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Regard extérieur : Au nom de l’avenir de l’homme, célébrons Senghor !

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Regard extérieur : Au nom de l’avenir de l’homme, célébrons Senghor !

Oui, ses obsèques furent grandioses ; on le sait. Elles étaient à la mesure du grand homme. Le chef de l’Etat du Sénégal l’avait délibérément décidé ainsi ; comme ainsi le peuple sénégalais, ce peuple généreux et intelligent, l’avait librement voulu ; l’émouvant hommage, qu’il a rendu à ce génie des temps modernes, constitue, sans conteste, le meilleur et le merveilleux couronnement de l’œuvre du président-poète. Ce vibrant hommage appartient déjà à l’Histoire (avec un grand H) et à une des plus belles pages de l’histoire de notre «vieux et cher pays».

Ce ne sera certainement pas avec sobriété que le centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor sera célébré au Sénégal, sur le continent, dans le monde. L’année 2006 est solennellement proclamée «Année Senghor» par le chef de l’Etat du Sénégal. Les organisations internationales, les institutions régionales, sous-régionales et nationales à vocation culturelle, voire économique, les associations socioculturelles, professionnelles, ont entendu l’appel du Sénégal. La célébration du centenaire de Léopold Sédar Senghor est l’affaire des principaux secteurs de développement. L’«Année Senghor» devra s’enrichir ainsi de la contribution de tous : hommes et femmes de culture, artistes, hommes et femmes politiques, politologues, économistes, hommes et femmes des médias, juristes, architectes, enseignants, etc., etc., chacun œuvrant dans le domaine de ses compétences pour le grand bien de notre jeunesse.

Il s’agira certainement, au cours de cette année, de parler de l’homme et de son œuvre : de ses grandes options, de ses réalisations, de ses grands rêves, de ses ambitions pour l’homme, pour son avenir, bref, il s’agira assurément de parler de sa pensée puisque c’est bien là ce qui était cher au compatriote de Cheikh Ahmadou Bamba, d’El Hadj Malick Sy et d’El Hadj Omar Tall - gloire à vous, illustres fils du Sénégal ! Gloire à vous, dignes protecteurs de notre culture, immortels gardiens de nos mœurs ! Gloire à vous ! Gloire aux éminents érudits ! Paix à vous ! Paix à votre cher pays !

Je sais que dans nos cercles culturels actuels, dans nos organisations internationales, la mode est à l’adaptation au goût du jour de toutes valeurs, quelles qu’en soient la nature et la teneur, de toutes actions, quelles qu’en soient les dimensions dans le temps et l’espace, pourtant accomplies dans des circonstances précises. Il s’agit de «faire jeune» à tout prix, quitte à tordre le cou à l’histoire, comme si notre jeunesse était tarée, comme si elle était maudite, comme si, à quinze ans, aujourd’hui, on n’est pas déjà majeur ! C’est ignorer l’énorme capacité de perception, d’analyse et d’assimilation de cette jeunesse pour laquelle nous continuons à penser prétentieusement à sa propre place. C’est la mode. Suivre cette triste mode en traitant les grandes questions de nos sociétés relèverait, à mon humble avis, de la légèreté. Ce serait rendre un grand tort au génie de Léopold Sédar Senghor, génie dont la caractéristique essentielle réside dans son art de se rire de la mode, de la provoquer et de l’offenser, dans son art de faire fi de la commune pensée avec un entêtement déroutant et une témérité étonnante. C’est ça aussi le génie de Senghor que les exégètes de son œuvre ont négligé. Etalons, devant la jeunesse, comme nous l’étalons devant les adultes, la pensée de Léopold Sédar Senghor, avec sincérité, avec objectivité ; elle saura d’elle-même ce qu’elle en fera. Le jeune d’aujourd’hui est plus informé, plus intelligent que nous ne l’étions à son âge.

De la jeunesse à l’âge adulte, L. S. Senghor avait su courageusement naviguer à contre-courant de la commune pensée, des vérités établies, des attitudes appropriées aux aspirations du moment : oser prêcher le dialogue, la tolérance alors que les circonstances semblaient commander l’injure à la bouche ! A genoux devant le Seigneur, il priait pour que la France, parmi les nations blanches, cette France vilainement colonialiste, fût placée «à la droite du Père» ! On connaît donc les difficultés que rencontrait le poète sénégalais devant son public africain, alors fatigué des humiliations infligées par le régime colonial. Il osa également parler, avec un enthousiasme difficilement compréhensible à l’époque, des extraordinaires capacités d’expression des langues soudano-sahéliennes quand le public blanc et noir de sa conférence, pour des raisons différentes, attendait avidement du jeune agrégé de grammaire une belle et émouvante dissertation sur les attraits divins de la langue française. C’est ça aussi le génie, qui dompte le présent et sonde l’avenir ; c’était ça Senghor.

Le marxisme, on le sait, était pourchassé comme un chien enragé dans les colonies durant ces périodes incertaines de l’Après-guerre, mais périodes agressivement chargées de certitudes idéologiques. La cruauté du régime colonial, assisté plus tard dans son œuvre par les jeunes Etats, était telle qu’on est tenté de rendre, aujourd’hui, un hommage sincère et respectueux à nos marxistes de l’époque, surtout à des combattants comme Majhemouth Diop, dont «l’honnêteté intellectuelle et morale» est sans faille, selon L. S. Senghor, et dont le «mouvement, avouait-il, est authentiquement révolutionnaire», un mouvement qui se réfère «au socialisme scientifique». Loin d’être marxiste, même si le marxisme était l’idéologie politique qui l’avait le plus fasciné et peut-être troublé par sa rigueur scientifique dans bien de ses approches, L. S. Senghor, oubliant de protéger sa carrière universitaire et politique, se mettait à plaider, avec un entêtement rare, «pour que le gouvernement français, selon ses propres termes, acceptât les demandes d’Hô Chi Minh, qui était prêt à entrer dans l’Union française, mais sans changer son idéologie politique », d’autant plus que le marxisme du combattant vietnamien était, aux yeux de L. S. Senghor, «un marxisme vietnamisé» ! Au nom de quoi le jeune Sénégalais défendait une cause si lointaine, une cause si indéfendable et si compromettante ? C’était au nom des richesses que seul le dialogue peut faire accoucher. C’est ça le génie, qui plane virilement au-dessus des contingences ; c’était ça Senghor.

Etait-il pour une «Algérie indépendante» ou pour une «Algérie française» ? C’était une grave et grande question de l’époque. En tous cas, c’était les deux seuls camps entre lesquels il fallait choisir. Le militantisme politique et le bon sens de l’époque l’exigeaient. Pourtant, il y avait bien un troisième choix, certainement le plus sage, le plus chargé de valeurs modernes parce que démocratique : le dialogue. Sachant que, dans cette situation précise, le choix le plus crédible, capable de garantir une paix durable, ne peut être que celui des protagonistes eux-mêmes, L. S. Senghor ne cessa de les exhorter à se retrouver autour d’une table de dialogue. Les forces en présence ne juraient que par la poudre des canons. Et lui, pauvre enfant de Joal, ne cessait de s’écrier entre Français et Algériens : dialogue ! dialogue ! dialogue ! C’est ça le génie, qui transcende courageusement les passions, fort de sa lucidité tranquille et salutaire ; c’était ça Senghor.

Le voilà à la tribune des Nations Unies. Il s’en prit à l’Occident avec une virulence que seule la beauté de l’expression parvenait à atténuer ; à chaque détour de la pensée, il se faisait applaudir par le Tiers-monde. L’Occident a rougi. Mais voilà que toute la deuxième partie de son long réquisitoire était consacrée à ce Tiers-monde qu’il confondit sans pitié dans ses faiblesses coupables, dans ses contradictions et responsabilités non assumées. Ni adulé par les riches, les «Grands blancs», ni adulé par les pauvres, «les damnés de la terre» ! Solitude provoquée ! Enfant du tonnerre ! Quel courage ! Quelle abnégation ! C’est ça le génie ; c’était ça Senghor.

En célébrant Léopold Sédar Senghor, célébrons réellement l’homme de culture, avec ses visions surprenantes sur le devenir de nos sociétés, des visions devenues véridiques aux yeux de tous, même si elles sont décrites dans des détails dont certains ne rencontrent pas toujours notre adhésion.

Célébrons avec ardeur le poète pour rafraîchir les mémoires et pour rappeler à notre jeunesse, à celle d’Afrique et à celle du reste du monde, que l’homme n’est pas un digestif ambulant, que le matérialisme aveugle conduit l’homme, conduit un peuple à l’appauvrissement, à la misère spirituelle et intellectuelle et donne irrémédiablement naissance à des monstres. Une société peuplée d’êtres sans cœur, sans lois, sans états d’âme, ne sera certainement pas bonne à vivre. Les agneaux seront dévorés. Et les monstres s’entretueront. Chacun s’enivrera alors de cruauté en rugissant cyniquement comme le poète maudit : «Cuisinier aux appétits funèbres / Je fais bouillir et je mange mon cœur».

Célébrons l’homme d’Etat avec ses réussites et ses échecs, l’homme dont le nom restera associé à jamais au mot «balkanisation», qu’il a rendu célèbre en le vilipendant au nom de l’unité de l’Afrique au Sud du Sahara. Méditer, tout au long de cette «Année Senghor», la théorie des «cercles concentriques», qui contribua à la mise en place des communautés économiques et culturelles sous-régionales et régionales, méditer, à travers des rencontres, leur évolution, leur avenir, c’est encore célébrer Senghor.

Examiner attentivement, au cours des forums et des conférences, tout au long de l’«Année Senghor», la coopération économique entre le monde africain et le monde arabe, notre voisin le plus proche, le dialogue entre la civilisation négro-africaine et la civilisation arabo-berbère, c’est franchement célébrer Senghor. Et de grands conférenciers arabes et africains sont là pour répondre à nos attentes. C’est l’ignorance qui fait naître et rend cruels les conflits les plus têtus.

Les Sénégalaises et les Sénégalais, enfants, jeunes, adultes, personnes du troisième âge, hommes et femmes de toutes conditions, de toutes ethnies, ont réussi, avec leur chef d’Etat, sous le regard attentif du monde, sous celui d’une Afrique qui ne célèbre plus que les vivants, à rendre grandioses les funérailles d’un des leurs parce qu’il fut grand, parce qu’il aimait son pays, parce que cet enfant, né dans un minuscule pays du Sahel - ce Sénégal si insignifiant par sa taille, par sa géographie ; si grand et si riche par son histoire - parce que cet enfant, dis-je, est un des génies du XXe siècle, un des génies des temps modernes, paré, comme tout génie, de sa grandeur et de ses faiblesses. Ces mêmes Sénégalaises et Sénégalais, qui savent oublier leurs querelles pour se retrouver, à chaque grande occasion, autour de l’essentiel, sauront assurément célébrer, avec éclat, le centenaire de la naissance de L. S. Senghor, dans des associations socioculturelles ou professionnelles, dans des clubs à vocation culturelle ou économique, dans les quartiers, dans les villages, dans les écoles...

Pourquoi célébrer ainsi le centenaire de la naissance du président-poète? Pour que notre jeunesse sache que l’intelligence, la grandeur, le génie ne sont l’apanage d’aucun peuple, d’aucune race, d’aucun milieu socioculturel. Et qu’ils ne peuvent être sans l’obstination dans l’effort, sans d’immenses sacrifices, sans un certain courage d’être, sans un certain goût du risque, sans l’amour du prochain. Et que l’intelligence, nourrie par la volonté, et la quête de la grandeur constituent les piliers intangibles et la force inaliénable des plus grandes nations sur notre fragile globe, à travers l’émouvante histoire de l’humanité.

 



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