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Contre la transhumance et son apologie

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Contre la transhumance et son apologie

En prenant la défense des transhumants et en faisant l’apologie de la transhumance, le président de la République a installé un profond malaise chez ceux qui ont jusqu’ici cru à son projet de « gouvernance vertueuse ». La transhumance  est indéfendable, au moins pour trois raisons : 1. la transhumance est une pratique contraire à l’éthique ; 2. ainsi, défendre la transhumance revient à opérer un divorce entre politique et éthique ; 3. enfin, accepter la transhumance c’est souscrire à une politique de massification à tout prix, politique qui du reste ne garantit plus de dividendes.

Comment le Président a-t-il pris la défense de la transhumance ? D’abord en voulant mettre au même pied la transhumance avec le phénomène consistant à quitter un parti au pouvoir pour regagner un parti de l’opposition. En donnant son exemple, lui qui, en 2008, avait quitté le PDS alors au pouvoir, il s’est dit surpris que les gens n’aient pas parlé de transhumance. Or la réponse à cette question est très simple. La transhumance désigne plutôt ce phénomène consistant à abandonner un milieu défavorable pour regagner un milieu favorable. D’où tout le sens de l’analogie (avec le monde animal) dont la politique s’est emparée. 


Donc, on ne peut à vrai dire parler de transhumance que dans le cas où un opposant quitte son parti pour regagner le pouvoir. Il est aussi dans l’essence de la transhumance telle qu’on la conçoit, que le passé des transhumants est sinon douteux, du moins entaché d’expériences contraires à la pratique et aux valeurs éthiques. Le phénomène de la transhumance a aussi un autre élément qui est  l’incompatibilité ou même le rapport conflictuel entre les convictions jusque-là avouées du transhumant et celles du pouvoir qu’il voudrait regagner. D’où la suspicion et le dégout que ce phénomène de transhumance inspire chez tous ceux qui y voient rien d’autre qu’un moyen de profiter des faveurs du pouvoir. Et dans un contexte fort marqué par la traque des biens mal acquis, la transhumance ne pourrait-elle pas être pour certains le moyen de se soustraire aux poursuites judiciaires ?


La défense de la transhumance dans le discours du président se résume dans cette phrase laconique : « laissez les gens libres d’aller où ils veulent ! ». Rappelons que l’obligation de liberté d’aller et de venir, garantie par notre constitution, ne suffit pas, à elle seule, pour expliquer ou justifier les actes que nous posons. Car la garantie de liberté est consubstantielle au devoir de responsabilité. Ainsi, un voleur est certes libre de voler, un meurtrier de tuer, mais tous les deux sont mis devant leur responsabilité et devraient ainsi répondre de leurs actes non seulement devant des instances compétentes mais aussi devant leur propre conscience. La liberté matérielle ou physique sans le principe substantiel de responsabilité ne produit que le chaos. C’est cela d’ailleurs qui fera dire à Nelson Mandela qu’il ne pouvait dormir sur ses lauriers après avoir acquis la liberté, car les défis de la responsabilité étaient encore plus difficiles à relever. 


Ainsi n’est-il de vraie liberté que celle qui est consciente de sa propre responsabilité. D’ailleurs, il est même inconcevable que la liberté d’aller et de venir puisse être laissée à elle-même, sans garantie en retour. La conscience et la responsabilité sont nécessaires non seulement pour pouvoir limiter les abus de liberté, mais aussi pour pouvoir évaluer de manière éthique et qualitative les actes que nous posons. Les acteurs politiques ont certes la liberté de transhumer, mais on peut bien s’imaginer les conséquences désastreuses que cela pourrait engendrer s’il n’y avait aucun critère éthique qui nous permettrait d’évaluer et de juger ces actes. L’éthique et la politique ne devraient pas être antagoniques. Faudrait-il d’ailleurs rappeler ces mots d'André Malraux: « on ne fait pas de la politique avec la morale, mais on n’en fait pas davantage sans. » Paradoxalement, c’est cette connexion entre politique et éthique que le chantre de la « gouvernance vertueuse » semble contester dans son discours.


En effet, dans son discours le président semble opérer un divorce de la politique d’avec l’éthique. Ainsi appelle-t-il à « limiter les jugements de valeur » ; et à « ceux qui ne font pas de politique », il conseille d’« arrêter de faire des jugements sur les acteurs politiques. » Il récuse les « censeurs » (les moralisateurs) et martèle que « ceux qui veulent être en politique » « doivent accepter les règles de la politique. »


Le président nous offre ici un véritable cours de pratique politique qui recoupe étrangement les théories classiques amoralistes qui soutiennent, dans leur version forte, l’inutilité de la morale dans l’évaluation de nos actions, et, dans leur version molle, sa non-pertinence. Cette proposition à divorcer la politique de la morale est, cependant, sinon surprenante, du moins incompréhensible, de la part de celui qui a porté le projet de mener une « gouvernance vertueuse. »


Ce divorce est en parfaite contradiction avec le contrat (gouvernance vertueuse) que nous avons signé avec le président. Dans le Discours de Rupture qui, à bien des égards, représente la profession de foi du président et celle de son parti, figure en bonne place la promesse de conduire une politique arrimée à une « vision empreinte d’éthique, de morale et de valeurs qui ont historiquement fait la force de notre nation. » Le candidat d’alors appelait à « restituer à la dignité toute sa place dans la vie sociale et dans la gestion des affaires publiques. » Comment faut-il comprendre cela ? Est-ce un changement qui s’est amorcé du fait de l’exercice périlleux du pouvoir qui a tendance à reléguer les considérations éthiques aux seconds plans ? En tout cas, il y a une contradiction flagrante entre l’appel à une « gouvernance vertueuse » et l’apologie de la transhumance. 


Dans le discours du président, la disqualification de l’éthique en politique se retrouve aussi dans le rejet des moralisateurs, de tous ceux qui entrevoient la pratique politique sous le prisme de l’éthique. Ces gens-là, à mon avis, que l'on retrouve dans toutes le couches sociales de la population, sont indispensables car ils servent de sentinelles à la politique. S’il n’était permis qu’à la politique de parler d’elle-même, ne risque-t-on pas de cautionner un nombrilisme corporatiste qui serait aveugle à ses propres tares et incapable de se perfectionner ?


Il est vrai que la réalité de l’exercice du pouvoir et la volonté de tout parti politique de conquérir et de conserver le pouvoir servent très souvent de « prétextes » pour invalider l’éthique. L’apologie de la transhumance dont s’est livrée le président dernièrement, obéit à un souci purement politique ou politicien. La jeunesse du parti du président amène ce dernier à vouloir le massifier. Pour autant, faut-il massifier à tout prix ?


La massification de l’Apr est présentée comme une priorité politique au moins, et comme une question de survie au plus. Seulement, elle semble obéir à une logique quantitative et électoraliste qui hélas ne peut garantir aucun succès. Le président a rappelé son devoir et sa logique politiques «  d’essayer de  garder sa majorité » ; il a aussi rappelé à tous ceux qui voulaient l’entendre qu’il n’a « aucun problème à recevoir des opposants au sein de son parti. »


Deux problèmes majeurs se posent avec cette volonté à vouloir massifier à tout prix : le premier est d’ordre éthique, l’autre est d’ordre politique. D’une part, une massification à tout prix est une manière de renier certains principes éthiques qui se retrouvent dans le projet de gouvernance vertueuse. On ne devrait pas s’entourer d’hommes et de femmes qui ont eu une gestion très douteuse de la chose publique, même si ces derniers peuvent participer, d’une manière ou d’une autre, à la massification de son parti. Quand on fait le plaidoyer d’une gouvernance vertueuse – à moins que cela ne soit un simple slogan – on devrait aussi être prêt à en payer le prix. Le choix éthique est la voie la plus périlleuse pour celui qui fait de la politique. Car l’éthique peut bien souvent ne pas nourrir l’acteur politique. Mais il reste, pour autant, le choix le plus approprié qui soit à la hauteur de la noblesse de l’humain et de la dignité de la politique. 


D’autre part, la massification à tout prix pose un problème purement politique. Car si on se réfère aux dernières échéances électorales au Sénégal, on peut déclarer sans risque de se tromper que ce n’est la massification tout azimut qui garantit la conservation du pouvoir. Le Pds a été battu en 2012, non pas parce qu’il n’avait pas de masse, mais bien parce qu’il avait failli à ses obligations éthiques. Et c’est loin d’être un hasard si l’opposition d’alors avait bâti sa stratégie de campagne autour du caractère moralement indéfendable du troisième mandat et de la dévolution monarchique et autour des manquements aux principes de bonne gouvernance dans la gestion des affaires de la cité. 


Le facteur éthique doit être sérieusement pris en compte par ceux qui sollicitent les voix du peuple. Et l’acteur politique qui croit ratisser large tout en piétinant les principes éthiques aura au mieux un grand parti, mais ce sera un parti sans âme.





6 Commentaires

  1. Auteur

    Anonyme

    En Avril, 2015 (15:53 PM)
    Article très pertinent et très bien structuré. J'aime bien la façon dont les arguments sont avancés. Bravo Monsieur Gueye
  2. Auteur

    Anonyme

    En Avril, 2015 (15:54 PM)
    Serigne Macky dale sa way beug ne def waye manoul boulen koko diape manoul. transhumance nak mome limou thi dioublou keep kouy sengalais kham gua ko falou wat

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    Auteur

    Lombardo

    En Avril, 2015 (21:45 PM)
    Eux ils pensent que les senegalais dorment toujours les senegalais savent par ou passer ils peuvent massifies comme ils veulent avec leurs transhumants nous nous attendons avec nos cartes
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    Auteur

    El Haj Omar Ba [email protected]

    En Avril, 2015 (11:01 AM)
    article bien "cadré" ; pas de polémique pas de mots déplacés mais sacrément argumenté ; dommage nos hommes politiques ont "perdu le nord" ; ça devient alors très compliqués car si ceux qui sont devant font fausse route quel va être le sort de la troupe ? heureusement qu'il y encore des sentinelles debout et surtout lucides -
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    Auteur

    Kots

    En Avril, 2015 (23:24 PM)
    Félicitation pour la pertinence de l'analyse petit frère. Cependant je reste persuadé que les va et vient que le président commente ne correspondent pas exactement au contenu que le commun des sénégalais donne au vocable "transhumance ". Je fonde cet avis sur le fait que avant même notre indépendance et depuis lors, ces migrations sont notées sans que cela ne choque. Me Lamine Guère qui avait perdu devant senghor avait fini par le rejoindre. Le prétexte est généralement contextuel. Il y etait devancé par les thierno ba et Gueye Cabri, Fofana, Assane Seck. ...et tant d'autres . Puis les Diaistes sont devenus de vrais Senghoristes.

    Sous Diouf, avec la multiplicité de partis politiques partageant la même idéologie, le changement de camp devenait plus aisé donc plus digeste. Avec Wade le phénomène s'est exacerbé avec cette fois un relent de chantage et d'achat de conscience ce qui de toute évidence remet en cause l'éthique en politique. Au total, rien de bien nouveau et convenons en, la pratique s'est confondue avec nos politiciens. Sauf que et c'est à mon avis ce que nombres d'intervenants sur la question ne prennent pas en compte, le président, depuis son accession à la tête du pays ne cesse de rappeler qu'il ne protégera aucune malversation même ses compagnons de la première heure; alors que dire des ralliés? Je pense que les uns et les autres analysent la question avec un brin de passion. Quitter l'opposition pour le parti au pouvoir ne fait pas systématiquement de ce dernier un "traître ". Le président n'a dit ni plus ni moins. Sinon que dire de nos illustrés devanciers qui comptent dans l'histoire politique de ce pays?
    Auteur

    Kagne

    En Avril, 2015 (20:25 PM)
    Article de bonne facture, certes, mais je ne pense pas que le Président est partisan d'une liberté absolue. Relativement au contexte, sa sortie traduit plutôt un opportunisme politique.
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