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L'hydroxychloroquine a-t-elle surtout été utilisée par les plus riches ?

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L'hydroxychloroquine a-t-elle surtout été utilisée par les plus riches ?
Une étude de l'ANSM et de l'assurance maladie indique que les habitants des communes les plus aisées sont surreprésentés parmi les nouveaux patients à qui l'hydroxychloroquine a été délivrée dans les pharmacies de ville.

Question posée le 15/05/2020

Bonjour,

Vous attirez notre attention sur un article de Forbes, qui est à peu près la traduction d’un autre, paru dans la Provence le 10 mai, et titré «Coronavirus : l’explosion des prescriptions de l’hydroxychloroquine». On y lit notamment : «Les patients qui ont eu accès à l’hydroxychloroquine dans le cadre d’un traitement du Covid-19 sont globalement socialement plus favorisés.»

Ces médias s’appuient sur une étude pharmaco-épidémiologique d’un groupement d’intérêt scientifique appelé Epi-phare et réunissant l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), et la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). L’étude parue le 4 mai s’intitule «Usage des médicaments en ville durant l’épidémie de Covid-19 : point de situation après cinq semaines de confinement». Elle porte sur les premières semaines de 2020 (du début de l’année au 19 avril). Cette période est comparée avec celles des années 2018 et 2019. Au total, les auteurs ont observé «466 millions d’ordonnances, soit 1,2 milliard de lignes de prescriptions» à destination de «51,6 millions de personnes du re?gime ge?ne?ral».

Les auteurs consacrent une partie de leurs travaux aux «traitements me?dicamenteux en lien potentiel avec le Covid-19», au rang desquels on trouve le paracétamol ; l’ibuprofène (qui a fait l’objet de mises en garde polémiques au début de la crise de la part du ministre de la Santé, Olivier Véran) ; la chloroquine ; l’hydroxychloroquine ; l’azithromicyne. L’association des deux derniers pour traiter les cas de Covid-19 est principalement défendue par le professeur Didier Raoult, mais son efficacité n’est pas prouvée scientifiquement.

Remboursement d’hydroxychloroquine pour des patients Covid

Les auteurs s’appuient sur les «donne?es de remboursement du Syste?me national des donne?es de sante? (SNDS)». La Cnam développe par mail : dans ses travaux, «le terme "patients" désigne une personne qui a eu un remboursement (ou plusieurs remboursements) pour un médicament donné». 

Le fait que l’hydroxychloroquine apparaisse dans l’étude, et que ses auteurs considèrent la consommation de cette molécule comme «en lien potentiel avec le Covid-19», révèle que l’assurance maladie a remboursé ce médicament, y compris quand il était prescrit contre le nouveau coronavirus – c’est-à-dire hors de son autorisation de mise sur le marché ou AMM (ce qui arrive souvent avec les médicaments à en croire plusieurs de nos interlocuteurs), mais surtout hors de ses indications habituelles (ce qui est plus rare).

La Cnam s’en justifie : «Les programmes de contrôle du "hors AMM" portent préférentiellement sur des situations ciblées (médicaments onéreux par exemple, caractère systématique…)» Autrement dit, des prescriptions ponctuelles de médicaments peu coûteux, comme ça a été le cas avec l’hydroxychloroquine, ne bipent pas sur les radars de la Sécu, qui a tendance à les rembourser.

Hausse des délivrances d’hydroxychloroquine et de chloroquine

«Le nombre de personnes avec délivrance sur ordonnance de chloroquine ou d’hydroxychloroquine a fortement augmenté, constatent les auteurs. A partir de la fin février pour la chloroquine, avec un pic le 27 février atteignant 450 personnes ; cela faisait suite à la médiatisation de ce traitement potentiel du Covid-19. Les délivrances d’hydroxychloroquine ont été plus tardives et plus massives que celles de chloroquine. Ainsi, un pic de délivrance sur ordonnance a été atteint le 18 mars avec près de 5 000 personnes avec délivrance d’hydroxychloroquine le même jour pour le seul régime général.» Suivent ces deux graphiques.

Le pic de la délivrance de chloroquine (450 le 27 février), en rouge dans le premier graphique, concerne les patients «incidents», c’est-à-dire qui n’ont pas eu de prescription de chloroquine au cours des deux années précédentes.

La Cnam établit un lien direct entre ce pic de «nouveaux» patients achetant de la chloroquine… et la publication le 25 février d’une vidéo par le professeur Raoult, où il déclare au sujet d’une étude chinoise : «Ça vient de sortir ! C’est efficace sur les nouveaux coronavirus.» Le professeur parle dans cette vidéo – comme beaucoup de médias à l’époque – de «chloroquine». Alors que c’est en fait l’hydroxychloroquine (un dérivé de la chloroquine) qu’il défend par la suite dans son protocole.

Quant au pic de délivrance d’hydroxychloroquine (5 000 le 18 mars), en bleu dans le second graphique, il concerne les patients «prévalents», c’est-à-dire qui ont déjà eu recours à l’hydroxychloroquine au cours des deux années précédentes. La Cnam : «L’hydroxychloroquine est utilisée comme traitement de fond pour le lupus érythémateux aigu disséminé et dans la polyarthrite rhumatoïde. Elle compte environ 50 ou 60 000 utilisateurs au long cours, qui sont des patients prévalents. Il y a eu une "concurrence de demande d’hydroxychloroquine" entre utilisateurs prévalents (stockage par crainte de manquer) et nouveaux utilisateurs (pour le Covid-19).»

Zahir Amoura, du Centre national de référence du lupus, auprès de CheckNews, l’esquissaient déjà le 21 mars : «Beaucoup de nos malades lupiques nous ont rapporté avoir du mal à se fournir en plaquénil [nom commercial de l’hydroxychloroquine, ndlr].» Ce professeur du service de médecine interne 2 de la Pitié-Salpêtrière (Paris) retenait alors deux hypothèses : «Soit certains ont renouvelé leurs stocks quand il est apparu que l’hydroxychloroquine pouvait traiter le Covid-19, par peur d’une pénurie qu’ils ont en fait créé eux-mêmes. Soit des médecins ont commencé à en prescrire en dehors des indications retenues habituellement.»

30 % des nouveaux patients vivent dans les 20 % des communes les plus aisées 
«Dès la fin mars et jusqu’à mi-avril les initiations de traitements sur prescription de chloroquine et d’hydroxychloroquine ont été réduites», remarquent les auteurs de l’étude. En cause : le décret de la fin du mois de mars qui a restreint la délivrance de ce médicament en ville. Toutefois, l’assurance maladie n’y voit pas un retour à la normale, puisqu’il y a eu dans les semaines suivant ce décret 60 % (S14), 8 % (S15) et 25 % (S16) de patients de plus (prévalents et incidents) qu’attendu pour l’hydroxychloroquine et la chloroquine.

Toutes comptes faits, les auteurs constatent : «Nous estimons à environ 41 000 le nombre de personnes supplémentaires ayant acquis sur ordonnance un traitement d‘hydroxychloroquine (ou plus rarement de chloroquine) sur les semaines 12 à 16 par rapport à l’attendu.»

Surtout, et c’est l’objet de la question qui a été posée à CheckNews, on lit plus loin la phrase ayant été reprise par la Provence puis Forbes : «La population ayant acquis sur ordonnance de l’hydroxychloroquine – sans traitement antérieur pour notamment le lupus érythémateux aigu disséminé ou la polyarthrite rhumatoïde – était socialement nettement plus favorisée et plus jeune que la population des personnes hospitalisées pour Covid-19.»

C’est également ce qu’indique le tableau ci-dessous : parmi les utilisateurs incidents de chloroquine et d’hydroxychloroquine (qui n’en avaient pas consommé lors des deux années précédentes), 30 % ont un indice de désavantage social de 1, soit «le plus favorisé».

L’indice de désavantage social est construit à partir de données de l’Institut des statistiques et des études économiques (Insee) : taux de chômage, taux d’ouvriers, taux de bacheliers, revenu médian par unité de consommation… L’IDS est calculé à l’échelle des communes. Les patients sont comptabilisés en fonction de leur commune de résidence.

Autrement dit : 30 % des nouveaux utilisateurs, pendant les premières semaines de l’année, de chloroquine et d’hydroxychloroquine, résident dans les 20 % des communes les plus aisées. Alors qu’ils ne sont que 15 % à habiter dans les 20 % des communes les plus défavorisées.

«Les classes supérieures ont souvent un comportement plus préventif»
Ce constat, qui peut faire écho à une idée reçue selon laquelle surtout des privilégiés auraient eu accès à l’hydrochychloroquine, est à relativiser. D’abord, «il est relativement habituel, voire fréquent, que les couches les plus aisées de la population soient davantage les premiers utilisateurs d’un produit nouveau innovant, ou fassent une utilisation nouvelle d’un produit», nous écrit la Cnam.

Par ailleurs, et surtout, cette étude pharmaco-épidémiologique ne porte que sur les remboursements après délivrance dans les pharmacies de ville. Autrement dit : un patient qui a été traité à l’hydroxychloroquine dans un hôpital uniquement n’apparaîtra pas dans cette étude.

Cette méthodologie induit un biais conséquent, selon le sociologue de la santé Etienne Nouguez, qui expose les différents comportements sociaux face à la prescription : «Les volumes de consommation médicale sont à peu près les mêmes entre classes supérieures et classes populaires : elles vont à peu près autant voir les médecins, consomment à peu près les mêmes montants de médicaments. Ce qui change, c’est la qualité et surtout le moment. Les classes supérieures ont souvent un comportement plus préventif, c’est-à-dire qu’elles vont voir les médecins dès les premiers symptômes. Là où les classes populaires y vont souvent quand la maladie devient tellement envahissante qu’elles ne peuvent plus continuer à travailler.»

Il est donc vraisemblable, en suivant ce raisonnement, que les habitants des villes les plus aisées aient un eu un comportement d’achat d’hydroxychloroquine dans leur pharmacie dès les premiers symptômes (ou même avant), là où les habitants des communes plus défavorisées sont susceptibles d’avoir attendu avant de consulter (et donc d’avoir une prescription). Ce qui a pu les mener plus souvent à être hospitalisés.

D’autant, poursuit Etienne Nouguez, que «les classes supérieures ont souvent moins de comorbidités associées. Si vous regardez les résultats qui commencent à tomber pour le Covid, le très gros déterminant en termes de gravité et de mortalité, c’est l’âge. Et juste après vous avez l’obésité. Or, l’obésité suit parfaitement le gradient social : plus on s’élève dans la hiérarchie sociale, plus l’indice de masse corporelle diminue. Donc les classes populaires ont une prévalence de l’obésité très largement supérieure aux classes supérieures». Un facteur supplémentaire qui a pu mener les classes populaires à l’hôpital plutôt qu’à des consultations en ville (et des achats en pharmacie).

Et le sociologue d’aller plus loin : «Les chiffres qu’on a la de consommation plus élevée d’hydroxychloroquine en ville par les cadres est un artefact. […] Si on intègre les prescriptions hospitalières, je suis prêt à prendre le pari qu’on arriverait à des chiffres similaires, voire plus élevés pour les classes populaires.»

Effets géographiques

Au-delà du critère social, des facteurs géographiques ont pu jouer. Ainsi, la carte du taux d’incidence de délivrance d’hydroxychloroquine révèle que les nouveaux patients achetant ce médicament sont plus présents dans les régions touchées par l’épidémie : l’Ile-de-France et l’Est.

Mais c’est en Paca qu’il y a proportionnellement le plus de patients incidents. «Il y a probablement eu une croyance plus élevée dans l’efficacité présumée de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine dans le Covid-19 en région Paca, région du Pr Didier Raoult, promoteur de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine», commente la Cnam.

Toujours en Paca, le professeur Zahir Amoura pointe la possible responsabilité d’une autre figure médiatique qui a fait la promotion de l’hydroxychloroquine : le maire de Nice Christian Estrosi. «On peut imaginer qu’il a favorisé la prise de plaquénil dans la région», glisse le médecin, évoquant un «effet confondant» susceptible de brouiller les critères sociaux : «Si les gens prennent plus ce médicament car ils font comme Christian Estrosi, ça n’aura pas vraiment de rapport avec le fait que ce sont des gens aisés.»

Le responsable du centre national de référence du lupus mise sur un autre effet géographique en Guadeloupe et en Martinique, où il y a proportionnellement plus d’utilisateurs «nouveaux» de l’hydroxychloroquine : «Aux Antilles, il y a une prévalence du lupus qui est trois fois celle qu’on a en France hexagonale. Donc c’est tout à fait possible que les gens aient une plus grande habitude de voir l’hydroxychloroquine être utilisée dans leur entourage.» Et donc soient plus enclins à en acheter.

L’absence des prescripteurs

Autre point soulevé par Etienne Nouguez : le fait que, parmi les départements où le taux d’incidence de l’hydroxychloroquine est le plus fort, se trouvent notamment des territoires où il y a un hôpital. C’est l’inverse de ce qu’il avait constaté au terme de son analyse des médicaments génériques : «On trouve les génériques surtout dans les territoires ruraux et périurbains, là où les inégalités de revenus sont les plus faibles entre les patients, où la densité et la différenciation des médecins est la plus faible. Et la carte des innovations [et en l’occurrence de l’hydroxychloroquine, ndlr] montre le phénomène inverse : les innovations circulent en partant de l’hôpital, vers les spécialistes de ville, en touchant les généralistes de ville.»

Enfin, le sociologue regrette que l’étude de la Cnam et l’ANSM ne donne aucune information sur les prescripteurs, un élément sans lequel il n’est pas possible d’analyser correctement le phénomène de prescription : «On ne sait pas si c’est quelques prescripteurs qui ont prescrit rapidement, ou beaucoup de prescripteurs qui ont prescrit un peu, on ne sait pas si ce sont des médecins hospitaliers ou des médecins de ville…» Bref : il en faudra plus pour dresser une sociologie de l’hydroxychloroquine.


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