[ CONTRIBUTION ] Une candidature qui pose réellement problème

Cet homme (voir photo jointe), si on peut encore l’appeler ainsi, est candidat à sa propre succession à l’élection présidentielle de 2012, pour un mandat de 7 ans. Il aura alors 88 ans bien sonnés. Cette candidature, l’ancien ambassadeur de France au Sénégal, Jean-Christophe Rufin l’a qualifiée ironiquement de « curiosité ».

Quelqu’un d’autre, et non des moindres, notre compatriote Mamadou Mbodj, éminent professeur de psychologie, campe ainsi cette candidature : « C’est d’abord un défi à la raison et au bon sens avant d’être un défi à la nature ; mais cela traduit surtout un profond mépris pour ce pays et pour ses habitants, une profonde angoisse de la mort, une intense lutte intérieure – en lui-même –  pour la conjurer, dans une logique purement animiste. Une perspective folle accompagnée d’une frénésie voire d’une hyperactivité qui constituent en fait un sacré rempart contre la dépression si fréquente dans cette catégorie du 3ème âge. » « Cette déclaration de candidature, poursuit le Pr Mbodj, trahit une volonté manifeste de mourir au pouvoir. Malgré ses masques, c’est cela son projet. Wade ne se voit pas sans le pouvoir, hors du pouvoir. Autrement dit, il ne peut pas se voir redevenir un simple citoyen sur qui, de surcroît, s’abattrait très certainement la justice à laquelle il devra rendre compte » (La Gazette n° 74 du 02 au 09 septembre 2010, page 13).

Si l’âge l’avait assagi, notre curieux candidat se serait sûrement inspiré de l’exemple de deux grands hommes, dont il se réclame d’ailleurs bruyamment et curieusement de l’héritage du second : le général de Gaulle et le président Senghor. L’illustre général faisait remarquer avec sagesse et réalisme, qu’il « vaut mieux partir (du pouvoir) cinq ans trop tôt qu’une minute trop tard ». Quant au premier président de la République du Sénégal, il répondait ceci à certains de ses compatriotes qui l’incitaient à rester encore au pouvoir : « A 74 ans, je ne me sens pas déjà très mal sur le plan de la santé. Cependant, à cet âge-là, on n’est plus maître de tous ses reflexes. Or, gouverner un pays, ce n’est pas rien. » Il ajouta ensuite avec clairvoyance : « Nguur kenn du ko ñedd. » Autrement dit, il existe une autre vie que le pouvoir, il faut se résoudre donc à le quitter à temps.

Tout indique, malheureusement, que Me Wade ne s’inspirera de l’exemple d’aucun d’eux ; il n’est ni l’un ni l’autre. Dieu ne les a sûrement pas créés avec la même formule. L’homme qui nous dirige depuis le 1er avril 2000 (que c’est déjà trop long !) est unique dans son genre. Dieu a dû probablement supprimer la formule avec laquelle il l’a créé. Un de ses courtisans confortait inconsciemment cette idée en faisant remarquer fort justement qu’un autre Wade n’est plus possible, qu’il est « inclonable ».

Notre octogénaire, bientôt nonagénaire, vit un drame, une véritable tragédie, une tragi-comédie. Un chef religieux connu pour sa sagesse disait de lui qu’il est monté si haut qu’il est coupé de toutes les réalités terrestres. Et il n’y a point de chance qu’il descende de son olympe car, aucun parent, aucun ami – s’il lui en reste encore – n’ose lui dire la vérité et le ramener à la raison. Au contraire, les tombereaux de louanges de la meute de courtisans qui grouillent et grenouillent autour de lui, l’incitent à monter toujours plus haut.

L’histoire de cet homme solitaire rappelle tristement celle de la grenouille du célèbre fabuliste Jean de La Fontaine, qui tenait à devenir aussi grosse qu’un bœuf. Ses pairs africains sont pour lui quantité négligeable, de même que son propre pays auquel il ne consacre plus que peu de son temps. Il n’a vraiment d’yeux que pour les Grands de ce monde, dont il tient coûte que coûte à intégrer le cercle restreint. Il vit surtout comme un drame le fait de n’avoir pas encore été reçu par le président Obama, malgré tous les lobbies qu’il met en branle.

Avec cet homme, notre pays est donc en danger. Sa candidature pour l’élection présidentielle de 2012 pose véritablement problème. Je ne me suis pas attardé d’ailleurs sur la recevabilité ou non de cette candidature. Même si rien ne s’y opposait sur le plan juridique, même si l’homme avait bien travaillé et ne traînait pas de casseroles, il devrait avoir des scrupules à solliciter un nouveau mandat de sept ans. Il est déjà, avec Robert Mugabe, le plus vieux président du monde. Nous n’avons vraiment que faire d’un homme de 88 ans dont, de surcroît, le nom est au cœur de mille scandales, dont le moins grave lui coûterait sûrement a destitution et, peut-être même, la Haute Cour de Justice dans toute démocratie qui se respecte. Par rapport à un quelconque de ces scandales, l’Affaire du Watergate est une peccadille.

MODY NIANG, e-mail : [email protected]