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LES TAXIS-SISTERS OU LA REUSSITE DES DAMES DANS UN MILIEU D'HOMME : Entre personnalité, ouverture et astuces de femme pour se faire une place

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LES TAXIS-SISTERS OU LA REUSSITE DES DAMES DANS UN MILIEU D'HOMME : Entre personnalité, ouverture et astuces de femme pour se faire une place

L'arrivée des «Taxis-sisters» a complètement changé le visage du secteur des transports urbains sous le monopole des hommes jusqu'en 2007. Ces amazones ont fini aujourd'hui par s'imposer. Et malgré leurs nombreuses contraintes liées à leur appartenance à la gent féminine, elles parviennent à tirer leur épingle du jeu tout en alliant leur travail de chauffeur et leur devoir de femmes au foyer.



Depuis trois ans, le paysage du transport dakarois a pris de nouveaux couleurs avec l'apparition des «Taxis-sisters». Ces dames se sont mises au volant de taxis typiquement féminins, à la faveur d'un projet lancé sous le magistère d’Aïda Mbodj. Alors ministre de la Femme, elle a eu l’ambition de doter les femmes de taxis, payables sur une période de 5 ans.
Quelques années plus tard, le projet roule, les femmes au volant. En face de l'hôtel Téranga, le fief qu'elles se sont arrogé en plein centre-ville de Dakar, quelques-unes d'entre ces «sisters» taxiwomen stationnent quotidiennement leur véhicule, attendant des clients. Quand nous sommes passés les visiter, avant-hier, elles nous ont chaleureusement accueillis. A l’abri dans un des taxis, sous une pluie battante qui avait donné à Dakar sa grisaille des mauvais jours.
Taille moyenne, teint clair, Marième Tall, présidente de Groupement d'intérêt économique (Gie) «Taxi-Sister» souligne qu’il n’est pas donné à la première venue d’être «Taxi-sister». Les critères étaient draconiens pour prétendre être au volant d’un de ces véhicules de transport. «Pour être bénéficiaire, il fallait avoir un permis de conduire transport en commun, bien connaître la ville, avoir de l'expérience dans le milieu du transport», confie-t-elle. Des conditions très sélectives puisque sur les 100 postulantes à l'époque, seule une dizaine a été finalement reçue. Elles ont du subir ensuite une formation pratique de trois mois. Une formation qui leur a permis d’acquérir une carapace. En effet, malgré la fixation des horaires d'activité en fonction du statut matrimonial, elles travaillent du matin au soir. Les femmes mariées laissant à leurs collègues célibataires la tranche horaire nocturne. Ces dames sillonnent toutes les rues de Dakar et ne se reposent que le week-end, déclare pompeusement Madjiguène Samb, «taxi-sister» qui se distingue à son teint noir et surtout à sa coiffure rasta.

«Nous maîtrisons des techniques d'arts martiaux pour nous défendre»
Elles ont choisi ce métier et l’assument jusqu’au bout avec les risques qui ne manquent pas. Mais, un client averti en vaut deux : les «taxis-sisters» ne sont pas des chauffeurs comme les autres. Elles ont appris des techniques d'arts martiaux pour avoir des notions de self-défense. Car conscientes des dangers auxquels leur métier les expose : la violence, la drague, elles connaissent. Mais Madjiguène dit qu'elles ont le comportement professionnel pour faire face à ces attitudes. Elles reconnaissent aussi que cela n'a pas été facile de faire accepter à leurs familles l'idée d'exercer ce métier à hauts risques. Les préjugés sont encore tenaces au Sénégal. «Au niveau de ma famille, c'est mon père qui était réticent. Il était surtout inquiet pour ma sécurité. Après, il a fini par comprendre. Mais il ne s'est jamais soucié du reste, parce qu'il m'a bien éduquée», soutient Madjiguène Samb, faisant allusion aux risques de dégradation des moeurs auxquels elles pourraient s'exposer.
Interpellées sur les raisons pour lesquelles depuis 3 ans qu'elles sont-là, personne ne les a jamais entendues exposer des griefs contre leurs fournisseurs, comme cela a été le cas dernièrement avec les taxis «Iraniens», Marième Tall livre leurs «secrets». «Tout n'est pas rose dans ce secteur. Des difficultés, on en a souvent. Mais, notre principal atout, c'est le dialogue qui est toujours privilégié et on arrive à trouver des solutions». Ce qu’Amy Ndiaye conforte en ces termes : «Nous savons comment faire pour nous entendre avec les gens. En tant que femmes compétentes, nous avons les astuces qu'il faut».
Des astuces de femmes qui leur permettent de s’en sortir. Elles ne maraudent pas à la recherche de clients. Les zones de stationnement de ces taxis pour l'attente des clients sont fixes. Ce sont principalement les parkings des hôtels. Ce qui leur permet d'éviter de circuler à vide en ville avec l'essence qui coûte cher. Mais, cela leur procure des avantages. Puisqu'elles ont négocié avec les Directions des hôtels les prix pour les clients. Même si elle refuse d'avancer des montants, Madjiguène Samb estime que «ces prix sont tout de même rentables».

Les fausses perceptions qui handicapent ces taxiwomen





La réputation qu'elles traînent de pratiquer des tarifs plus chers que ceux des taxis classiques communément appelés «jaune-noir», des tarifs qui les placeraient hors de portée de la majorité des clients, ou encore de privilégier une clientèle étrangère et de n'évoluer que dans le centre-ville, ne correspond guère à la réalité. C'est du moins l'avis des «Taxi-Sisters». Dégageant en touche une telle perception de leur activité, elles la trouvent très handicapante. Parce que les privant d'un nombre assez important de clients potentiels. En l'occurrence, ceux à la petite bourse et ceux voulant aller hors du centre-ville ou parfois hors de Dakar.
«Peut-être que c'est au niveau de la communication que nous avons péché. Parce que la perception que les gens ont de nous n'est pas conforme à la réalité. Ils se trompent même largement», explique Amy Ndiaye. «Nos tarifs ne sont pas chers, ils sont à la portée des populations et il n’y a nulle part où nous refusons d'aller. Nous ne concentrons pas nos activités qu'en centre-ville. Il suffit juste qu'on tombe d'accord sur un prix avec un client pour le conduire la où il veut. Ce qu’on dit de nous est loin d'être vrai. Nos tarifs ne sont pas chers et nous allons partout», martèle Amy Ndiaye.
Présidente du Gie «Taxi-Sisters», Mme Tall, déclare : «Nous allons dans la banlieue et il nous arrive même d'emmener des clients jusqu'à Saly, Thiès ou Saint-Louis». Une manière de dire que leurs taxis ne sont guère spécifiques à la clientèle étrangère ou aux clients Sénégalais aisés, mais roulent pour tous les clients. Madjiguène Samb raconte qu'il leur arrive de transporter des clients pour 700 francs. «Et celui qui fait ça, on ne peut pas le taxer d'avoir des prix élevés». Elle précise que, choisir de se détourner de la clientèle à la petite bourse et de celle qui voudrait aller hors du centre-ville de Dakar, équivaudrait pour elles à se priver d'une réelle opportunité de maximiser leurs recettes. Erreur qu'elles ne vont pour rien au monde commettre. «Si nous travaillons, c'est pour gagner de l'argent, nous n'excluons aucune clientèle ni ne refusons d'aller dans aucune localité». Les seuls clients qu'elles n'acceptent pas de transporter sont ceux qui leur proposent des prix qui ne les arrangent pas ou qui vont à des endroits difficiles d'accès et surtout après la pluie.

Victimes au départ des taximen, les Sisters s'adaptent maintenant



L'incursion des femmes dans le secteur des taxis qui restait jusqu'en 2007 la chasse gardée des hommes n'a pas été facile. Il a fallu pour ces «Sisters» faire face à bien des réactions hostiles suscitées par la nouveauté. Seuls à s'activer dans ce domaine, certains hommes n'ont pas très bien accueilli leur arrivée. Visiblement pris de court par l'introduction de la parité dans leur secteur, ils n'ont pas tardé à développer une attitude de rejet. Elles passaient ainsi pour être des intruses qui viennent leur disputer ce qui leur est toujours revenu de droit à eux seuls. Ce que se rappelle Madjiguène, qui garde un souvenir vivace de ce qu’elles ont enduré sur la route venant de leurs prédécesseurs dans le secteur des taxis, les chauffeurs des fameux «jaune-noir».
«Ça a été très difficile pour nous de travailler au début. Ils nous coinçaient au niveau des intersections et feux rouges. Ils nous bloquaient le passage et nous jetaient des invectives. Tout ce qui nous rendait la vie difficile sur la route, ils le faisaient à coeur joie», se souvient-elle. Mais explique-t-elle, «nous avons dû faire avec tout ça, mais il n’y avait pas de place pour le découragement. Parce que nous avons fait le choix d'évoluer dans ce secteur et nous y croyons fortement». L'hostilité des taximen à leur endroit était si poussée qu'ils juraient que les «Sisters» n'allaient pas rester 3 mois sur la route. Une période qui est maintenant derrière elles. Puisque leurs prédécesseurs les considérant actuellement comme des partenaires, chacun essayant de prendre sa part de marché.
Ces femmes font également face à d'autres difficultés. En plus de l'essence qui coûte cher, l'étroitesse de leurs voitures est déplorée. «Parfois, quand nous transportons nos clients à l'aéroport avec beaucoup de bagages, nous les mettons à l'intérieur. Et les gendarmes nous arrêtent pour des contrôles, mais quand nous leur expliquons, ils comprennent et nous laissent partir», explique Amy Ndiaye dite «Dallu Ndakaaru», jeune femme voilée, la trentaine, teint noir.
Autre difficulté, il y a également le nombre pléthorique des taxis à Dakar qui sature le secteur de transport urbain. Ce qui ne participe pas à la bonne marche des affaires. «Depuis le mois de juillet, les affaires ne marchent pas. Parfois, on rentre les mains vides le soir, alors que notre versement s'élève 5000 F Cfa par jour, soit 150 000 F Cfa le mois. Avant-hier, je suis rentré juste avec 1000 F Cfa seulement», ajoute Madjiguène Samb.

AMY NDIAYE «DALLU NDAKAARU» «Le taxi, c'est le jour mais le soir, c'est mon mari mon taxi»



Teint noir, taille moyenne, le voile laissant apparaître un visage noir, Amy Ndiaye, une «Ibadou Taxi women» est une des bénéficiaires du projet «Taxi-sister». Née il y a une trentaine d'années dans le Saloum, chose visible par ses dents nacrées occasionnées par la forte teneur en chlore de l'eau de sa ville natale. Souriante, Amy Ndiaye porte dans le milieu le surnom de «Dallu Ndakaaru». Un surnom qui lui a été affectueusement donné puisque de toutes les «Sisters», elle est la seule à ne point rester stationnée au niveau d'un hôtel, mais à faire comme les chauffeurs de taxis «Jaune noir». C’est-à-dire à sillonner ruelles et avenues de la capitale à la recherche de clients.
Des exigences du métier qui ne font pas oublier à Amy Ndiaye son devoir d’épouse et de mère de famille, elle qui a deux bouts de Bois de Dieu. «Je suis l'ami de mon mari ‘te dama diongé’. Je me lève le matin à 6 heures, je prépare mes enfants pour qu'ils aillent à l'école. C'est la bonne qui les amène durant l'année scolaire. Ensuite, je m'occupe de mon mari. Je lui fais couler un bain bien chaud et je lui prépare le petit-déjeuner. Et ce n'est qu'après que je pense à moi. Je me prépare pour quitter à 9 heures et arriver au boulot à 10 heures», explique-t-elle avec passion.
Comme toute bonne coépouse, elle ne veut rien négliger, histoire de ne pas se faire ravir la vedette par l'autre moitié de son homme. D'où le fait qu'elle rentre plus tôt que ses collègues. En effet, dès que 17 heures sonnent, elle met son moteur en marche et fait cap sur Pikine Tally Bou Bess, pour retrouver mari et enfants dans une chaleur familiale bien particulière. Et les jours où son mari est à la maison, elle rentre à 16 heures pour assurer comme il se doit son tour «aye». Consciente que la conciliation de son métier de chauffeur et de «femme au foyer» est un exercice pénible, elle compte sur son sens de l'organisation pour s'en sortir. «C'est difficile, mais je m'organise de telle sorte qu'il n'y ait pas de problèmes dans mon ménage», explique-t-elle. Une fois dans sa maison, rien n'a plus de sens et d'intérêt, si ce n'est, se mettre aux petits soins de son homme. Et quelle que soit la somme que propose le client, elle n'en veut pas. La seule chose qu'elle peut faire pour lui, c'est de le mettre en rapport avec ses collègues. «Le taxi c'est le jour, mais le soir c'est mon mari mon taxi», martèle-t-elle, le sourire aux lèvres.
Sa pratique du métier de chauffeur de taxi n'est pas un fruit du hasard. Puisque les voitures, c'est une affaire de famille chez Amy Ndiaye. C'est même une véritable «passion». «Mon père était chauffeur et mon mari travaille au service des mines. Donc je peux dire que j'évolue dans l'environnement du transport», confie-t-elle. Un destin qui l'a rattrapée, malgré les différents itinéraires qu'elle a eu à emprunter dans sa vie. En effet, après avoir mis un terme à ses études en 1997, elle a subi une formation en informatique. Des connaissances qu'elle a mises en pratique d'abord dans un cabinet médical pendant 2 ans et dans un multiservices durant 7 ans. Des métiers qu'elle va finir par abandonner pour rester à la maison. Et c’est une de ses connaissances qui, ayant entendu parler des dépôts de dossiers pour le projet «Taxi-sister», l’a tiré de son «refuge». Même si sur les 100 personnes à avoir déposé leurs dossiers, elle est la centième, c’est qu'elle se fera remarquer par la personne qui recevait les dossiers car la rencontre avec son destin aura forcément lieu. Elle aura en effet la chance de figurer parmi les 10 élues sur les 100 demandeuses.
Le voile, Amy le porte bien avant le taxi. Ça n'a rien à voir avec ce métier, fait-elle comprendre. S'il y a une chose contre laquelle «Dallu Ndakaru» est contre, ce sont les gaspillages dans les cérémonies familiales, sport favori des femmes. Son credo à elle, c'est le travail et l'investissement rentable. Et c'est ce à quoi elle appelle toutes ses soeurs pour jouer leur partition dans le développement du pays.




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