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Economie

Pr AHMADOU ALY MBAYE, DIRECTEUR DU CREA : « Pas de réduction de pauvreté sans croissance durable »

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Pr AHMADOU ALY MBAYE, DIRECTEUR DU CREA : « Pas de réduction de pauvreté sans croissance durable »

« Il est actuellement impossible de réduire la pauvreté, sans passer par une croissance durable », selon le Pr Ahmadou Aly Mbaye, directeur du Centre de recherches économiques appliquées (Crea), qui lance un appel pour la mise en œuvre de stratégies de réduction de la pauvreté et de croissance accélérée, en vue d’améliorer les indicateurs économiques et sociaux du Sénégal. À l’occasion de l’édition 2006 des Journées de l’économie sénégalaise, organisées conjointement par le Crea, le Cepod, l’Apix et l’Usaid, il nous a livré ses arguments.

Qu’est-ce qui justifie, selon vous, l’organisation des Journées de l’économie sénégalaise sur le thème de la compétitivité et de la croissance économique ?

Parce que, comme on l’a compris maintenant partout dans le monde, la mise en œuvre et la conception des politiques sont devenues tellement complexes que l’on ne peut plus simplement les fonder sur l’intuition. C’est pour cela, qu’à travers le monde, vous voyez une très forte interaction entre les décideurs et les chercheurs, pour que la prise de décision, notamment en matière de politiques économiques, soit le plus possible éclairée. Et, c’est dans ce contexte-là que l’on organise annuellement les Journées de l’économie sénégalaise sur des thèmes qui intéressent aussi bien les décideurs que les chercheurs. L’année dernière, on s’est intéressé à la relation entre la croissance et la pauvreté au Sénégal. Cette année, on s’est intéressé aux initiatives, qui sont en cours actuellement au Sénégal, pour accélérer la croissance économique et l’intégration de l’économie nationale dans la mondialisation. Donc les thèmes de cette année, c’est la compétitivité et la croissance économique, en rapport avec les initiatives en cours, en particulier la Stratégie de la croissance accélérée (Sca) et le Cadre intégré.

Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre l’accent sur la stratégie de croissance accélérée ?

Cette stratégie représente un pan extrêmement important dans la politique économique de l’Etat. Nous sommes dans la deuxième phase du Document de stratégie de réduction de la pauvreté (Dsrp) et le volet création de richesse est un volet extrêmement important et cela est compréhensible, parce qu’on ne peut pas réduire la pauvreté sans avoir une croissance durable. Au Sénégal, on a eu des taux de croissance qui tournent en moyenne autour de 5 % depuis la dévaluation. Et si vous avez suivi l’allocution du ministre d’Etat, ministre de l’Economie et des Finances (le 8 décembre au démarrage des journées), il ne fait aucun doute que le régime de la croissance risque de beaucoup baisser, cette année en 2006, du fait de beaucoup de chocs exogènes, en particulier l’augmentation de la facture pétrolière. Alors, même si on met entre parenthèses les performances concernant la croissance économique pour l’année 2006, les taux de croissance de 5 %, que l’on a réalisé depuis la dévaluation, sont loin d’être suffisants pour éradiquer la pauvreté dans un horizon proche. Pour espérer pouvoir réduire la pauvreté sensiblement, comme on l’espère d’ici à l’horizon 2015, il faudrait qu’on ait des taux de croissance à deux chiffres et que cette croissance-là soit soutenue dans le temps. Donc vous voyez toute l’importance que revêt la création des richesses ou la croissance économique pour les objectifs de réduction de la pauvreté, en particulier les objectifs de développement économique de façon plus générale.

Ayant longtemps travaillé sur le thème de la croissance, vous vous retrouvez aujourd’hui, à la tête du Centre de recherches économiques appliquées (Crea). Que devra concrètement faire le Sénégal pour qu’il atteigne le taux de croissance à deux chiffres ?

J’étais chercheur du Centre de recherches économiques appliquées (Crea). C’est un institut de la Faculté des sciences économiques et de gestion (Faseg) et donc, en tant que simple chercheur dudit centre, j’ai pu suivre l’évolution des conclusions de la recherche au niveau de cette institution sur ce thème de la croissance économique. Si vous vous rappelez, dans les années 70, on avait pensé que les pays en développement n’avaient aucune chance d’accélérer leur processus de développement, parce que, pensait-on à l’époque, le système international était totalement fermé, il y avait une division internationale du travail qui empêchait les pays en développement de pouvoir accéder un jour au développement économique. Maintenant, on se rend compte qu’on s’était totalement trompé. Il y a beaucoup de pays qui, dans les années passées, en étaient au même niveau de développement que nous, je pense à la Corée, à Taïwan, à la Thaïlande et à la Malaisie. Ce sont des pays, qui avaient des performances au moins égales aux nôtres, du moins inférieures et qui, maintenant, sont considérés comme des pays émergents, qui réalisent des performances les plaçant très loin dans le processus de développement.

Maintenant, on est en train de voir, avec beaucoup plus de recul, qu’il est possible, pour un pays en développement et dans le système international actuel, d’accéder à l’émergence. Et je crois que le Sénégal a toutes ses chances dans ces batailles-là.

Selon vous, la mise en œuvre du Dsrp serait-elle, dans ce cas, une panacée pour assurer la croissance accélérée ?

La croissance accélérée est un pilier du Dsrp. On se rend compte qu’il n’est pas possible de faire reculer la pauvreté significativement sans faire croître l’économie de façon soutenue. Maintenant, est-ce que le Dsrp est la seule voie qui nous permette d’accélérer le processus du développement du Sénégal. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’objectif de réduction de la pauvreté n’est pas incompatible avec l’objectif de développer le pays. Je crois que le développement d’un pays, c’est améliorer les indicateurs économiques et sociaux. Cela veut dire que cet objectif se retrouve tout à fait dans le cadre du Dsrp II. Lorsqu’on parle des indicateurs économiques, on pense d’abord à la croissance économique, on pense ensuite à la stabilité du cadre macroéconomique. Et tout cela, on le retrouve dans les programmes en cours. Maintenant, il faut comprendre que le thème de la pauvreté, c’est un peu un thème qui est de mode. On aurait donné un autre nom aux mêmes politiques peut-être dix ans vingt ans auparavant. Maintenant, les bailleurs de fonds ont pu mobiliser les gouvernements et la Société civile à travers le monde autour de ce thème de réduction de la pauvreté. Mais, ce qu’il faut comprendre et ce qu’il faut regarder, c’est le contenu des stratégies et il ne va pas à contre courant de l’objectif plus fondamental de l’agenda du développement économique, c’est-à-dire d’amélioration des indicateurs économiques et sociaux du pays.

Peut-on se fonder sur l’accélération de la croissance pour atteindre les objectifs de développement ?

Je crois que, maintenant et depuis assez longtemps quand même, cette discussion a été tranchée : la croissance, ce n’est pas une condition suffisante pour le développement économique, mais c’est une condition nécessaire. Vous ne pouvez pas voir un pays se développer sans avoir une croissance soutenue. Regardez ce qui s’est passé en Chine, en Corée… La Chine, il n’y a pas très longtemps, avait un revenu par tête, qui est inférieur à 100 dollars, maintenant le revenu par tête de la Chine tourne autour de 1.000 dollars. Pour des pays comme la Corée et Taïwan, c’est ce même bond significatif et cela se déteint sur le niveau de vie des populations. Parce que, lorsque le revenu augmente de façon continue et substantielle, personne ne peut empêcher qu’il y ait une sorte de redistribution des revenus. L’on va avoir de plus en plus de revendications pour l’augmentation des salaires ; des secteurs sociaux qui vont être en bouillonnement. Donc, lorsque la croissance et la richesse sont là, la répartition, en général, suit. Mais, le lien n’est pas automatique. Parfois, il y a des pays qui ont connu une croissance très forte, mais biaisée vers une certaine catégorie des revenus.

Pourquoi avez-vous décidé de convoquer le secteur privé, le secteur public et la Société civile pour débattre sur ce thème de la compétitivité et de la croissance économique ?

Nous au Crea, avons compris depuis 1972, date de sa création, que la recherche, dans le cadre de nos universités et notamment dans celui de notre Faculté, ne pouvait être qu’appliquée vers les politiques de développement. On fait de la recherche qui est articulée autour des problématiques de développement. Nous n’étions pas tellement nombreux à travers le monde et sur le continent à le faire mais de plus en plus des universités, des centres de recherches articulent leurs activités de recherche aux problématiques de développement.

En plus, il est extrêmement difficile, de nos jours, de vouloir concevoir une politique économique pertinente et qui ne s’appuie pas sur la recherche, parce que la réalité économique et la réalité sociale sur lesquelles on veut avoir une prise, sont très compliquées. Il faut mener très souvent des investigations très poussées pour éclairer la prise de décision et cela se fait ainsi partout à travers le monde. Même les gouvernements des pays développés comptent beaucoup sur la recherche pour éclairer leur prise de décision, a fortiori les gouvernements des pays en développement comme les nôtres. Au niveau des négociations multilatérales, au niveau de l’Omc ou dans les grands fora de discussion, très souvent des décideurs y vont accompagnés par leurs chercheurs, qui leur permettent de mieux cerner et comprendre la portée des décisions qu’ils vont prendre.

On parle souvent de la nécessité de l’intégration des économies des pays en développement à la Mondialisation. Ne faudrait-il pas, à votre avis, commencer par la mise en œuvre d’une intégration économique régionale ?

Les deux sont totalement compatibles et il est souhaitable qu’on mène parallèlement le combat sur ces deux fronts. Il faut faire l’intégration régionale et en même temps se battre pour intégrer nos économies dans la Globalisation. Parce qu’il ne faut pas se tromper, maintenant la production au niveau du pays, le commerce entre les pays sont structurés par des circuits de distribution qui transcendent les pays. Il y a des circuits, que l’on appelle les chaînes globales de demandes, qui structurent complètement les modèles de production et de commercialisation à travers le monde. Donc, on ne peut pas vouloir se faire une place dans l’économie actuelle sans intégrer ces chaînes qui sont globales. Il ne faut pas avoir peur de s’intégrer dans l’économie mondiale, car nous avons des arguments à faire valoir sur le plan international. Cette intégration dans l’économie requiert un certain nombre de pré-requis qu’on peut avoir beaucoup plus facilement au niveau de l’intégration régionale. L’Uemoa a un programme de qualité extrêmement difficile à mettre en œuvre pour un pays, parce que, pour les exportations vers les marchés des pays développés, notamment les exportations alimentaires, il faut avoir vraiment tout un programme de qualité au niveau de la production, au niveau du stockage, mais il faut aussi avoir des laboratoires accrédités au niveau des pays du Nord pour que les produits certifiés soient acceptés dans les marchés d’exportation. La plupart de nos pays, pris individuellement, ne peuvent pas régler ce problème. Mais au niveau de l’Uemoa, on est en train de régler cela. Si nous prenons le problème de l’Enseignement supérieur, nous avions beaucoup de problèmes à faire fonctionner seul des programmes de niveau doctoral. Maintenant, au niveau africain, on a réussi à le faire et pourtant, tous ces facteurs sont des inputs qui aident les pays à mieux intégrer l’économie mondiale. Il ne faut pas penser que ces deux objectifs soient contradictoires ou conflictuels. Ils doivent être poursuivis simultanément, à mon avis.

Quelles sont, selon vous, les pistes à explorer pour atteindre un taux de croissance supérieur à la moyenne au Sénégal ?

Je pense que, pour régler les problèmes de la croissance, il faut régler ce qu’on appelle les problèmes de la gouvernance économique. Sur ce plan, l’Afrique a beaucoup à apprendre de l’Asie. Les gens racontent beaucoup de choses concernant le modèle asiatique. Sur le plan de l’ouverture politique, ils ne sont pas plus avancés que nous. À bien des égards, l’on est largement plus avancé qu’eux. Très souvent, les régimes n’y sont pas démocratiques, des régimes pas transparents assez souvent et la corruption dans ces pays est aussi présente qu’en Afrique, mais le seul problème qu’ils ont vraiment réussi à faire, c’est de créer un environnement où il est très facile de faire des affaires. Pour avoir un environnement où il est facile de faire des affaires, il faut des infrastructures de services qui marchent. Il faut que l’on règle les problèmes de transport, d’électricité, d’eau, de téléphone et de qualification de main-d’œuvre. De même que les problèmes administratifs concernant le démarrage des affaires et institutionnels liés à l’exécution des contrats. Ces règles élémentaires de gouvernance économique créées, tout le reste va de soi, parce que le système est globalisé et organisé de telle manière que les capitaux bougent et vont à la recherche d’une rentabilité accrue. Si ce ne sont pas les capitaux domestiques, c’est-à-dire l’investissement intérieur, ça va être les capitaux internationaux. Les Africains doivent se battre à faire des efforts en matière de gouvernance économique et c’est beaucoup plus important que la gouvernance simplement politique.



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