C’est sur la route le menant de Tunis à Hammamet (Tunisie), où il s’est produit le 24 juillet dernier, que nous avons discuté, presque à bâtons rompus, avec Doudou Ndiaye Rose. Le temps que l’artiste nous rappelle quelques-uns de ses souvenirs et nous parle du projet qui lui tient à cœur depuis plusieurs années. Flash-back et avance rapide pour découvrir ou redécouvrir ce «Trésor humain vivant» de l’Unesco…
Walf Grand-Place : Comment avez-vous connu la Tunisie ?
Doudou Ndiaye Rose : D’abord, j’avais un ami intime, Mustapha. Il a fait au moins dix ans en Tunisie pour apprendre le Coran. Lorsqu’il y était, il m’envoyait des lettres pour me parler de la Tunisie, et j’avais envie de voir ce pays.
Quand Mohamed Challouf (Ndlr : producteur tunisien) m’a proposé de participer au Festival international de Carthage, il y a 22 ans, j’ai revu des amis tunisiens que j’avais connus à Dakar. Cela m’a rappelé beaucoup de choses. Le fait de venir à Carthage, dont j’avais appris l’histoire à l’école, a ravivé des souvenirs. C’est la troisième fois que je viens en Tunisie.
Quel est votre projet ?
Depuis plusieurs années, je suis en train de tout faire pour avoir un financement afin de créer un complexe car je sais que je ne suis pas éternel.
Le président Abdou Diouf m’avait offert six hectares, à près de 70 kilomètres de Dakar avant d’arriver à Saly Portudal, deux mois avant les élections présidentielles. J’avais l’intention de créer une école de percussion, de danse, de teinturerie. Je suis allé à Paris où j’ai déposé un dossier au ministère français de la Coopération, à l’Unesco et à la Francophonie. Comme je me suis rendu quatorze fois au Japon, les Japonais étaient également prêts pour m’aider, mais en me demandant une lettre de mon pays qui montre que les autorités sénégalaises sont d’accord sur mon projet. Le président m’avait dit : «Les élections sont dans deux mois, si je suis encore là, on va vous aider à le réaliser.» Malheureusement, il a été battu.
Que s’est-il passé après ?
Pendant plusieurs années, j’ai écrit des lettres à Wade avec des rappels. Mais, il n’a pas voulu me recevoir car je n’étais pas de son parti. J’ai écrit une dernière lettre dans laquelle j’ai tapé du poing sur la table. Il a accepté de me recevoir. Mais, quand je suis allé le rencontrer avec ma délégation, il m’a demandé si j’avais réfléchi à ce que j’avais écrit. Je lui ai répondu que oui, que je ne l’avais ni insulté, ni dépassé, que je lui avais dit ce que je pensais, que j’étais un citoyen sénégalais qui a le droit de créer quelque chose, qu’il était le président de tous les Sénégalais, et que c’était normal que je passe par lui. Je lui ai dit : «Vous avez reçu tous les artistes, tous les handicapés, tous les pêcheurs ! Et moi non ! ?» Je lui ai montré le projet, il m’a dit qu’il allait s’en occuper. Mais rien…
Mais avec l’arrivée de Macky Sall au pouvoir et de Youssou Ndour à la Culture, ne pensez-vous pas que vous aurez enfin votre complexe ?
Je suis en train de préparer un autre dossier. J’attendais seulement que le président Macky Sall soit assis, car il est en train de voir tous les dossiers. Le président sortant a laissé beaucoup de problèmes dans ce pays. Youssou aussi vient d’être nommé, et je ne voudrais pas le brusquer.
Je suis en train de refaire le projet. J’attendrais la fin du Ramadan pour introduire le nouveau dossier et pour rencontrer Macky. Je vais également relancer la coopération française et les Japonais.
Comment vous est venue l’idée d’initier des femmes au sabar ?
Nos anciens n’avaient pas pensé à faire jouer le tam-tam aux femmes, parce que c’est un travail manuel dur. Ils pensaient que les femmes devaient uniquement rester à la maison, s’occuper des enfants, faire la cuisine, et apporter le repas dans les champs. Ce qui m’a donné l’idée de créer des batteuses, c’est quand le président Senghor avait demandé d’organiser la quinzaine nationale du Sénégal. Pendant cette quinzaine, les femmes montraient leur savoir-faire en tricot, broderie, coiffure, teinture, etc. À la fin de cette quinzaine, le bureau des femmes a été présenté lors de la clôture au Théâtre (Ndlr : Daniel Sorano). C’est là que j’ai eu l’idée des femmes batteuses. Le lendemain, j’ai convoqué mes filles et je leur ai dit que j’avais pensé à former des batteuses et je leur ai demandé leur avis. Mes deux filles aînées, de mes première et deuxième femmes, m’ont dit que ce n’était pas mal, mais qu’elles n’étaient plus jeunes pour apprendre à jouer. Je leur ai demandé d’essayer. Les jours qui ont suivi d’autres femmes sont venues. C’était en 1978. J’ai appelé les femmes batteuses «Les Rosettes» du nom de ma mère Coumba Rose.
Comment créez-vous vos morceaux ?
Je me base sur ce que les anciens nous ont appris. À leur époque, le tam-tam était un langage, un moyen de communication. Il m’est venu l’idée d’ajouter d’autres sons à ce langage : les bruits qu’on entend pendant un match de foot, au retour des piroguiers de la pêche, durant l’hivernage. J’enregistre tout sur une petite magnéto. À la maison, je m’enferme et j’écoute les enregistrements plusieurs fois pour créer des rythmes. Je ne laisse passer aucun son de la nature.
Vous avez vécu une enfance difficile par rapport à votre passion du tam-tam…
Je n’ai pas été élevé par mon père. J’habitais avec mon grand-père et ma grand-mère. Mon grand-père était l’imam de la mosquée. C’était un homme très pieux. Il n’aimait pas la percussion. Il m’interdisait de jouer. Moi, j’étais tellement terrible que je jouais sur les caisses, sur les tables, etc. Il me frappait tout le temps.
Mon père était un intellectuel. Il était, lui aussi, un vrai musulman. Tous mes frères étaient des intellectuels. Mon père ne voulait pas que j’apprenne le tam-tam. Je suis resté sept ans sans pouvoir lui serrer la main. Il ne me reconnaissait plus comme son fils, car il voulait que je sois comme mes frères.
Mon oncle, le frère de ma mère, me battait toujours. Il m’a même cassé la clavicule parce que je ne suis pas allé à l’école. Je suis l’enfant unique de ma mère et celle-ci était mécontente. Quand mon oncle m’a blessé, on m’a emmené à l’hôpital Indigène qui est devenu Le Dantec. Le docteur ne voulait pas me soigner, car il voulait savoir comment ça c’était passé. Ils lui ont dit que j’étais tombé d’un manguier. Le docteur ne les a pas crus, car j’avais des traces de coups sur le corps. Une enquête a été faite et mon oncle a été arrêté. Il a fallu l’intervention des anciens et des marabouts pour qu’il sorte de prison. Alors mon oncle a trouvé un compromis : que je joue du tam-tam à condition que j’aille à l’école et que j’apprenne mes leçons. Comme j’en avais assez d’être battu, j’ai accepté. C’est comme ça que j’ai pu avoir mon certificat d’études en 1943.
6 Commentaires
Foula Rekh
En Août, 2012 (21:22 PM)Reply_author
En Juillet, 2023 (07:52 AM)Goor Yomboul
En Août, 2012 (22:50 PM)Xam Xam
En Août, 2012 (01:38 AM)Raksama
En Août, 2012 (02:19 AM)Coumbarouge
En Août, 2012 (04:40 AM)Sarko
En Août, 2012 (08:44 AM)Participer à la Discussion