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CHEIKH TIDIANE NDIAYE RÉALISATEUR : « Me Abdoulaye Wade est un laboratoire d’idées »

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CHEIKH TIDIANE NDIAYE RÉALISATEUR : « Me Abdoulaye Wade est un laboratoire d’idées »

Un panafricaniste convaincu, un patriote, un laboratoire d’idées... Ce sont des traits de caractère qui reviennent dans le portrait-documentaire « Me Wade, un homme un itinéraire ». Réalisé par Cheikh Tidiane Ndiaye, le film retrace la trajectoire politique du fondateur du Parti démocratique sénégalais qui, plus tard, sera le troisième président de la République du Sénégal. Le document est scindé en deux parties d’une durée d’1 heure 17 minutes chacune : « De Kébémer au manifeste de 1973 » et « La longue marche du Sopi ». Rencontre avec un professionnel convaincu de la nécessité, pour les télés du Sud, de produire « local ».

Pourquoi un documentaire sur le président Abdoulaye Wade ?

Pourquoi un documentaire sur Abdoulaye Wade ? En 2000, j’ai fait un documentaire intitulé « La démocratie à l’épreuve des urnes ». Il racontait l’histoire politique du Sénégal depuis son indépendance. Je me suis rendu compte, quand j’ai fini de faire ce film-là, de l’omniprésence de Wade sur la scène politique sénégalaise depuis 1974. En ce moment-là, je me suis dit : « moi, du stratège Wade, j’ai presque ou tout entendu. Wade, qui était-il avant d’arriver en politique ? Et c’est comme cela, tout bêtement, que je me suis dit : « je voudrais savoir ce que ce « monsieur » a fait avant de devenir un homme politique ». Et comme ça, j’ai entrepris des recherches qui m’ont pris deux années. Lorsque j’ai fini ce travail de recherche, j’ai commencé à écrire un scénario terminé au début de l’année 2003. Ce n’est qu’en 2004, vraiment, que j’ai rencontré le président de la République pour lui proposer l’idée de faire ce film. Il faut comprendre une chose : l’idée, pour moi, en faisant ce film, c’est d’abord parler de ceux qui nous dirigent parce que, très souvent, on le voit dans toutes les démocraties auxquelles on aime se comparer, il y a des portraits de chefs d’Etat, de leurs épouses et parfois même de leurs chiens. Donc, pourquoi pas des portraits de ceux qui nous dirigent ?

Quand vous regardez bien, jusqu’à preuve du contraire, il y a très peu de sujets de ce type qui sont faits sur nos chefs d’Etat par des nationaux. Pour avoir laissé le soin à un Sénégalais de faire un tel film, je remercie le président Wade. C’est très difficile d’accepter que quelqu’un vienne fouiner dans votre vie. Lui, au moins, il a eu la grandeur d’esprit de me laisser fouiner dans sa vie ! J’ai fait ce film en toute liberté. En termes d’approche, de réalisation, il n’a pas changé un iota du scénario que j’avais proposé. D’un point de vue professionnel, je trouve que c’est très intéressant. Je ne pense pas, qu’au Sénégal, il y ait eu ce genre de film jusqu’à présent. D’autre part, Me Wade ouvre une fenêtre dans le sens où nous serons un peu à même d’envisager de faire des portraits de nos chefs d’Etat. Je considère qu’il est absolument ridicule que la quasi-totalité des portraits des chefs d’Etat africains soient systématiquement faits par des Occidentaux. Et pourtant, nous pouvons exactement faire la même chose pour la simple et bonne raison que nous avons travaillé chez eux pendant longtemps dans les secteurs dans lesquels nous évoluons aujourd’hui.

Quel est l’intérêt du documentaire dans une approche journalistique ?

L’intérêt du documentaire a été, pour moi, d’abord la découverte de pans entiers de notre histoire, que ce soit la période ante indépendance - tout ce qui va depuis 1906 - jusqu’au début 1974, date à laquelle Me Wade a créé son propre parti (le Pds). L’intérêt le plus important, c’est de dire et permettre aux Sénégalais de mieux connaître ceux-là qui les dirigent. Peut-être, on ne l’a pas fait avec Abdou Diouf, avec Senghor, mais je pense que c’est quelque chose de très positif. Pour moi, c’est un challenge professionnel très important que de pouvoir dire que j’ai fait un portrait du président Wade. Mon objectif, à l’arrivée, c’est de montrer aux Sénégalais un Wade comme beaucoup de gens ne le connaissent pas.

Avez-vous rencontré des contraintes, des obstacles dans la collecte ?

Effectivement, j’ai rencontré des difficultés. Globalement, le temps de recherche, le temps de tournage et le temps de la post-production de la première partie m’ont pris, en tout et pour tout, cinq ans. J’ai fait deux ans de recherche, j’ai tourné pendant deux ans et demi à travers plusieurs pays pour rencontrer des témoins. J’ai eu beaucoup de problèmes parce que, par exemple, il y a des interviews dans le film que j’ai mis trois mois à caler. Le plus important, c’était de le faire et de montrer, en tant que Sénégalais, que nous sommes en mesure de faire un portrait sur ceux qui nous dirigent et un portrait qui n’aurait rien à envier à un portrait fait par des Occidentaux ; ce qui est, malheureusement, très souvent le cas dans beaucoup de pays africains. Pour cela, je dis chapeau au président Wade qui m’a laissé fouiner. Ce n’est pas évident pour personne, encore moins pour un chef d’Etat.

Et par rapport à votre démarche, qu’est-ce qui vous a le plus motivé ? Est-ce par souci politique ou professionnel ?

Non. Il n’y a aucun souci politique dans ma démarche. Elle est purement professionnelle. Comme je vous l’ai dit, c’est un challenge pour moi que de dire : « on va essayer de faire le portrait de la personne ». C’est cela qui m’a le plus motivé et qui a fait que, malgré les difficultés, les petits problèmes, je n’ai jamais douté, une seule fois, que j’irai jusqu’au bout. Pour moi, c’est quelque chose d’inédit ; c’est une première. Ce que j’espère, c’est que cela soit fait par d’autres dans le futur avec d’autres personnes, avec d’autres présidents dans la sous-région. Il faut que l’on prenne sur nous de parler de nous-mêmes. Et qu’on cesse de vouloir systématiquement laisser, à ceux-là qui ont un autre regard sur nous, le soin de regarder et nous dire comment on doit regarder, comment on doit percevoir ceux qui nous dirigent.

A combien s’élève le budget de ce film ?

Là, c’est une question très importante. Je vais essayer d’être précis par rapport à cela. Le budget n’atteint pas 165 millions de Fcfa. C’est un budget qui a été mobilisé d’une part par les coproducteurs -moi et la Rts- presque les deux tiers et le tiers grâce au soutien financier personnel du chef de l’Etat qui m’a permis d’aller en France, faire mon étalonnage et certains travaux de post-production qui étaient liés à la finalisation du film. Quand je dis moins de 165 millions de Fcfa, ce qu’il faut voir, c’est qu’avec cet argent, jusqu’ici, nous avons tourné non seulement la première partie du film mais aussi la deuxième partie qui dure 1 heure 17 minutes comme la première. Donc, avec cette somme, nous avons tourné les deux parties. Sur la deuxième partie, il ne nous reste que l’interview avec le président Wade. J’espère le réaliser aussi tôt que possible. 165 millions pour un travail qui a demandé deux ans de recherche et trois ans de travail en production, c’est-à-dire de tournage et de post-production, je considère que ce n’est pas cher payé du tout. A mon sens, si c’était une équipe occidentale qui faisait ce film, cela aurait coûté au minimum cinq fois plus cher. Je voudrais profiter de l’occasion pour dire qu’il y a énormément de bruits qui ont circulé sur le fait que j’avais reçu beaucoup d’argent du chef de l’Etat. Je tiens à dire une fois que le budget ne dépasse pas 165 millions et c’est un budget de production. Ce n’est pas de l’argent qui va dans mes poches ou bien dans mon compte bancaire. Cela nous a permis de voyager, de payer des équipes, d’acheter des images d’archives, de faire des recherches. C’est une somme que je considère comme très en deçà des normes internationales. Je mets quiconque au défi d’aller prouver qu’un film de ce type coûte aussi peu que ça.

Est-ce que le fait que le président Wade ait mis ses moyens n’a pas déteint sur l’objectivité de votre approche ?

Du tout ! Je le dis sans état d’âme, sans problème. Je suis un Sénégalais, j’ai un métier qui est celui de réalisateur, je propose une idée. Si cette idée est intéressante aux yeux d’un chef de l’Etat décidé à m’aider à la réaliser, pourquoi cracherais-je dessus ? Le président m’a aidé à réaliser une partie des travaux de post-production et l’étalonnage du film et je n’ai pas à m’en cacher par rapport aux Sénégalais et à tout le monde. Je ne cache rien, c’est de l’argent qui nous a permis, effectivement, d’effectuer la production dans les conditions que l’on sait. En tout cas, pour le produit que l’on a sorti, la première partie qui dure 1 heure 17, c’est un coût très en deçà de ce qui se fait sur l’international.

En termes de feed-back, avez-vous jaugé l’appréciation du grand public, des professionnels et des politiques ?

J’ai reçu des appels de la part d’amis, des pairs aussi, de la part de gens qui n’ont rien à voir avec le métier. Globalement, les appréciations que j’ai sont très positives. Ce qui m’intéresse le plus dans ce film, c’est un challenge professionnel : je suis parti voir le président avec des recherches, un scénario. Ce n’est pas une commande, le film n’a pas été commandité. Bien évidemment, un portrait de ce type - parce que le portrait est intimiste - ne peut se faire sans l’accord du personnage principal. Quand il a donné son accord, j’ai fait mon travail de la manière la plus professionnelle qui soit. Il n’a pas essayé, une seule fois, de me dire : « faites ceci, faites cela ».

Tantôt, vous avez dit que le portrait est un genre intimiste. En parcourant le personnage de Wade, qu’est-ce qu’on découvre chez lui ?

Ce que l’on découvre de lui, c’est que son panafricanisme n’est pas feint, ce n’est pas quelque chose qu’il a inventé récemment. Effectivement, étant jeune étudiant à Paris, il a été dans le mouvement étudiant, il a essayé de se battre pour l’indépendance, il a été membre de la Feanf (Fédération des étudiants d’Afrique noire francophone), membre du mouvement de libération nationale. Donc, je considère personnellement que son personnage n’est pas feint. Le fait que ce soit effectivement aussi un personnage qui n’a pas peur de la confrontation.

Que répondez-vous à ceux qui avancent que Me Wade n’aime pas être contredit ?

Peut-être. Encore que si vous regardez le film, il y a un témoignage dans le film d’un monsieur qui l’a connu dans une période assez longue, il s’appelle Saliou Kandji. Celui-ci explique comment le président Wade est solitaire dans ses démarches et dans ses projets. Mais, en même temps, ce même monsieur fait le constat selon lequel quand Wade a quelqu’un devant lui, il peut reculer. C’est sûr, devant lui, il faut avoir des arguments à défendre pour tenir parce ce que, effectivement, il n’est pas quelqu’un qui a peur de confrontation. Et puis, il y a son « mouridisme » aussi. Je suis très étonné d’apprendre que quand il rentre au Sénégal, en 1959, il se rend une semaine après à Touba avec son père et Saliou Kandji. Son premier acte aurait été de s’agenouiller pour faire allégeance à Serigne Fallou Mbacké qui était, à l’époque, Khalife général. Il y a d’autres aspects plus intéressants.

Des anecdotes par exemple...

Oui, beaucoup anecdotes ! Par exemple, il y a un avocat qui s’appelle Me Edmond Maire qui fût ancien Bâtonnier des avocats de Besançon. Ce monsieur a prêté serment le même jour qu’Abdoulaye Wade à Besançon. Comme c’étaient de jeunes avocats, ils n’avaient pas beaucoup d’argent, ils avaient une robe qu’ils partageaient. Quand il devait plaider, le monsieur allait chez Wade prendre la robe et vice-versa pour Wade. Il y a des choses aussi marrantes, par exemple, qu’il a écrites entre 1952 et 1959, parce qu’il a beaucoup collaboré avec la maison d’édition Présence africaine. J’ai retrouvé, dans le cadre de mes recherches, une critique de cinéma du président Wade dans laquelle il critique de manière assez acerbe un film de Christine Garnier qui s’appelait « Les héros sont fatigués ». J’ai découvert énormément de choses comme ça. Le fait, par exemple, qu’il soit allé deux fois vers l’Ups (l’Union Progressiste sénégalais, ndlr) sans jamais y rester. Il y a beaucoup d’aspects très intéressants dans le film, qui sont des pans qui n’ont pas été très souvent évoqués au Sénégal dans le cadre de tout ce qui a été dit sur Wade.

Que peut-on retenir du personnage Wade ?

Si je devais retenir quelque chose de lui, c’est sûr que ce serait une machine à idées. C’est un monsieur qui a énormément d’idées, qui est toujours en train de chercher de nouvelles idées, de nouvelles pistes. Après, il faut voir comment tout cela est mis en œuvre. Y a-t-il des gens tout autour de lui qui captent toutes ses idées et qui suivent, de sorte que cela devienne une réalité ? Pour moi, c’est un laboratoire d’idées. Et puis, je pense, fondamentalement aussi, qu’il est généreux parce que, je vous dis, ce qu’il m’a laissé faire, il n’y a pas beaucoup de gens qui l’accepteraient. Même moi, je me demande bien si j’accepterai la démarche de quelqu’un qui viendrait me dire : « je veux scruter votre vie, aller voir tous les petits détails ». Et lui, dans la position de chef de l’Etat, c’est très difficile d’accepter cela. Pour ceux qui regarderont le film, ils verront que tout ce qui se dit sur Wade aujourd’hui c’est déjà là, parce que je pars de sa naissance jusqu’en 1974, date à laquelle il crée le Pds. Donc, ce qui est évident, c’est que c’est une période où il se forge, où il apprend beaucoup de choses. Je ne suis pas encarté Pds, je ne suis pas un militant, mais je pense foncièrement que c’est un patriote, c’est quelqu’un qui aime son pays.



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