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CHEICK MODIBO DIARRA, PRESIDENT MICROSOFT AFRIQUE Ma passion pour l’Afrique…

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CHEICK MODIBO DIARRA, PRESIDENT MICROSOFT AFRIQUE Ma passion pour l’Afrique…
Entretien réalisé par Mandiaye THIOBANE

Après plusieurs missions en tant que chargé de programmes à la NASA, le Malien Cheick Modibo Diarra s’était par la suite reconverti en cultivateur après son retour au bercail. En qualité de président Microsoft Afrique, il s’est à présent fixé un nouveau défi : réduire la fracture numérique du continent. En Africain passionné.

Monsieur le Président, après le programme Mars, quelles ont été vos nouvelles orientations ?

Vous savez, la NASA est une organisation qui fonctionne comme une famille. Même les collègues qui sont à la retraite depuis 10 ans sont souvent contactés par la structure en cas de besoin en raison de leur expertise. En ce qui me concerne, je suis rentré à la NASA avec beaucoup de chances en ce sens que je suis arrivé pendant une période exceptionnelle. Autrefois, pour faire une mission inter planétaire, il fallait sept à huit ans avec des milliards de dollars en développement. Moi quand je suis arrivé, je suis tombé sur une des dernières missions de ce genre, à savoir la mission Galilée qui allait vers Jupiter. Mais, c’était à une période où la NASA avait à sa tête un administrateur visionnaire qui disait qu’on ne pouvait continuer avec les mêmes procédés vu que la technologie avait évolué et que, par conséquent, il fallait que l’agence s’adapte. Ainsi, il a mis en place une nouvelle philosophie qui voudrait que l’on fasse les choses beaucoup plus vite, mieux et moins cher. Donc, c’était l’occasion pour nous de montrer que la créativité et l’innovation étaient des valeurs sûres qui pouvaient remplacer l’argent.

Alors, une des premières missions de cet administrateur, c’était Pathfinder. Parce qu’en 1976, nous avons atterri sur la planète mars avec « Viking » au coup de 3,6 milliards de dollars. Vingt ans après, nous avons atterri sur la même planète avec une machine dix fois plus sophistiquée qui est Pathfinder pour moins d’un vingtième le coût. Donc, on a prouvé qu’on pouvait faire de belles choses, moins chères et plus rapides. Le développement de Pathfinder, son lancement, sa navigation jusqu’à son arrivée, nous avaient pris trois ans et demi au lieu de sept à huit ans. Donc, je suis arrivé à cette période-là. Or, normalement, dans la carrière d’un navigateur inter planétaire à la NASA avec une mission tous les sept ou huit ans, on ne peut effectuer sur une période de trente à quarante ans que trois missions peut-être. Alors que moi, en quinze ans, et pour avoir eu la chance d’arriver au bon moment, j’ai fait cinq missions, les unes plus sophistiquées que les autres. Elles étaient toutes des missions du genre «first of kind», (jamais fait avant). Avec Pathfinder, c’était la première fois qu’on bougeait sur la surface d’une planète. Avec Magellan qui allait à Venus, c’était la première fois qu’on lançait une sonde inter planétaire à partir de la navette spatiale. D’habitude, on les lance à partir d’une fusée ordinaire. « Ulysse » fut aussi la première expérience qui nous a permis de lancer une sonde qui n’avait pas suffisamment de carburant pour échapper à l’attraction du système solaire. Avec elle, on a utilisé la force gravitationnelle de Jupiter pour faire ce qu’on appelle « gravity assist ».  Je peux vous dire que toutes les cinq missions étaient les unes plus révolutionnaires que les autres. D’ailleurs depuis que je suis parti, tous les atterrissages qui ont été réalisés sur la planète Mars ont utilisé le même système que Pathfinder, c’est-à-dire les ballons gonflables avec des rovers.

Apparemment vous refusez la routine ?

Après avoir fait tout cela et ayant constaté que l’exploration de Mars allait encore continuer, c’est vrai que la routine commencait à peser. C’est à ce moment que l’opportunité pour créer une Université virtuelle africaine (UVA) s’est présentée à moi, avec la Banque mondiale qui m’avait approché. J’ai saisi cette opportunité qui était pour moi l’occasion de retourner en Afrique, surtout à un moment où on discutait, dans toutes les instances, du thème de la fuite des cerveaux. Donc, j’ai fait quatorze mois à Nairobi à contribuer à l’installation de l’UVA. Même si je ne m’entendais pas tellement bien avec les porteurs de ce projet, j’avais réussi à mettre en place une équipe de choc qui, en quatorze mois, avait ouvert trente cinq campus dans dix-huit pays africains avec deux programmes diplomants. D’ailleurs, trois de mes directeurs sur les cinq étaient des Sénégalais. Il faut juste rappeler que l’UVA a été créée en 1997 et moi je l’ai prise en 2002. Je suis parti de là-bas et je me suis concentré, les deux dernières années, à l’agriculture dans mon pays, le Mali. J’avais pris cette initiative pour apprendre des choses sur ce qui fait que, malgré les terres et l’eau en abondance, on se soucie jusqu’à présent dans nos pays d’autosuffisance alimentaire et je dois vous avouer que c’est un problème qui m’inquiète beaucoup. Par exemple, le Mali est traversé par deux fleuves que sont le Niger et le Sénégal, avec des terres irrigables à perte de vue ; malgré tout, on continue à se préoccuper d’autosuffisance alimentaire. Alors, je suis allé moi-même cultiver la terre et au bout de deux ans, je pense avoir compris pourquoi les choses ne marchent pas comme on l’aurait souhaité.

 

Qu’est-ce que vous cultiviez pendant ces deux ans ?

Quand je suis arrivé, je crois que j’avais mis trois hectares de maïs, deux ha de mil, un ha de riz et neuf cent pieds d’orangers dans le sol. Une manière pour moi d’expérimenter la culture des agrumes qui se fait beaucoup chez moi et de voir ce qui l’empêche de progresser. J’avais utilisé deux variétés de maïs et une variété de mil pour le bétail qui, avec vingt cinq kg de semences achetées à Dakar à l’hectare, pouvait permettre de produire douze tonnes.

 

Et les récoltes, étaient-elles au rendez-vous ?

Justement, tout a foiré. Je n'ai récolté que du maïs qui, avec les épis et tout, pouvait tenir dans deux sacs de cent kg. Tout a échoué et par la même occasion, j’ai compris parfaitement pourquoi ça ne marche pas. Cette année-là, les choses ont échoué parce que simplement la saison des pluies s’est arrêtée trop tôt, juste au moment où tout avait poussé, où j’avais fini de sarcler le tout. C’est à un moment où tout était en bonne voie pour donner une production extraordinaire que la pluie s’est arrêtée. Le riz s’est asséché avant même d’arriver en maturité.

 

Pourquoi n’aviez-vous pas utilisé les techniques modernes d’agriculture comme l’irrigation, vu les moyens à votre disposition ?

C’était une option délibérée pour travailler dans les mêmes conditions que le cultivateur lambda et de comprendre pourquoi ils font face à des déficits de production. J’ai appris très rapidement que la gestion de l’eau est le problème numéro un. C’est-à-dire que nous dépendons trop de tout ce qui est naturel et aujourd’hui, avec les phénomènes comme « El niño », nous savons que presque de cycle en cycle, des endroits qui sont presque des déserts deviennent inondés et vice versa.

 

S’agit-il donc d’une loterie agricole comme le pense le Dg de la FAO, Jacques Diouf ?

C’est exactement cela et moi, j’irai même plus loin pour dire que nous jouons à la roulette russe parce que c’est une question de vie ou de mort, car il s’agit de notre nourriture. Alors, ça c’est la première leçon que j’ai apprise. Et, en parlant avec nos voisins, j’ai appris une deuxième leçon qui est qu’avec la façon dont nous travaillons en générale dans cette sous-région, dans le domaine de l’agriculture, tout le monde est producteur. Alors qu’en réalité dans les autres parties du monde, il y a un groupe de cultivateurs qui se spécialise dans la production des semences à haut rendement et de haute qualité et qui vendent maintenant aux producteurs à grande échelle. Donc, après avoir appris ces deux leçons, je m’apprêtais cette année, avec les paysans autour de moi, à trouver des solutions parce que j’ai creusé un forage dans mon champ qui me donne 15 mètres cubes d’eau à l’heure, presque dix fois plus d’eau que j’en ai besoin pour mes 25 ha. J’allais commencer à identifier des semences de qualité pour me préparer pour la saison des pluies.  Et je me suis dit qu’une fois que j’arriverai à faire de gros rendements, mon exploitation serait utilisée comme une ferme pilote où les paysans et autres étudiants en agronomie pourront travailler sur des aspects plus académiques.

 

Et finalement, arriva le contact avec M. Bill Gate …

C’est cela. Le contact avec M. Bill Gates est quelque chose de très paradoxal. Un jour, je suis revenu de mon champ fatigué et je commençais à dormir. Et à neuf heures du matin, pour une fois que je n’étais pas debout, mon téléphone sonne. Je le prends à regret et c’est quelqu’un qui est en Afrique du Sud et que je connais qui est au bout du fil. Le monsieur me dit : «écoute Cheick, y a des amis à moi qui ont une compagnie de chasseurs de « têtes » qui ont été approchés par Bill Gates qui a  besoin d’un président de Microsoft pour l’Afrique ». Toujours, selon ce monsieur au téléphone, ces gens font beaucoup pour l’Afrique surtout pour réduire la fracture numérique. Et la question est venue toute seule : « est-ce que tu peux les aider à trouver quelqu’un ?». Parce que, dit-il, ce sont des gens qui se disent que c’est un boulot qui n’intéresserait pas Cheick Diarra vu son background. Je lui ai alors demandé de m’envoyer ce dont ils avaient besoin comme profil. Après avoir regardé tous les éléments de ce profil, je leur envoie des noms qui répondaient pratiquement à tous les critères, sauf un ou deux. Parce que quand on représente une société comme Microsoft, il y a forcément une question de crédibilité qui se pose. Or, tout le monde connait mon engagement pour l’Afrique et c’est de cette crédibilité qu’ils avaient besoin. Ils en sont arrivés à me dire : « Cheick, c’est de toi qu’on a besoin pour expliquer aux gens ce que nous voulons faire qui n’a rien de commercial et dont le plan a été déjà ficelé et son application suit son cours ». C’était tentant.

 

Mais peut-on avoir une idée de ce plan que vous voulez mettre en œuvre pour l’Afrique ?

Justement, ce plan est en train d’être écrit. Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai demandé à tous les gens de Microsoft qui se trouvent sur le terrain, dans tous les pays africains, parce que moi je fonctionne « botom up not top- down », d’aller voir les hommes d’affaires, les gouvernants, les professeurs et étudiants dans les écoles et universités, la société civile, les organisations de femmes et de jeunes, pour leur poser la question suivante : « quels sont aujourd’hui les trois problèmes fondamentaux qui vous empêchent d’atteindre votre plein potentiel ? ». Et, surtout, qu’ils ne leur demandent pas les problèmes que la technologie peut résoudre. Qu’ils leur demandent juste le ou les problèmes. Parce que nous qui sommes des ingénieurs, nous savons des fois comment trouver une solution avec la technologie, alors que quelqu’un qui n’est pas familier avec ces outils va mettre à côté un de ses problèmes prioritaires en pensant que la technologie ne peut rien faire.

Donc, ces gens avaient un délai de deux mois pour venir me voir en ce début mai avec toutes les réponses. Nous allons procéder à une sorte de brainstorming dans mon bureau. Moi, j’ai des critères bien précis et qui sont simples. Comme il me faut un plan pour l’Afrique, il faut donc que les problèmes soient panafricains en nature, c’est-à-dire des problèmes communs à tous les pays, même si au départ je ne commence pas avec tous les pays. Pas parce que je n’ai pas les moyens, mais parce que je veux apprendre déjà la leçon. Je dis donc que l’on va trouver le fil conducteur, c’est-à-dire le problème commun à tous les pays et qui est vraiment primordial. Deuxièmement, on va essayer d’identifier un petit groupe de pays où les responsables sont prêts à travailler avec nous car, en tant que manager de projet, j’ai appris à la NASA que si votre premier projet ne marche pas d’un coup, ça démoralise toute l’équipe et vous perdez toute crédibilité. Donc il faut qu’on trouve un problème qui soit panafricain en nature, que l’on sache que nous avons les outils pour le résoudre et, troisièmement, il faut qu’on trouve initialement des pays pilotes avec des décideurs qui sont prêts à honnêtement travailler sur ces problèmes pour qu’on puisse avoir tout de suite des résultats. A la suite de ce brainstorming, je vais rédiger le plan avec toutes les étapes, les pays pilotes et le « Global leader forum » organisé tous les ans par Microsoft et que je reçois cette année à Cape Town en Afrique du Sud, au mois de juillet,   sera une occasion pour présenter à Bill Gates et à tous les leaders, mon plan pour l’Afrique. Comme notre année fiscale commence en juillet, on commencera le travail juste après la réunion.

 

Mais, si on vous comprend bien, ce boulot vous l’avez accepté après le premier coup de téléphone avec les chasseurs de « têtes » engagés par Bill Gate…

Non, avant d’accepter le boulot, je suis allé moi-même jusqu’à Redmond et je me suis assis pendant une heure vingt minutes avec Bill Gates.

 

Est-ce que vous connaissiez M. Bill Gates à l’avance ?

Je l’avais rencontré une ou deux fois au Forum de Davos. A l’époque, comme j’avais une tête qui fonctionnait très rapidement, chaque année on m’invitait pour faire des communications et dans ce contexte, on se croisait dans les couloirs et j’assistais à ses présentations. Au-delà de cela, on ne se connaissait pas.

Donc, je l’ai trouvé dans les quartiers généraux de Microsoft, à Redmond, dans la ville de Seattle, et dans l’Etat de Washington. C’est un petit village. Dans ses bureaux, et chose très rare, on s’est assis pendant une heure vingt minutes et je dois vous dire que, par moments, j’étais presque gêné de voir que sa passion pour l’Afrique était supérieure ou égale à la mienne. Suffisant pour me convaincre de prendre ce boulot, d’autant plus que je me dis qu’il va y avoir deux avantages avec moi : d’abord, il n’y a aucun doute sur ma passion pour le continent. Ensuite, à ce niveau de ma carrière où je n’ai plus rien à prouver, je n’ai aucun problème à aller poser des questions aux gens au lieu d’essayer de réinventer la roue et deuxièmement, les gens avec lesquels je vais travailler, à cause de ma réputation, seront beaucoup plus motivés pour réaliser des choses.

 

Vous êtes arrivé à un moment où Microsoft lance ses opérations de localisation de son logiciel Office et particulièrement en wolof, qu’est-ce que cela représente pour l’Africain que vous êtes ?

Pour moi, cela représente un aspect du problème de l’accès. Aujourd’hui, on n’a plus besoin en Afrique que les gens viennent essayer de nous convaincre de ce que les technologies sont capables de faire pour nous. Nous sommes tous d’accords là-dessus. Là où se situe le problème, c’est comment nous pouvons y accéder, sachant que nous avons des ressources limitées. Et, quand vous regardez de près le problème de l’accès, il comporte plusieurs facettes. Il y a d’abord la question de l’abordabilité en termes de prix et je suis en train de travailler sur cela. Je viens du Nigeria après l’Afrique Sud et la Namibie, pour lancer un produit qui s’appelle le Windows Xp, c’est-à-dire notre logiciel d’exploitation qu’on a modifié intelligemment de façon à pousser l’ordinateur à être aussi performant avec le Céleron. Ce qui fait que cet ordinateur, même neuf, pourra coûter 150 000 Cfa. Mais, moi je ne veux pas qu’on s’arrête là. Je me dis que 150 000 Cfa, c’est toujours beaucoup d’argent. Je veux qu’on essaie de voir si nous pouvons trouver un moyen pour avoir des entrepreneurs à qui on donne des garanties pour que les gens viennent acheter les ordinateurs auprès des distributeurs et payer 5000 à 7000 F Cfa par mois sur un ou deux ans, c’est le genre micro crédit. Ça, c’est un élément de l’accès. Mais si vous regardez l’Afrique dans lequel nous vivons aujourd’hui, il y a à peu près 10 à 15 % des populations qui savent lire et écrire. La grosse majorité qui pourtant travaille dans l’agriculture, le commerce, a besoin d’être aidée pour atteindre son plein potentiel avec cette technologie, même s’ils ne savent pas lire. Dans un premier temps, il s’agit d’aider ceux qui savent lire les lettres de l’alphabet, en leur offrant une interface dans une langue nationale. L’autre étape qui va venir, consistera à toucher ceux qui ne maîtrisent même pas cet alphabet et ça aujourd’hui, la technologie nous en donne les moyens avec les multimédia avec le son et l’image. Si on en arrive à un stade où l’interface parle aux gens dans leurs langues, nous aurons atteint une partie de nos objectifs. Moi, je veux aller au-delà de la société de l’information en créant une société cohésive de l’information où tout le monde a accès à l’information, quels que soient leurs revenus, leur niveau d’éducation, leur âge, leur genre et leurs origines géographiques.



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