'est une réussite qui vient contredire l'échec du Califat de l'État islamique en Irak et au Levant [du groupe EI]", rappelle Wassim Nasr.

Par ailleurs, cette réussite des insurgés pourrait donner un nouveau souffle à des organisations jihadistes hors d'Afghanistan, à commencer par Al-Qaïda. "Ça donne aux jihadistes un formidable élan. Cela leur fait croire qu'ils peuvent expulser une puissance étrangère, même majeure telle que les États-Unis", estime auprès de l'AFP Colin Clarke, directeur de recherche du Soufan Center, un think-tank de géopolitique new-yorkais.

Le mouvement Hamas s'est félicité de la victoire des Taliban en Afghanistan. L'agence de propagande d'Al-Qaïda, Al-Thabat, a, quant à elle, assuré que "les musulmans et moudjahidine du Pakistan, Cachemire, Yémen, Syrie, Gaza, Somalie et Mali (ont) célébr(é) la libération de l'Afghanistan et son application de la charia".

Plus que d'être une source d'inspiration pour les jihadistes, les Taliban, qui conservent néanmoins en leur sein des liens étroits avec Al-Qaïda, pensent au futur et sont en quête d'une légitimité internationale pour asseoir leur gouvernance. Pour Olivier Roy, ce processus "est fait" : "Il faut se rappeler que les Taliban ont négocié pendant deux ans avec les Américains à Doha. Depuis une semaine, personne ne parle de fermeture d'ambassade, on dit qu'on va observer les Taliban. Aujourd'hui, personne ne dit : "Vous avez collaboré avec Al-Qaïda, on ne vous parlera pas".


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