Se souvient-on de Fatou Kassé, Mada Thiam, Ndiol Niang, Saloum Dieng?
Il faut être bouché à l’émeri pour ne pas comprendre qu’un patrimoine culturel peut tomber en désuétude par abandon ou ignorance mais se sera jamais frappé de péremption pour qui entreprend de l’exhumer. La sottise des blancs becs est de s’imaginer que la modernité est un fruit spontanément mûr qui tombe chaque matin sans passer par un processus de maturation. Le futur n’est rien d’autre qu’un passé en perpétuel devenir.
Considérons la musique …
De plus en plus, on se sent assailli par des essaims d’« ambianceurs » insipides et sans talent. Ils ont le triomphe facile, croient que le don suffit à l’affaire et n’éprouvent nullement le besoin de connaitre les devanciers. A moins d’être un prodige -ce que chacun se targue d’être-, on ne peut pas dépasser ce qu’on n’a pas appris méthodiquement et assimilé. Le rêve en bandoulière, l’apprenti chanteur tombe sur un marchand d’illusions plus riche de combines que de culture musicale… Un single atterrit sur les bandes Fm, une vedette est née, quelle que soit la qualité de son produit. Bien sûr qu’on peut m’opposer des arguties du genre : « culture technologique ». A quoi je répondrai qu’il existe également une « esthétique du déchet » qu’on appelle scatologie .
La faiblesse congénitale de la musique sénégalaise des dernières années est d’être aussi volatile que l’air du temps. L’électronique crée des générations spontanées de chanteurs qui imitent Youssou Ndour sans se rendre compte que la longévité de ce dernier se nourrit d’une sève. De cette sève qui produisit les Amadou Ndiaye Samb, Diabaré, Boucounta et, un peu plus tôt, Badara Mbaye Kaba le premier chanteur traditionnel à s’être fait accompagner par un saxophoniste noir américain de Jazz.
Quel que soit le style dans lequel on évolue, l’apprentissage des anciens n’est jamais inutile ; c’est même primordial. Tout au long de sa vie, Michael Jackson n’a cessé de rappeler ce qu’il devait à Sammy Davis Jr, Fred Astaire, Elvis Presley et James Brown. Lesquels de nos « Tiopett, Faye Blokass et autres « kebetukat, Taasukat » savent qu’ils n’ont pas inventé grand-chose depuis Doudou Diop l’Aveugle des années 50/60 ? D’autres se réclament de Bob Marley, Tupac, Beyonce sans songer d’abord à Mangoné Ndiaye, Sombel Faye, Khar Mbaye Madiaga. Comment peut-on parler de musique moderne au Sénégal sans payer un tribut de gratitude à Bira et Makhourédia Gueye tous deux anciens saxophonistes de la Lyre africaine ? Ce fut le tout premier orchestre de chez nous ; le groupe tenait ses répétitions dans la cave même du Marché Sandaga servant aujourd’hui d’entrepôt frigorifique. Les jeunes et moins jeunes dames qui tiennent le haut du pavé musical ignorent qu’Aminata Fall ouvrit la voie en osant se produire sur une scène avec un orchestre de musique moderne, le Star Jaz de Saint-Louis. Depuis sa disparition, la seule voix qui semble perpétuer le souvenir de notre diva du jazz semble être celle de la touchante Shula Ndiaye. De même que Mame Goor rappelle étrangement Ndiol Niang sur ce riche filon abandonné qu’est le « taxuraan », El Hadj Ndiaye fait songer à Laye Mboup
Qui dit musique sénégalaise, de nos jours, pense au tamtam et ses variantes que l’on trouve de plus en plus dans les orchestres dits modernes. Je me demande pourtant si les percussions sénégalaises que sont Jembe, Sabar, Gorong, Talmbat, mbëng-mbëng auraient frayé avec balafons, kora et guitares si le Wato Sita n’avait pas rêvé de l’entente cordiale puis harmonieuse de ces différents instruments. Ce groupe fut, en effet, la première conception moderne d’un ensemble philharmonique ouest africain. Dommage que Soleya Mama, devenu Monsieur Huchard ait choisi d’étouffer sa voix de baryton, de casser ses cordes de guitare et rompre une carrière d’ethnomusicologue pour emboucher les trompettes de la renommée politique. Dites-moi, honorable député, était-ce farce de jeunesse tout cela ? Pourvu que le grain ne meure !
La substance de cette chronique est un condensé de mon ouvrage intitulé « Evolution de la musique sénégalaise, de 1950 à nos jours » qui paraîtra, sous peu, aux Editions Feu de brousse.
Amadou Gueye NgomCritique social
PS
"...Accéder à la modernité sans piétiner notre authenticité " (L . Senghor).
« Le don sans la technique n’est qu’une sale manie » (G. Brassens).
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