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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Et Marx dans tout ça ?

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Et Marx dans tout ça ?

« L’indécision, en effet, est une solitude.
Vous n’avez même pas votre volonté avec vous »
Victor HUGO

C’est un grand parti qui s’en va. Aj-Pads a été, dans l’histoire de ce pays, la formation la plus complexe par sa structuration, et la plus impressionnante par son évolution. Jusqu’au 19 mars, on pouvait dire zéro faute Landing. Il avait sauvé son parti de la compromission des années 90, et assuré la promotion de ses cadres à travers le monde entier, soutenu par son épouse. Nous devons à ce parti nos plus grands journalistes, nos plus grands écrivains, nos plus grands cinéastes, nos plus grands artistes chanteurs. Il nous a donné les navétanes, il nous a donné Baba Maal, les frères Guissé et plus récemment, Pape et Cheikh. Je ne citerai pas tous ces grands fonctionnaires internationaux qui ont existé grâce, et par l’organisation solidaire qui structurait ce parti. Ils souhaitent rester « en clandestinité ». Même après plus de 20 années d’une légalité offerte, l’idée de citer leur nom leur donne encore la chair de poule. C’est quand même une des greffes les plus réussies entre maoïstes et léninistes, malgré la défection du Cercle des lecteurs Suxuba, conduits par le sociologue Malick Ndiaye. Il a été un des rares à avoir, à la fin des années 80, défendu une entrée d’Ajmrdn, devenu pads, dans le gouvernement d’Abdou Diouf.
Si ce parti a résisté à cette tentation, c’est surtout grâce à la bonne formation idéologique de ses membres et à leur indépendance économique. Ils ont inventé, pendant que peu de gens y pensaient encore, «l’ongisation», avec une force d’infiltration et de pénétration jamais réussie par aucun autre parti politique. Abdoulaye Wade a découvert au début de l’alternance que tout ce qui s’appelait «société civile», dans les secteurs stratégiques de son gouvernement comme la Santé, les Finances, les affaires étrangères, était « Aj-Pads ». Ce n’était pas la réussite d’un homme, c’était celle d’une organisation marxiste qui a su composer avec les réalités sociales et culturelles d’un pays. Cette grande communauté intellectuelle a été laissée à l’écart de tous les débats sur les questions gouvernementales depuis 2000, au profit d’une bande de politiciens professionnels qui ont abandonné leurs métiers pour faire de la « politique ». Depuis 7 ans, tout a tourné, et continue de tourner autour de Bassirou Sarr, Mamadou Diop Decoix, Landing Savané et son paravent naturel, Marie Angélique. Cette femme a été certainement d’un secours inestimable pour son parti. Elle a aidé au recasement et à la promotion de beaucoup de ses cadres. Ils lui doivent presque tous « un petit quelque chose ». Mais les « andjefistes » ont aussi pu découvrir l’influence qu’elle a, pas seulement sur son mari, mais sur la quasi-totalité de la direction de son parti. C’est elle le réalisme politique d’Ajpads des années 2000. C’est elle le passage du col Mao au costume-cravate. Tous les idéologues paumés qui se rendaient dans l’imposante demeure de Mermoz, et qui supportaient ce luxe comme une insulte s’entendaient dire par Landing, avec une condescendance excédée, « Marie moo ko def wallaay ». Ce n’est pas une honte d’avoir réussi sa vie, et il est vrai que, depuis quelques années, Marie a été une sorte de Hillary pour son mari. Elle a assuré l’intendance, en faisant bien la différence entre les avoirs du parti et ceux de la famille. Mais ça tranchait trop d’avec l’esprit militant des années « Jaay Doolé ». Quand un journaliste du Populaire est allé l’interviewer dans sa nouvelle demeure, elle a surtout parlé de la brise qui venait de la mer. Ca n’engageait ni son parti ni son mari, mais pour les andjefistes endurcis, c’était une injure à leur conviction militante. Landing Savané a dû lui-même avouer, avec une violence un peu jouissive, qu’il s’est « embourgeoisé ». La solidarité verticale d’hier a pris une forme horizontale. Elle ne concerne plus que quelques chefs, malheureusement.
Le changement a été trop rapide. Il date d’il y a dix ans, quand ce parti, pour la première fois, a pris ses quartiers à Grand-Dakar, dans une très belle villa qui révélait déjà ses ambitions futuristes. Il a renoncé au marxisme sans oser le libéralisme, mais la mystique de l’argent était déjà là. On ne peut rien faire sans lui, et c’est bien ce que Bassirou Sarr, nouvellement nommé administrateur, m’avait dit.
 Decroix finissait ses réunions et attendait tranquillement un ami pour le « déposer » chez lui, comme «tous les militants ». 3 années après, tout avait changé. La plupart de ceux qui partageaient le souci et le quotidien des militants étaient logés par l’Etat, ou avaient déjà acquis un terrain aux Almadies. Le parti s’est tout de suite coupé de ses bases, partagé entre « bénéficiaires » et « non bénéficiaires ». Ce qui était la force de ce merveilleux appareil politique et associatif est devenu sa faiblesse, le gouvernement. Landing a eu à trancher, à son corps défendant, entre le profil de Awa Dia Thiam et la détermination de Mamadou Diop « Decroix » à figurer au gouvernement.
Au fond, c’est le départ du leader d’Aj-Pads qui s’imposait. Il n’avait rien à faire dans un gouvernement qui change tous les six mois, et il n’avait pas besoin de ses rentes pour survivre. Ca a été, au fil des années, une erreur stratégique majeure que ce parti paiera encore longtemps. Quand, au lendemain des législatives de 2001, Abdoulaye Wade a demandé à Abdoulaye Bathily de prendre le ministère de l’Habitat, il a refusé.
-J’ai un jeune dans mon parti qui est compétent, et qui peut bien donner satisfaction à ce poste. Il a le bon profil.
-Et vous ?
-Moi, je vais rester à l’Assemblée nationale. Je pourrai mieux servir mon pays en étant là-bas.
Naturellement, il y a une raison conjoncturelle à cela. Abdoulaye Bathily a su nouer une alliance stratégique avec Abdoulaye Wade aux législatives de 2001, pour avoir 7 députés, alors que Landing Savané, parti seul, n’en a eu que 2. Bathily a une souplesse bien british que le folliste a du mal à adopter:« Dans la vie, on n’a pas ce qu’on mérite, on n’a que ce qu’on négocie. » Aj-Pads ne s’est jamais remis de ce traumatisme. Son rival de gauche se donnait en ce moment une liberté de critique, tout en vantant la compétence de ses ministres dans le gouvernement.
Avec le recul, je crois que Landing Savané a été un homme sincère. Il n’a pas été à la hauteur de sa mission, mais ça peut arriver à n’importe quel homme. Il a agi en statisticien, il s’est soumis à ses lois pendant que Bathily agissait en historien. C’est là une différence fondamentale. L’économiste s’est mis dans la position du mauvais débiteur qui veut profiter de tout, et organiser à l’avance son insolvabilité. C’est ce qui l’oppose à Wade. Avoir déclaré, au bout de 7 ans, «nous ne sommes pas des voleurs, mais nous reconnaissons qu’il y a des voleurs parmi eux ». C’était un ajustement tardif, inutile et inefficace.
Aucun coup de génie en tant que ministre, aucune grande réalisation laissée à la postérité, pendant que les ministres de la Ld/Mpt brillaient de leur grand éclat. On pourra tout dire, mais Yoro Deh et Seydou Sy Sall ont été, durant ce septennat, les plus grandes satisfactions de ce pays. Du côté d’Ajpads, aucune éclaboussure, ni du chef, ni de son interminable numéro 2.
Le choix de revenir à la table gouvernementale procède d’un double reniement. A la veille de la présidentielle, Savané avait expliqué sa présence prolongée au gouvernement par le choix fait en 2000, de soutenir la candidature d’Abdoulaye Wade. Il avait clairement déclaré que ce compagnonnage s’achèverait avec le premier mandat d’Abdoulaye Wade. Il est revenu sur sa déclaration après les législatives, en expliquant qu’Ajpads n’était pas fermé à une entrée au gouvernement, sur une base programmatique minimale. Ce que son acolyte Bassirou Sarr vient de déclarer, c’est que la proposition de collaboration est sans condition. Sans faire dans les clauses de style, il s’agit bien d’une capitulation. Le mot n’est pas trop fort, et les cadres qui se battent pour sauver leur parti et leur honneur ont raison de le faire. Aj-Pads n’est pas Aj-Pds.
 Mais on peut comprendre ce revirement, après les traumatismes passés. Les mauvaises législatives de 2001, la présidentielle catastrophique de 2007, et les législatives du 03 juin 2007 durant lesquelles il n’a pas pu faire mieux que Robert Sagna et Modou Diagne Fada. Il a fait là aussi un mauvais calcul, en pensant que les militants de l’opposition boycotteuse défendraient sa cause.
Dans n’importe quelle structure organisée, autant d’échecs cumulés auraient conduit à une démission de l’actuelle direction. Mais à la place d’un bilan, il a pris du « recul » pour mieux sauter dans le gouvernement.
Tout ceci découle pourtant d’un calcul mal mené : « on ne peut pas vaincre Wade ». S’ajoute à cette exécution, la conviction intime que les partis wolofo-centristes prendront toujours le dessus. Est-ce une bonne raison de renoncer au combat ? Evidemment non. C’est un angélisme insoutenable, une illusion qu’ils entretiennent pour battre en retraite. C’est tellement dommage. Parce que vingt-ans après sa première déclaration de candidature « sans illusion », cet homme aurait constitué une bonne alternative à la démobilisation générale et à la capitulation morale. Il a choisi de capituler en premier, avec une autre formule marxiste-léniniste, sortie de la calculette : « situation concrète, analyse concrète. » Une autre grossesse intellectuelle qui n’enfantera rien de bon.



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